Le journalisme de sport s’associe depuis peu à la science pour proposer une nouvelle grille de lecture rigoureuse et pragmatique à une matière éminemment émotionnelle. À l’occasion de la 17ème édition des Assises du journalisme de Tours, une conférence mettant en lumière ces évolutions était organisée.
Mêler le journalisme de sport et la science n’est pas chose aisée, mais cela offre aux lecteurs un tout autre éclairage. Toutefois, cette association entre ces deux domaines éloignés est une tendance contemporaine. « Aborder les questions scientifiques relatives au sport de haut niveau n’était pas le premier réflexe dans les années 90 », explique Damien Ressiot. L’ancien journaliste d’investigation au journal l’Équipe et l’actuel directeur au département enquête de l’Agence de lutte contre le dopage se souvient de cette époque où les journalistes sportifs « étaient très médiocres, dans l’impossibilité d’apporter un contradictoire » aux propos scientifiques.
Depuis, les grandes affaires de dopage comme Festina ont bouleversé la manière de traiter le sport. Il était l’un des premiers à suivre une formation scientifique à côté de son travail. Une expérience qui lui a permis de mieux comprendre la matière mais aussi de se constituer son réseau scientifique : « c’est fondamental quand on est journaliste de sport », analyse-t-il aujourd’hui.
Le journalisme de sport, un milieu qui délaissait la science
Cependant, sans s’en rendre compte, cette association s’est propagée dans toute la profession spécialisée. Quand on parle à Marie Thimonier, journaliste indépendante spécialisée dans les questions sportives et de genre, des sources qu’elles mobilisent pour rédiger ses articles, elle constate. « En me faisant la réflexion, oui, je fais appel à des scientifiques pour mes sujets ! Pour expliquer des sujets sur le corps des sportives par exemple, il faut faire appel à la science pour déconstruire certaines idées .»
Sociologues, physiciens, climatologues, psychologues, médecins du sport : nombreuses sont les spécialités scientifiques en lien avec la pratique sportive. « Comment comprendre le sport sans comprendre la physiologie du corps ? », s’interroge Damien Ressiot. Pour lui, les deux disciplines ont tout intérêt à travailler main dans la main. « Cet enrichissement entre journalisme de sport et scientifiques est mutuel. Beaucoup de scientifiques n’imaginent même pas l’intérêt qu’ajoute leur expertise », explique-t-il, mettant en avant l’intérêt pour le lecteur d’obtenir un éclairage scientifique de qualité.
De plus, et même si les études sur le sport manquent, surtout concernant la pratique sportive des femmes ou les sports mineurs, les scientifiques sont souvent ouverts aux questions des journalistes. « Ce qui est bien avec le sport, c’est la présence de passion; et de nombreux scientifiques sont passionnés », explique Vincent Bordenave, journaliste sciences au Figaro. « C’est donc assez facile de trouver des scientifiques passionnés par le sport ».
Pour vulgariser, le journaliste de sport marche sur des œufs
Toutefois, un débat subsiste au sein de la communauté : les journalistes de sport doivent ils faire relire leurs articles aux scientifiques interrogés ? Certains répondront oui afin d’assurer la bonne citation des sources ainsi que la compréhension auprès des lecteurs. C’est le cas de Vincent Bordenave qui, pour éviter les écueils, préfère recontacter ses sources une fois l’article fini. « Comme je réécris beaucoup ce que me disent mes sources, je prends le temps d’avoir un échange supplémentaire pour être sûr de ne pas faire d’erreurs. » Marie Thimonier préfère également « faire relire plutôt que d’écrire des bêtises sur ces sujets. Comme il y a un travail de vulgarisation, il vaut mieux faire relire pour ne pas déformer les propos. » D’autres répondront non aux motifs que certains scientifiques demandent a posteriori la modification de leurs paroles voire la rétractation de l’émotion, jugée comme un manque de sérieux. Pour ne pas tomber dans ce piège ténu, Vincent Bordenave suggère simplement « de proposer une vulgarisation au moment de l‘interview, que chacun peut valider. »
Martin Bertrand