Née en 1888, cette association étudiante reste aujourd’hui encore auréolée de mystère. Parfois comparée à une secte, l’organisation a su créer son folklore, ses codes et ses rites. Les chevaliers de la faluche, le Grand Chambellan… Non, vous n’êtes pas dans un sketch des Visiteurs. Bienvenue chez les faluchards.
Alcool à gogo, chansons paillardes, week-end d’intégration à la limite du bizutage, les faluchards n’ont pas vraiment bonne réputation. Pendant ses études en maïeutique à Nancy, Valentin a rejoint l’association étudiante et a endossé le rôle de Grand Chambellan, un grade important, pendant un an. Des week-end d’intégration ayant mal tournés, ou plutôt des « baptêmes » dans le jargon faluchard, il en a vécu quelques-uns. Dont certains assez sordides. Notamment la fois où, à la suite d’une trop grande consommation d’alcool, une personne s’est déféquée dessus. Ou encore quand un étudiant en médecine s’est masturbé tout au long de son baptême.
Mais pour Adrien Anquetil, faluchard baptisé depuis quelques mois à Metz, les abus ne font pas partie intégrante du folklore faluchard. « Il y en a eu, je ne vais pas le cacher. Mais il y en a partout […] Nous la différence, en tant que faluchards, c’est qu’on est vachement plus visibles, et ça nous pénalise. Un simple abus, on va dire ‘c’est des jeunes qui s’amusent’. Un abus de jeunes qui portent la faluche, on va dire ‘c’est des faluchards, ils sont dégueulasses’ ». Lisa*, étudiante à Nancy, le confirme. « On a une mauvaise image des faluchards car on entend parler des baptêmes hard donc on pense qu’ils se passent tous de cette manière ». Mais elle, qui souhaite rejoindre la communauté falucharde, l’affirme : ce ne sont que des histoires. « On entend beaucoup de rumeurs par rapport à ça, il y a beaucoup de “on dit” donc forcément ça entretient le mythe. Beaucoup de gens en parlent alors qu’ils n’y connaissent pas grand chose. »
Il faut dire que le monde de la faluche est intriguant. Des réflexions curieuses, amusées, ou méprisantes, Adrien les a toutes entendues. « Il y a 3 options quand tu parles de la faluche. Il y a, et elle est très rare, “Ouais c’est cool !”. Il y a “Les faluchards ? Je sais pas trop quoi en penser.” La 3ème, qui est la plus courante, c’est : “Va pas chez eux mec. C’est des gros dégueulasses” ». Une mauvaise réputation qui s’est généralisée. Des refus à l’entrée des bars, des insultes voire des comportements violents, voilà ce à quoi les faluchards sont ponctuellement confrontés. « On a une tellement mauvaise image qu’on la soigne », confie Adrien. « Et on doit faire attention à cela maintenant ».
Il suffit pourtant de s’entretenir avec les faluchards pour se rendre compte que cette mauvaise réputation ne se base que sur des stéréotypes. À Metz, par exemple, humiliation et soumission n’ont pas leur place lors du baptême. « On ne fait vraiment pas de bizutage. La première chose qu’on m’a appris et que j’ai appris aux nouveaux, c’est qu’on a le droit de dire non si on n’a pas envie de faire quelque chose », explique Adrien. Lisa*, dont le baptême devrait arriver prochainement, n’est pas inquiète. « La personne qui va se faire baptiser pose ses limites, personne ne t’impose de faire des choses. La plupart des baptêmes se déroulent sans problème. » Tous insistent sur le fait que rien n’est jamais obligatoire. Et l’alcool, dans tout ça ? Avec leur réputation de gros buveurs, on imagine les soirées faluchardes bien arrosées. Mais là encore, Adrien tempère. « Ma meilleure amie s’est intégrée sans avoir à boire un seul verre. » Pas besoin, donc, de boire comme un trou pour être faluchard.
Vie et mort du faluchard
Séduits par la convivialité et la solidarité de cette grande famille, nombreux sont ceux qui, chaque année, souhaitent rejoindre les faluchards. Mais l’entrée dans l’association est très ritualisée et peut prendre de plusieurs semaines à plusieurs mois. Lisa explique “Sans le savoir, je fréquentais le bar où les faluchards se réunissent toutes les semaines. Après avoir sympathisé avec plusieurs membres, j’ai souhaité faire partie de l’association. À ce moment, il faut aller trouver les chefs de ta filière, te présenter à eux et exprimer ton envie de rejoindre les faluchards”. Une fois la demande formulée, l’aspirant faluchard doit choisir un parrain et une marraine, issus normalement de la même filière. Il s’agit parfois de deux parrains ou de deux marraines, l’important étant d’être guidé par deux personnes. Commence alors une période appelée l’impétrance. “Il s’agit de la période avant ton baptême, qui peut varier de quelques semaines à quelques mois. Tant que tu n’es pas baptisé, tu es impétrant. C’est l’occasion pour ton parrain et ta marraine de te tester un peu, en te proposant des défis à réaliser. Mais cela reste bon enfant”, explique la jeune étudiante. Durant cette période, l’impétrant, aidé par le parrain et la marraine qu’il a choisi, se familiarise avec les traditions des faluchards, en apprenant par exemple le code de la faluche, disponible sur internet.
Puis vient l’heure du mythique et très fantasmé baptême, dont la date est choisie par les chefs. Seuls les faluchards baptisés peuvent y assister. Cette cérémonie a pour vocation de prouver aux autres membres, et notamment aux chefs, que l’on est digne de faire partie de cette grande famille. Pour cela, le futur baptisé va devoir se soumettre à plusieurs épreuves. La nature de ces dernières reste volontairement secrète afin d’entretenir le mystère autour de cette étape symbolique et obligatoire à tous les faluchards. Toutefois, quelques recherches sur le web permettent de savoir de quoi il s’agit (attention spoiler). Si chaque baptême est différent et personnalisé, on retrouve tout de même des épreuves incontournables, comme le Codum, soit des questions sur le code de la faluche, et le Cantum, qui consiste pour le futur baptisé à prouver sa connaissance des chansons paillardes de sa faculté. Certains ont également droit au Vinum, durant laquelle est testée la capacité de résistance à l’alcool, ou bien le Sexum, dont les règles semblent changer d’une ville à l’autre mais qui comporte souvent la simulation d’un acte sexuel ou l’exhibition des parties génitales. Mais là encore, rien n’est obligatoire. “En tant que Grand Chambellan, j’avais un point d’honneur, c’était de ne jamais faire ce que le baptisé ne voulait pas. Quand j’allais les voir, je leur demandais ‘Est-ce que vous avez des limites ?’” raconte Valentin. Lui-même, lors de son baptême, a refusé tous défis liés au sexe : “Je n’aime pas la nudité, je trouve ça avilissant”. L’objectif du baptême étant avant tout de passer un bon moment, aucun faluchard n’est jamais obligé d’aller au delà de ses limites. Après les différentes épreuves, le baptisé est invité à réciter le serment du faluchard, qui marque officiellement son entrée dans la communauté. Il devient alors à son tour porteur de toutes ces traditions et peut désormais se coiffer de la faluche, également baptisée dans certaines villes.
Le baptême est l’une des cérémonies les plus importantes puisqu’elle conditionne l’entrée dans la communauté. Mais d’autres événements peuvent venir rythmer la vie d’un faluchard. Lors d’un déménagement, par exemple, il est possible de confirmer ses voeux dans sa nouvelle ville d’étude lors d’une confirmation. Cette cérémonie peut également avoir lieu lors d’un changement de filière. La confirmation ne doit pas se confondre avec l’adoption, “un événement officialisant un lien amical fort et réciproque entre l’adopté et les faluchards de la ville/filière adoptive. On peut adopter par exemple un faluchard qui —depuis longtemps— est présent très régulièrement dans une ville qui n’est pas la sienne”. Autre événement : le mariage – d’amour ou d’amitié – entre deux faluchards, sous l’égide d’un des trois Évêques de France. Enfin, celui qui souhaite quitter les faluchards (généralement à la fin de ses études, même si cela n’est pas obligatoire) peut organiser l’enterrement de sa faluche.
Au delà de la symbolique, chaque cérémonie est en réalité un prétexte pour se réunir et s’amuser ensemble. Car là est la motivation première de ceux qui rejoignent les faluchards : partager de bons moments.
Oh artilleur mon frère
De Nancy à Metz en passant par Strasbourg, être faluchard a permis à Adrien de rencontrer énormément de monde. C’est d’ailleurs le leitmotiv de la plupart des personnes qui aspirent à franchir le cap du baptême. Dans son mémoire, Isabelle Fayemendy a mené une enquête sur les motivations à devenir faluchard : « De nombreux questionnés considèrent la faluche comme un « véritable catalyseur de rencontres » (questionnaire 66). La faluche rassemble des étudiants venus de « tous les horizons », c’est un « melting pot social et culturel » (questionnaire 79). On retrouve dans les tableaux 7 et 8 de notre annexe 1 ces dires : lorsqu’ils définissent leur coiffe, ils parlent de « communauté » et d’ « étudiants ». La notion de rencontre est elle aussi très répandue dans les esprits.
Pour Valentin, l’aventure falucharde aura aussi été bénéfique. « Ça m’a permis de sortir de ma timidité, de m’ouvrir, de parler à des gens que je ne connaissais pas, de gagner confiance en moi » s’enthousiasme-t-il. Lisa a quant à elle été séduite par la « bonne ambiance » et le « bon esprit », qui lui ont donné envie de rejoindre cette communauté. Pour Adrien, il est surtout question de solidarité : « On ne laisse pas un faluchard dormir dehors s’il n’a pas de transports pour rentrer chez lui après une soirée ». Pour se rendre compte de cette fraternité, il suffit de taper « faluchard » dans la barre de recherche du réseau social Facebook. Parmi les résultats, de nombreux groupes d’entraide et de partage, comme celui dédié au covoiturage entre porteurs de chapeau. Pas si dégueulasses, les faluchards.
* Ce prénom a été modifié.
Camille Bresler,
Annabelle Valentin,
Marine Van Der Kluft