Alors que la rénovation du Palace par Kinepolis a débuté le 6 janvier dernier, le combat d’AGICAM (Association gardons indépendants les cinémas de l’agglomération messine) et du Ciné-Collectif ne s’achève pas pour autant. Chronologie d’un monopole qui agite la ville et dont certaines questions restent sans réponses.
Depuis sa présentation publique le 21 janvier 2016, la modernisation des cinémas messins par Kinepolis fait polémique. Elle prévoit la rénovation du Palace et la fermeture du Caméo-Ariel, ainsi que l’ouverture de deux nouveaux complexes aux centres commerciaux Muse et Waves. AGICAM et son président, Bernard Leclerc, militent pour l’indépendance de la « ZAC » (Zone d’activité cinématographique), en proie à un projet qui « n’a jamais été évoqué au niveau de la démocratie participative ». Un manque de débat dont la finalité laisse un goût amer. Metz, « l’une des rares villes de cette importance à avoir tous les cinémas gérés par le même distributeur » note le président.
Un projet, en apparence, bien fondé
Au terme du conseil municipal du 26 janvier 2016, un bail emphytéotique (contrat avec lequel la ville cède son statut de propriétaire à la société Kinepolis pour 27 ans) entérinait le projet. Voici les grands principes de ce dernier, énumérés dans le registre des délibérations :
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Le maintien de la labellisation « Art & Essai » à la réouverture du cinéma Palace.
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2,5 millions d’euros pour rénover et remettre aux normes le bâtiment.
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La reprise des salariés Caméo et Palace.
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Le maintien de tarifs attractifs et de formules d’abonnements.
D’après le registre, les rénovations de Kinepolis répondent à une sous-exploitation du potentiel d’accueil en matière d’Art & Essai. Le cabinet Gérard Vuillaume estimait en 2012 à « 300 000 entrées par an pour un cinéma de centre-ville rénové et animé » contre seulement « 91 000 entrées faites actuellement ». Hacène Lekadir, adjoint à la Culture, enfonce le clou et mentionne « une fréquentation en baisse constante depuis des années ». Il justifie également la fermeture du cinéma rue du Palais qui, « en tant qu’Établissement recevant du public », ne respecte pas les normes PMR (personnes à mobilité réduite).
Un combat populaire et juridique
Mais l’argumentaire n’effraie pas AGICAM et le Ciné-Collectif. À plusieurs reprises, ils bravent le monopole belge par mobilisation publique. Le 25 novembre 2017, une chaîne humaine entre le Palace et le Caméo est organisée. Le 6 janvier dernier, les manifestants se sont rassemblés à l’occasion de la dernière séance du Palace. Bernard Leclerc peut aussi compter sur certains soutiens politiques, dont « le Parti Communiste Français, Europe Écologie Les Verts, les Jeunes Communistes et Christine Singer [conseillère municipale à Metz] qui s’est beaucoup mobilisée ».
Ce n’est pas tout. Le 24 mars 2016, le président d’AGICAM dépose un recours auprès du Tribunal Administratif de Strasbourg. « Hacène Lekadir disait : « ils vont reprendre les salariés, on va contrôler les prix… Et pour nous, c’était pas réaliste » soutient-t-il. « Cela a été confirmé par l’avocat de la ville [Nicolas Olzack], qui nous a écrit que : ‘‘les engagements, c’est des engagements de principe’’ ». En d’autres termes, rien n’oblige Kinepolis à les respecter.
Bernard Leclerc s’oppose également à la procédure de gré à gré pour laquelle la mairie a opté. « Apparemment, c’est Kinepolis qui s’est porté volontaire comme ça » affirme-t-il. Une démarche qui manquerait de transparence selon Jean-Pierre Mourot, autre membre d’AGICAM, mais qui correspond à ce qui figure dans le registre des délibérations. « Trois sociétés ont manifesté leur intérêt : Kinepolis, CGR et Ciné-Ville » peut-on y lire.
Finalement, l’association est déboutée le 20 décembre 2017. Le président raconte que « l’affaire n’a pas été jugée sur le fond, elle a été jugée irrecevable [sur la forme]. Il aurait fallu déposer un recours non pas contre la décision du conseil municipal mais contre le contrat entre Kinepolis et la ville de Metz ». Mais le combat ne s’arrête pas là.
Des documents confidentiels ?
Le plus troublant concerne l’existence de documents « sensibles », voire confidentiels, que l’association et Christine Singer ont souhaité consulter. Le 26 mai 2016, la conseillère municipale de Metz adresse une question relative au projet Kinepolis. Une annexe concernant les travaux de rénovation devait lui parvenir le 31 mars. « Je ne l’ai pas reçu de manière officielle » avoue-t-elle, lorsqu’elle évoque « un document ni signé, ni daté […] qui ne vaut rien ». Christine Singer est formelle : « À chaque fois que j’ai demandé ces documents, je n’ai jamais rien reçu ! ».
Voici la réponse du maire, telle qu’enregistrée en conseil municipal le 26 mai 2016 : « le document évoqué est constitutif d’une annexe au bail emphytéotique […] Il ne s’agit ni d’une étude technique détaillée […] mais bel et bien d’une liste de travaux telle que cela était prévu et annoncé ». En l’état, le document ne serait donc pas constitutif de la moindre faute.
Le 21 juillet 2017, AGICAM saisit la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). La démarche est motivée par une autre pièce, transmise par le cinéma d’Ars-sur-Moselle à l’association, où deux correspondances entre Kinepolis et la cité messine sont mentionnées. L’une date du 10 février 2013, l’autre du 30 juillet 2014. Le fait est que si Metz et le géant belge ont bel et bien conversé en 2014, le monopole pourrait avoir été décidé avant l’annonce du projet. Une hypothèse qui ne fait aucun doute pour Christine Singer, qui considère que « tout a été fait d’avance ».
En août 2017, sans réponse, Bernard Leclerc dépose un nouveau recours au Tribunal Administratif. L’affaire est encore en cours et AGICAM espère, à terme, obtenir les fameux courriers. Dans un article du Républicain Lorrain, Hacène Lekadir affirme être à bout d’arguments. « La ville n’a rien à cacher sur ce dossier. Elle a donné les documents demandés à la CADA mais elle ne peut pas donner ceux qu’elle n’a pas ! ».
Circonstances aggravantes
La réticence de la mairie a de quoi faire douter. Robert Laborie, directeur du développement à CGR, se souvient du projet qu’il avait défendu. « Il n’y a pas eu d’appel d’offres » soutient-t-il. « Ça a été fait un peu comme ça. Quand c’est une municipalité qui fait quelque chose, elle n’a pas le choix de dire, comme un privé, ‘‘ah ben je décide que c’est tel ou tel’’ ». Lui aussi pense que le monopole de Kinepolis a été négocié quand il dit avoir été « écarté assez vite » du dossier.
Le directeur revient également sur un autre aspect de l’affaire. Il réfute ce qui figure dans le registre des délibérations du 21 janvier 2016, et plus particulièrement le fait que « trois sociétés ont manifesté leur intérêt ». « Au tout départ, on avait le projet de Montigny-lès-Metz, point » raconte-t-il. « C’est après qu’on rencontre des municipalités. Elles ont voulu qu’on regarde ce qu’on pouvait faire au centre-ville ». De quoi de nouveau contredire le discours de la mairie.
Alexis Zema