Le 2 novembre 2024, Ahoo Daryaei, une jeune étudiante iranienne, a osé briser le tabou du voile obligatoire en se déshabillant sur son campus. Un acte de résistance qui s’inscrit dans une longue histoire de revendications féminines en Iran, depuis la révolution islamique de 1979.

Ahoo Daryaei n’a que vingt ans, mais son acte est celui d’une rébellion qui en a le double. Lorsque cette étudiante Iranienne retire son voile et se déshabille sur son campus, elle dépasse la simple protestation : elle réveille la mémoire d’une lutte continue pour les droits des femmes en Iran. L’action de Ahoo lui a cependant valu une arrestation immédiate. Ce geste, aussi audacieux que symbolique, fait rapidement le tour des réseaux sociaux, où les appels pour sa libération se multiplient. Depuis son arrestation, des manifestations de soutien ont également eu lieu dans plusieurs pays du monde. Ce geste pourrait marquer une rupture historique pour le pays.

La mémoire d’une révolte

Pour beaucoup, cette protestation s’inscrit dans une histoire de résistance féminine marquée par des décennies de luttes depuis la révolution islamique de 1979. Cette année-là, le quotidien des femmes en Iran est transformé par des lois qui restreignent leur liberté de mouvement, de parole et de tenue. Le port du voile est rendu obligatoire pour toutes. Les Iraniennes voient leurs libertés réduites à l’espace domestique, loin des aspirations et espoirs qu’elles nourrissaient avant la révolution. Mais cette répression n’a pas étouffé leurs voix. Bien au contraire : elle a donné naissance à une série de résistances, parfois discrètes, parfois visibles, comme celle d’Ahoo Daryaei.

L’histoire d’Ahoo fait écho à une autre. «Cela me rappelle les événements qui ont suivi la mort de Mahsa Amini », confie une mère iranienne de 50 ans, qui voit dans cette mobilisation un prolongement du mouvement de protestation qui avait embrasé le pays en 2022. La jeune femme de 22 ans est décédée en septembre 2022 après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal porté son hijab. Une disparition qui a suscité une vague d’indignation, marquant un tournant dans la lutte pour les droits des femmes en Iran et provoquant des manifestations contre le régime. Depuis, « les jeunes filles sont plus conscientes de leurs droits et plus courageuses que nous l’étions », raconte Mina, Iranienne de 32, qui suit les mobilisations depuis son village. Pour elle, « ce mouvement est un cri silencieux contre la répression et une rébellion contre des croyances archaïques qui réduisaient les femmes à des objets sous le contrôle des hommes. »

La révolte des femmes sur les réseaux sociaux

Dans cette quête de liberté, les réseaux sociaux, bien qu’interdits dans le pays, sont devenus une arme cruciale pour les Iraniennes, leur offrant un espace pour dénoncer, partager et mobiliser des soutiens. « Aujourd’hui, les jeunes filles sont plus conscientes de leurs droits et plus courageuses que nous l’étions », affirme Mina, contactée par messagerie sécurisée. Pour cette génération, les plateformes numériques représentent un prolongement de leur lutte, et des hashtags comme #FreeAhoo et #MahsaAmini sont devenus des symboles de ralliement. « Sur les réseaux, publier une photo sans voile ou partager une vidéo de protestation permet au monde entier d’être témoin de notre lutte. » Cette visibilité internationale donne à la cause iranienne un écho sans précédent, rassemblant des soutiens venant du monde entier.

Un combat pour toute une nation

Ali, un jeune Iranien ayant fui le pays à l’âge de 26ans, et un de ses amis resté en Iran, perçoivent cette lutte comme un combat qui va au-delà des droits des femmes. « Ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour la liberté des femmes, mais pour que chacun soit libéré de cette oppression quotidienne », explique l’ami d’Ali. L’instabilité économique et sociale, combinée aux pressions religieuses et morales imposées par le régime, rend la vie insoutenable pour de une grande partie de la population. Pour Ali, le port du voile est devenu le symbole le plus visible de cette oppression généralisée : « Imaginez un pays où toutes les femmes étaient voilées. Si elles pouvaient toutes choisir, ce serait une immense victoire contre des décennies d’oppression. » La révolte des femmes iraniennes est un symbole de résistance pour toute la population, et le jour où elles pourront se libérer de cette obligation marquera, selon lui, une victoire historique. « Ce mouvement n’est pas seulement un combat pour les femmes, mais pour tout un peuple assoiffé de liberté », estime Habibeh, Iranienne de 57 ans, en voyant dans les actions d’Ahoo et de ses pairs une force qui pourrait transformer profondément la société iranienne.

Une résistance générationnelle

Depuis les années 1990, malgré la surveillance constante, les Iraniennes multiplient les revendications pour plus d’égalité. Les campagnes pour les droits civiques, notamment autour du divorce ou de la garde des enfants, marquent le paysage social. Ces réformes sont souvent arrachées au prix de longues batailles, portées par des femmes prêtes à risquer leur liberté, parfois même leur vie.

Habibeh a vécu la révolution de 1979 et se remémore les premières années où le voile est devenu obligatoire. « J’avais sept ou huit ans à l’époque, et déjà, mon père refusait que nous sortions sans chador. À l’école, même nos couleurs préférées étaient interdites », se souvient-elle. Aujourd’hui, Habibeh se dit impressionnée par le courage de la jeunesse iranienne, qui ose exprimer ouvertement sa colère contre le régime. « Les actions de ces jeunes peuvent être, à la fois, une forme de résistance contre le gouvernement et une manière de réveiller les droits des femmes, » confie-t-elle. Elle voit en ces mobilisations une continuité générationnelle, chaque génération repoussant un peu plus les limites imposées par un régime patriarcal.