Après 14 années à côtoyer les meilleurs hockeyeurs au monde, Andreï Esipov, 42 ans, joue désormais à Metz, au quatrième échelon du hockey français. Tombé amoureux de la France et incapable de raccrocher les patins, le CV du Russe fait de lui un OVNI dans cette ligue amateure.
Moins de 30 minutes avant le coup d’envoi de ce Metz-Strasbourg ce samedi 12 novembre. À l’intérieur du vestiaire caché dans un coin de l’Aren’Ice de Metz, l’atmosphère est encore à la rigolade. Les plaisanteries fusent tandis que les douze joueurs se jettent scotch et baume de tigre en enfilant les innombrables couches de leur armure de hockeyeurs. Au centre, un pack de bières et une enceinte crachant du Kaaris comme du ACDC trônent sur la table.
Discrètement assis dans un coin du vestiaire, Andreï Esipov a lui déjà la tête dans le match. Arrivé en dernier dans le vestiaire, la faute à un échauffement minutieux, le Russe de 42 ans, ne lâche pas un mot. La mine renfrognée sur sa grande carcasse, il laisse les plus jeunes faire l’animation. Jusqu’à ce que, d’un regard vers le gestionnaire de la sono, la musique coupe net pour un discours d’avant match express. Simple et efficace, comme lui. « Andreï n’est pas celui qui parle le plus mais il sait se faire écouter » décrit Bryan Le Héron, son coéquipier et manager général.
Il faut dire que s’il a arrêté le sport professionnel il y a deux ans, l’instinct de compétiteur ne l’a jamais quitté. Une mentalité inculquée dans son pays natal par 153 matchs en Kontinental Hockey League, le plus haut niveau européen. Désormais entraîneur joueur au Metz Hockey Club en division 3, quatrième échelon du championnat de France composé d’amateurs, le défenseur gauche apprécie sa nouvelle vie messine malgré ce grand écart.
Leader sur et en dehors de la glace
Si le poids des années peut se faire ressentir dans les jambes, Andreï Esipov reste un cran au-dessus des joueurs de sa catégorie. À Metz, il inscrit 6 buts en 14 matchs l’an passé. Soit autant qu’en 6 ans de Ligue Magnus, l’élite du hockey français, avec ses anciens clubs Bordeaux et Mulhouse. Son niveau technique et sa rigueur dans ses interventions témoignent de sa carrière dans le gratin européen et en sélection nationale.
Repère technique sur le terrain, le numéro 14 porte aussi sa casquette de coach sur la glace. Par sa voix grave, à l’accent russe, accompagnée de grands gestes, ce dernier guide sans relâche les Graoully de Metz. « Même en jouant, il a du recul sur le match » s’étonne Bryan Le Héron. Sur le banc, il donne du « Allez les rouges on lâche rien » et les consignes tactiques s’enchaînent, en français comme en anglais.
L’ancien joueur prend son rôle d’entraîneur très à cœur. « C’est vrai qu’avec le boulot, les matchs et les deux entraînements à préparer chaque semaine, je n’ai pas trop le temps de regarder Netflix confie-t-il. Mais ça me fait plaisir. Cela me permet de poursuivre ma passion. » Star de l’équipe par son CV, sa priorité est la transmission aux plus jeunes comme le raconte Alexander Shopalov, à l’essai dans l’équipe mais déjà charmé par son compatriote. « C’est un très bon coach pour former les joueurs. Il connaît tout sur tout ce qui concerne le hockey. C’est un atout pour les jeunes Français ».
La France comme Mère Patrie
Arrivé il y a 2 ans en Moselle, Andreï Esipov pourrait bien y rester pour le reste de sa vie. En 2014, alors qu’il avait des opportunités en deuxième division russe, il choisit de partir pour l’Hexagone en signant à un niveau moins prestigieux et débarque à Bordeaux (D1). Une décision motivée par la promesse d’une vie plus confortable. Devenu bilingue depuis, le Russe ne voit plus la France comme « une destination touristique où l’on passait quelques jours avec ma femme ».
Il espère même décrocher la double nationalité, l’une des raisons de son arrivée à Metz. En effet, grâce à un partenaire du club, il a décroché un emploi chez un fabricant de compteur thermique. « Le CDI c’est quelque chose de très important pour avoir la nationalité française », raconte-t-il. Une preuve de son attachement pour la France qu’il a transmis à son fils Ivan. Né à Moscou, ce dernier possède déjà la nationalité française, « un choix qu’il a fait seul« . Comme son père, le fils brille aussi sur la glace avec Mulhouse en Ligue Magnus. Et, comme un symbole, il porte également le maillot de l’Equipe de France de hockey.
Son avenir, Andreï Esipov souhaite continuer à l’écrire en France et veut « profiter sur la glace le plus longtemps possible« . À Metz, il se projette même et vise un objectif bien précis : la montée. Compétiteur et ambitieux, ce dernier espère « aider le club à grandir en améliorant les infrastructures et en renforçant le budget. J’espère donc que l’on va vite monter ». Pour autant, sa modestie le rattrape toujours. « Mais je n’aime pas parler de ce qu’on veut faire. Déjà on va jouer nos matchs, s’entraîner et faire bien le boulot. Après on verra. ». Cela semble bien parti. Après leur victoire 5-1 contre Strasbourg, avec une passe décisive de leur coach, les Graoullys pointent en tête du championnat après cinq journées.
Elias Mulhstein, Morgan Kervestin
Photos Maxime Lecou