Férue d’actualité et ses crayons en main, la dessinatrice Catherine Créhange est une personnalité à part. Rencontre à la MJC Pichon de Nancy, où elle exposait “En peignant la girafe”, une centaine de dessins ironiques et critiques qui retracent le mandat de Nicolas Sarkozy.
Plus de 5200 personnes la suivent sur Twitter. A première vue, Catherine Créhange, la cinquantaine, a l’allure d’une artiste réservée. Lunettes rondes sur le nez, cheveux en batailles, elle nous accueille avec un faible sourire, et un collier-moustache autour du cou. La dessinatrice nous laisse découvrir ses dessins, accrochées sur des cordes par des pinces à linge, accompagnés d’une petite fiche explicatives. Le fruit de quatre ans de travail quotidien sur l’actualité. Catherine, artiste ou journaliste ?
Tous les enfants dessinent, moi je n’ai jamais arrêté
Le déclic vient en 2008, à la suite d’un grave accident. De chez elle, la Nancéienne gribouille des dessins qu’elle publie sur son blog. Inscrite sur Facebook, elle retrouve d’anciens collègues journalistes. L’un d’eux va lui donner de l’élan. “Il m’a poussé à arrêter les dessins de chiens et de télé, et à me mettre à l’actualité”. Car Catherine dévore les journaux au quotidien, pourrait commenter les dernières informations pendant des heures. Elle suit l’idée de son ami, “avant tout par volonté citoyenne, et pour expliquer au public des choses dont il n’a pas forcément conscience”. Elle utilise les réseaux sociaux pour questionner les journalistes, réticente à l’idée d’exprimer son opinion. Lors d’une séance de kinésithérapie, son docteur lui conseille de faire travailler son bras une fois par jour, “comme un dessin par jour”. L’artiste gardera le rythme quatre années durant. Et quel meilleur sujet à traiter au quotidien que le chef de l’Etat ?
Les frasques de Nicolas Sarkozy sont du pain béni pour la dessinatrice satirique, qui l’avoue sans mal, elle n’aurait “jamais voté pour lui”. Quand elle parle de politique, ses mains baguées s’agitent. Catherine se révèle engagée (elle siège depuis peu au conseil national du MoDem), passionnée et éclairée.
Ce regard critique sur ce qui l’entoure, Catherine Créhange l’a toujours eu. Gamine, elle s’exprime par le dessin, dans une famille peu tournée vers l’art. Un père ingénieur, une mère professeur : la jeune fille choisit elle de vivre dans ses crayons. “Tous les enfants dessinent. Moi, je n’ai jamais arrêté”. L’art devient un exutoire et une façon de dire ce qu’elle pense tout bas : “A la fac, je faisais plein de caricatures pendant les cours. Un jour, un professeur me les a confisquées. Je l’ai revu il y a quelques temps, il les a toujours !” raconte t-elle, l’air amusé.
France 3 a été mon école
Après un échec en architecture, Catherine Créhange passe cinq années aux Beaux-Arts de Nancy. C’est là qu’un média va entrer dans sa vie, pour ne plus la quitter : France 3 (FR3 à l’époque) lui propose d’illustrer des contes pour enfants. Plus tard, elle dessine pour les reportages, la météo ou les variétés du “12/13” régional. Elle l’affirme : “France 3 a été mon école”, en particulier dans le domaine des innovations, où la rédaction est toujours en avance selon elle. Catherine Créhange commence à se faire un nom. C’est là aussi qu’elle aiguise son goût pour l’actualité, se fait des amis, et y rencontre son compagnon, Jacques, sans qui “cette exposition n’existerait pas”. Lors de l’affaire Grégory, Catherine réalise diverses illustrations pour des radios et des télévisions nationales. Pendant toute sa carrière, elle chérira cette proximité avec les journalistes et enchaînera les petits boulots dans les rédactions.
Battante
“Animal à plumes et à pinceaux” telle qu’elle se décrit sur Twitter, elle est aussi pleine d’ambition, marquée par ses expériences, ne recule devant rien. Elle a trente ans lorsqu’un accident l’oblige à arrêter le travail. Les yeux bleus baissés, Catherine ne s’étend pas sur le sujet, mais avoue en avoir gardé des “séquelles”. Pourtant, la jeune femme garde sa plume en main, et en profite pour créer une dizaine de blogs. Rétablie, elle réalise plusieurs projets en tant que graphiste, fait deux formations pour reprendre le fil des innovations technologiques, et sera même attachée de presse. Elle avoue être un “chef de bande” dans le travail, et ne se fixe jamais d’heure pour rentrer chez elle le soir.
Des projets qui se dessinent
C’est sans doute pourquoi, après dix ans de carrière, en 1997, elle décide de monter sa propre boîte de graphisme, Crealmedia, avec ses parents. Elle donne d’autres raisons : “Ça devenait difficile de trouver du travail, j’avais 35 ans, on me disait que j’étais trop vieille. Et j’avais des clients à disposition.” Mais son blog est sa plus grande fierté. L’aboutissement d’années de labeur, et surtout l’accès à la reconnaissance professionnelle. “Des journalistes ont été étonnés quand ils m’ont rencontré, ils m’avaient pris pour un homme. Il ne s’était pas posé la question” s’amuse t-elle. Un regret ? “Ne pas avoir trouvé d’éditeur. Mais tout est encore possible !” Dans un sourire, Catherine partage son envie de publier un livre, mais les détails sont encore flous : “Je ne me fixe pas de buts à atteindre. Ça me permet de ne pas être trop déçue quand ça ne marche pas, et de me donner des ambitions raisonnables.”
Aujourd’hui, Catherine Créhange semble épanouie. Finalement, graphiste, illustratrice ou dessinatrice, le statut importe peu. L’essentiel est de poursuivre son chemin. Elle regarde derrière elle sans amertume. Sociable, bosseuse, elle s’impose tout de même des temps d’arrêt : “Quand je suis dans le train, je prends un bouquin ennuyant et ça me permet de commencer à observer ce qu’il se passe autour de moi, à réfléchir … C’est très important de s’ennuyer !” A la vue de la centaine de dessins pendus dans la MJC de Nancy, on a du mal à y croire.