En un an et demi, le messin Youri Cansell, 24 ans, alias « Mantra », s’est fait une place dans l’univers des graffeurs lorrains.
« Ah salut toi ! Ce n’est pas souvent qu’on te voit prendre un chocolat chaud ici ! », ironise le serveur. Au bar de la Comédie à Metz, un grand jeune homme tout fin au visage anguleux, emmitouflé dans ses trois pulls, vient se réchauffer. Lunettes originales et bonnet péruvien, Youri est connu dans les lieux.
« Pourquoi je suis graffeur ? Ca fait partie de moi. C’est comme si on me demandait pourquoi je respire ! », s’exclame Youri Cansell. De Metz à l’Allemagne, en passant par la Belgique, le Luxembourg et la Suisse, sa passion pour le graff, qu’il se découvre à 20 ans, ne cesse de le faire voyager. Son leitmotiv : créer de l’image. Il souhaite « amener une présence là où il n’y en a plus ». Usines désaffectées, vieux murs à l’abandon, tout support d’expression est bon à prendre du moment qu’il est légal. Youri n’est pas subversif. Il ne fait pas partie des graffeurs rebelles. Il pense toutefois que les graffitis spontanés et sauvages font partie intégrante du mouvement.
Un artiste plein de sérieux
Le passé sidérurgique de la ville est indissociable de son travail. Muni de ses bombes aérosol, il tente d’amener de la couleur et de la nature dans des lieux vétustes et délabrés. « Je donne de l’importance à des insectes minuscules. Ce qui m’intéresse aussi, c’est la puissance des couleurs », décrit Youri, passionné. Avant tout, il désire faire évoluer sa technique et son graphisme. Jouer sur les contrastes, maîtriser les couleurs. S’il n’est pas un artiste engagé, il lui est arrivé lors des élections régionales 2011 de graffer contre l’avancée du FN. « Son travail reflète vraiment ce qu’il est », confie Louis Bererki-Laurent, son ami d’enfance. Ce guitariste de 22 ans l’a rencontré il y a dix ans en faisant du skate dans le quartier. Il le décrit comme étant « perfectionniste, enthousiaste, à l’écoute dans la vie et dans son œuvre, et attentif à ce qui l’entoure ».
« Ambitieux mais pas prétentieux »
Dans la vie de Youri, tout est lié à sa passion de l’image. Le jeune homme est auto-entrepreneur. Le graff lui sert de vitrine, il démarche des particuliers ou des organismes pour proposer ses peintures, ce qui lui permet d’en vivre. Youri habite chez ses parents aux alentours de Metz. Ces derniers l’ont toujours encouragé. Détenteur d’un baccalauréat scientifique, il se lance dans l’école des Beaux-arts, spécialement attiré par l’illustration. Frustré du manque de liberté et déçu de l’enseignement, Youri abandonne au bout de deux ans.
Mantra travaille souvent en duo avec Koga, comme sur cette oeuvre
Il reprend un BTS en webdesign pour être infographiste. Il est engagé six mois dans une agence de communication au Luxembourg. Déçu à nouveau par la contrainte de production, il décide de devenir « le seul maître à bord ». De ces expériences, il retient des rencontres marquantes, dont celle de « Lister », qu’il l’a introduit dans le monde des graffeurs messins. Youri n’avait jamais pensé à peindre sur un mur. « Vas-y lâche-toi, tu n’as rien à perdre ! » l’encourage Lister. Révélation pour Youri qui devient « Mantra ».
Un monde d’egos
Au sein des graffeurs, il découvre un monde concurrentiel « où les égos s’entrechoquent à chaque étage », déplore-t-il. « Jalousies, rivalités et parfois de la haine prennent le pas sur ce qu’il y a de bon dans le mouvement ». « Ambitieux mais pas prétentieux » selon Louis, Youri entend travailler en groupe et partager les espaces de création : « ensemble on peut faire des murs plus grands ! ». Ce dont il est le plus fier, confie-t-il avec sérieux, c’est d’avoir trouvé sa place dans le mouvement. D’ailleurs, Louis confirme « il a travaillé dur dans l’ombre, maintenant, il est enfin au grand jour ». Faire avancer le mouvement du graffiti, c’est l’objectif de Youri. Pas du genre à se faire emmurer.