Attente de son avion en direct, atterrissage de son avion en direct, arrivée de sa navette en direct, c’est une édition presque entièrement consacrée à l’arrivée du soldat Cassez en France que nous avons pu vivre sur les chaines d’info en continu comme sur France 2, chaine de service public. Un dispositif disproportionné ? Oui mais pas seulement.
Le long feuilleton Florence Cassez vient de s’achever, et de quelle manière. La Française, détenue depuis sept ans au Mexique pour enlèvement, séquestration et dont le procès a été pointé du doigt comme inéquitable, est devenue depuis plusieurs années un objet médiatique important ayant ses soutiens jusqu’au sommet de l’État. Comme le souligne habilement Daniel Schneidermann, cette affaire « est devenue au fil des ans une grande cause nationale, comme la sauvegarde de la sidérurgie ou de la diversité fromagère, et a été traitée comme telle. »
On peut, dans cette édition spéciale du 13h de France 2, distinguer trois erreurs majeures : la disproportion du dispositif de couverture, les biais de traitement de ce dossier et le rajout d’une dimension mélodramatique dans une affaire strictement judiciaire.
Un dispositif excessif
Un JT « spécial » pour l’arrivée de Florence Cassez, donc. 80 minutes d’émission, logo spécial à l’appui, au sein de laquelle cette affaire aura presque éclipsé le reste de l’actualité: 23 minutes lui ont été consacré contre 57 minutes pour Florence Cassez, ce qui représente 71% du JT. Rien que ça ! Au-delà des questions légitimes que soulève un tel traitement, le véritable écueil de cette disproportion vient en deuxième partie du journal, intégralement dédié à l’attente Florence Cassez à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Plusieurs dizaines de minutes où reporters et présentatrice n’auront strictement rien à dire de plus que d’annoncer l’arrivée imminente de Florence Cassez.Plusieurs dizaines de minutes où la densité de l’information frôlera le zéro pointé. Peu d’information nouvelle, pas ou peu d’images à fournir mais puisqu’il faut bien alimenter le moulin, les commentateurs, en plus de répéter les mêmes informations en boucle jusqu’à risquer l’indigestion, se contraindront à commenter chaque soubresaut de l’évènement, quitte à commenter l’incommentable. Et même après les premiers pas de Cassez devant les caméras de télévision, on pourra encore entendre des commentaires de haute volée sur le maquillage de cette dernière : « nous venons de lui parler, elle est extrêmement détendue, très maquillé. »
Le corps de Yann Desjeux,l’otage français mort en Algérie est arrivé ce matin à Roissy, il n’ a pas eu le même accueil que Flo Cassez #Honte
— Pascale Assor (@pascalepop) Janvier 24, 2013
Pourquoi journalistes ne couvrent pas les obsèques de Denis #ALLEX qui a donné sa vie pour la France? Florence #Cassez elle a donné quoi?
— FM LAMBERT (@fm_lambert) Janvier 24, 2013
Traitée comme une otage libérée
En regardant le journal télévisé de ce jour sur France 2, il était frappant de constater à quel point on a joué et usé de la sémantique habituellement déployée pour les otages relâchés par leurs ravisseurs. Les mots sont les mêmes, les images sont les mêmes: aujourd’hui, on aurait cru voir Florence Aubenas revenant d’Irak, on aurait cru voir Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier revenir glorieusement sur le sol Français. Florence Cassez, pourtant, n’a rien d’une otage libérée et la confusion opérée est gênante. Cela revient à mettre sur des plans semblables les mouvements terroristes et les griffes corrompues de la justice mexicaine. Le parti pris affiché des médias français à ne retenir que les éléments victimisant biaise la représentation des évènements. Le dossier Cassez est une affaire judiciaire qui mérite un traitement neutre. Présenter Florence Cassez comme une innocente victime n’est peut-être pas faux, puisqu’elle est peut-être innocente, mais déroge à l’obligation qu’ont les médias de soulever toutes les parts d’ombre entourant cette affaire, obligation qu’ils ne remplissent qu’à moitié. Ce 13h nous en a encore fourni la preuve puisqu’il n’est question que de soulagement général et de congratulations enthousiastes autour de cette libération. Quand on en vient à aborder le sentiment de la population Mexicaine, Élise Lucet demande à une reporter « Est-ce que la majorité de la population mexicaine accueille favorablement cette libération ou est-ce qu’il y a encore des réticences ? » Serait-il anormal d’avoir des réticences ? Serait-il évident de se réjouir ? L’annulation d’une condamnation pour cause de procès inéquitable ne rend Florence Cassez ni innocente ni coupable des faits qui lui sont reprochés. La reporter n’a visiblement pas retenu ce détail puisqu’elle n’hésite pas à parler d’« injustice ». Et les questionnements faisant la part des choses ? Et le recul nécessaire à ce genre d’affaire ? Trop rares depuis sept ans.
Moteur… et action !
« Émouvant », « c’est beau », l’avocat qui n’a « rien lâché », Florence Cassez qui a toujours été « libre dans sa tête », tout le vocabulaire du registre sentimental, émotionnel, y passe. Le retour de Florence Cassez est ainsi soigneusement mis en scène. Tout y est pensé pour raconter, telle une fiction scénarisée, ces retrouvailles à hauteur d’homme, enfin de femme.
« Depuis quand n’avez-vous pas pris votre fille dans vos bras ? » demande Mme Lucet à Charlotte Cassez, la « maman » de Florence. Les « séquences émotions » se suivront tout au long du journal. Souvent au détriment de l’information.
Pas de doute, on fait bien ici face à un de ces épisodes d’emballement médiatique, où l’émotion balaie tout sur son passage : l’esprit de mesure, la déontologie professionnelle, le traitement équilibré. Le plus étonnant est que ces épisodes reviennent de façon cyclique, avec une mise en scène et un storytelling qui confinent aux clichés.