Avec 36% des suffrages en sa faveur, Florian Philippot (FN) dispose d’un très confortable matelas pour le second tour. Jamais une liste ayant obtenu un tel score lors des régionales de 2004 et 2010 n’a eu de difficultés à constituer une majorité à l’issue d’une triangulaire. Pourquoi ? Peut-il y avoir un précédent dimanche prochain ?

Au vainqueur la majorité

Inutile d’espérer, si le FN l’emporte, qu’il ne réunisse pas suffisamment de sièges pour former une majorité. Le scrutin des élections régionales est ainsi fait qu’une victoire, même dans le cas d’une triangulaire extrêmement serrée, assure la majorité des sièges à la liste qui obtient le plus de voix. 

En effet, selon l’article L388 du code électoral, le quart des sièges à pourvoir (arrondi à l’entier supérieur) est attribué au vainqueur. Soit 43 sur 169 en Acal. Le reste est réparti entre toutes les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Un calcul complexe (que nous détaillons ci-dessous) qui aboutirait à l’attribution d’au moins 42 sièges supplémentaires au premier du second tour. Soit un total de 85 sur 169 (50,29%).

[toggle title= »Comment se calcule une proportionnelle à la plus forte moyenne ? »]

Pour comprendre, prenons l’exemple du second tour des élections régionales 2010 de Lorraine. Le conseil régional est alors composé de 73 sièges. Un quart (soit 19) sont automatiquement reversé au PS, qui l’a emporté avec 48% des voix. Il reste 54 sièges (73-19) à attribuer à la proportionnelle. Pour cela, il faut :

1. Calculer le quotient électoral : nombre de suffrages exprimés / nombre de sièges.

918 950 (total de suffrages exprimés, tous partis confondus) / 54 = 17 017,5926

2. Diviser par ce quotient le nombre de voix obtenues par chaque liste.

PS : 456 416 / 17 017,5926 = 26,8
UMP-UDF322 550 / 17 017,5926 = 18,9
FN163 785 / 17 017,5926 = 9,62

3. Attribuer les sièges à chaque liste en arrondissant à l’unité inférieure.

PS : 26 (+19)
UMP-UDF : 18
FN : 9

4. Attribuer les sièges restants à la meilleure moyenne.

Dans le cas présent et à l’issue de ces calculs, 53 (26+18+9) des 54 sièges ont trouvé preneurs. Il en reste un à pourvoir. On emploie alors la règle de la meilleure moyenne. Pour cela, il faut diviser le nombre de voix récoltées par chaque liste par le nombre de sièges obtenus précédemment + le siège à pourvoir.

PS : 456 416 / 26+1 = 16 904,2
UMP-UDF : 322 550 / 18+1 = 16 976,3
FN : 163 785 / 9+1 = 16 378,5

C’est l’UMP-UDF qui dispose de la meilleure moyenne, lui revient donc le dernier siège. L’attribution finale : PS, 45 sièges ; UMP-UDF, 19 ; FN, 9.

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Des reports de voix insuffisants

En annonçant qu’il n’y aurait ni fusion, ni retrait, Jean-Pierre Masseret a balayé d’emblée l’idée que sa liste se sacrifie pour faire barrage au FN. L’actuel président de la région Lorraine souhaite que le PS soit représenté dans la nouvelle assemblée, et ce même au prix d’une victoire du FN.

Dans ces dispositions, il est très improbable que le FN ne puisse l’emporter. Car même avec le report de voix des électeurs EELV, Front de Gauche et Lutte ouvrière, Jean-Pierre Masseret n’obtiendrait que 27% des suffrages exprimés au second tour. Obtenir 6 à 7% de plus des voix obtenus par l’UPR, Debout la France et la liste régionaliste menée par Unser Land est une gageure. La majorité des électeurs de ces trois listes (qui pèsent un peu plus de 10% des suffrages exprimés au premier tour) devraient se partager entre la liste de Philippe Richert et celle du Front national, laissant Florian Philippot loin en tête.

Au second tour, si les électeurs associent scrupuleusement leurs votes à leurs idées, le miracle ne pourrait provenir que :

  • d’une re-mobilisation des abstentionnistes.

Et encore, nul ne peut dire si leur sursaut profiterait davantage à la droite ou le PS qu’au FN. C’était le cas lors des élections régionales de 2004, certainement plus aujourd’hui, comme le confirme une étude relayée par Slate. Lors des élections régionales de 2010, le FN avait d’ailleurs amélioré son score au second tour dans toutes les régions où il a pu se maintenir (dont l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine).

  • d’un désistement (improbable) de Jean-Pierre Masseret.

Jean-Cristophe Cambadélis avait annoncé dimanche soir que « dans les régions à risque Front national où la gauche ne devance pas la droite, le Parti socialiste [ferait] barrage républicain (…). Pendant cinq ans, les socialistes ne siègeront pas dans ces régions ». Certainement bousculés par le rappel à l’ordre du premier secrétaire du Parti socialiste, 71 des co-listiers ont tenté de saborder la candidature de leur chef de file, sans succès. Jean-Pierre Masseret est désormais seul responsable du retrait ou non de sa liste.

  • de la fusion (hors de propos) des listes de Philippe Richert et Jean-Pierre Masseret.

Les deux candidats se sont prononcés contre cette alternative. Elle était de toute façon proscrite par le président Les Républicains, Nicolas Sarkozy, fervent adepte du « ni-ni » (ni fusion, ni retrait) depuis les cantonales de 2011. Philippe Richert s’est toutefois engagé à la constitution d’un second conseil régional : un organe symbolique dans lequel toutes les sensibilités politiques « y compris régionalistes » pourraient s’exprimer. Dans le même ordre d’idées, Christian Estrosi, candidat LR de la région PACA, a promis la création d’un « conseil territorial ».

Front républicain improvisé

Pour barrer activement le Front national dans sa route, il n’y a donc qu’une seule solution : les électeurs de gauche doivent se renier et voter pour l’union de la droite et du centre. Un front républicain improvisé, en dépit du maintien de Jean-Pierre Masseret, pour un report de voix massif des partis de gauche (PS compris) vers LR-UDI-Modem. Du jamais vu depuis le changement de calcul d’attribution des sièges en 2003. En 2004 et 2010 confondues, aucune liste avec plus de 33% des suffrages exprimés au premier tour n’a perdu une triangulaire au second tour.