Depuis des décennies, nombreux·ses sont les jeunes des Outre-Mer qui quittent le cocon familial pour poursuivre leur parcours académique. Les valises posées à des milliers de kilomètres de leur famille, ces jeunes étudiant·e·s font face à de nombreux défis. Entre mal du pays, choc des cultures et parfois discrimination, l’intégration des ultramarin·e·s en Hexagone reste complexe.
Chaque année, environ 38 000 étudiant·e·s originaires des départements d’outre-mer poursuivent leurs études supérieures en Hexagone, dont 6 000 jeunes bachelier·ère·s, selon les derniers chiffres du ministère de l’Éducation nationale. Les motivations sont multiples. Certaines formations et le manque d’opportunités dans certains domaines dans les territoires d’outre-mer poussent nombre d’étudiant·e·s à élargir leurs horizons en métropole, quitte à laisser derrière eux famille et ami·e·s. Le choix de la ville ou de l’établissement est alors crucial et repose sur des critères variés : qualité des programmes, opportunités professionnelles, coût de la vie, présence d’une communauté antillaise ou réunionnaise, et même le climat. Un quart des Antillais·e·s et un·e Réunionnais·e sur sept vivent aujourd’hui en France hexagonale.
Choc culturel et défis du quotidien
Désireux·ses de se construire un avenir à la hauteur de leurs aspirations, ces étudiant·e·s font parfois face à des difficultés une fois arrivé·e·s en territoire inconnu. Différences de mode de vie, de mentalité, ou encore de style vestimentaire marquent leur quotidien. Ces écarts peuvent s’accompagner d’une méconnaissance générale des autres étudiant·e·s sur les Antilles ou les Outre-Mer, souvent source de maladresses, voire de stigmatisations. Les accents, par exemple, deviennent parfois des sujets de moqueries, alors qu’ils représentent une partie intégrante de leur identité. « On nous pose des questions maladroites, souvent dues à l’ignorance, et on doit composer avec des clichés ou des stéréotypes », témoigne une étudiante guadeloupéenne.
Après une prépa ECG (Économique et commerciale générale) au lycée de Baimbridge en Guadeloupe, Myriam fait le choix de poursuivre ses études à Kedge Business School à Bordeaux. Pour elle, la recherche de logement a constitué un défi majeur. « Trouver un appartement à distance implique de se lever à des heures décalées pour des visites virtuelles ou de se heurter à des refus de propriétaires, réticents à accepter des garants résidant en Guadeloupe. Certains exigent même une présence physique pour signer les documents. C’est vraiment quelque chose de pas facile, parce que le billet d’avion coûte cher et je ne pouvais pas me déplacer pour une simple visite. » Quant aux démarches administratives, elles se révèlent complexes et peu accompagnées. « On doit souvent se débrouiller seul·e, avec l’aide des parents, mais ce n’est pas toujours évident », confie Myriam.
Lauryla, étudiante en BTS à Metz depuis septembre 2024, parle d’un éloignement familial qui pèse lourdement sur le moral : « Quand ma famille dort, je suis réveillée, et quand je dors, eux sont en pleine journée. Je ne peux pas les appeler aussi souvent que je le voudrais. Le décalage horaire peut atteindre six heures. » Revenir sur son territoire d’origine est rare pour certain·e·s, à cause du coût élevé des billets d’avion. Si des étudiant·e·s peuvent rentrer deux fois par an, d’autres doivent patienter une ou deux années avant de retrouver leurs proches. Ne plus voir ses parents, partager un moment de tendresse ou simplement sentir leur présence au quotidien est une épreuve.
Le climat y est pour beaucoup et Myriam y met un point d’honneur : « Le climat, le froid, les températures négatives et mettre une doudoune, c’est vraiment le plus compliqué, c’est vraiment la chose à laquelle je ne m’habituerai jamais. » Troquer le soleil et la chaleur pour des températures négatives et des journées grises est parfois difficile.
Rester connecté·e à ses racines et trouver du soutien
Pour les étudiant·e·s ultramarin·e·s, préserver le lien avec leur culture est essentiel. Cela passe par des rencontres entre ami·e·s originaires des territoires d’Outre-mer, la participation à des associations ou encore la présence à des événements organisés par des Antillais·e·s. À la Sorbonne, l’association Sorb’Outremer s’attache à promouvoir les territoires d’Outre-mer tout en facilitant l’intégration des étudiant·e·s grâce à l’organisation de débats, de conférences et d’événements culturels. De son côté, Science Ô, fondée par des ultramarin·e·s de Sciences Po Paris, valorise les cultures des Outre-mer. Dans des villes comme Bordeaux, Toulouse, Montpellier ou encore en Île-de-France, des soirées et événements culturels dédiés aux Antilles et aux Outre-mer permettent de préserver un lien fort avec leur identité et de célébrer leur patrimoine dans un cadre chaleureux et fédérateur.
Science Ô, un exemple inspirant
L’association Science Ô se distingue par son engagement en faveur des étudiant·e·s d’Outre-mer, en valorisant leurs cultures et en facilitant leur intégration dans le milieu académique et professionnel. Le leitmotiv principal est de promouvoir l’égalité des chances et de lutter contre les inégalités sociales et culturelles auxquelles ces étudiant·e·s peuvent être confronté·e·s. Plusieurs dispositifs sont mis en place, comme des programmes de mentorat. Science Ô va au-delà de l’accompagnement académique en proposant des aides telles que la recherche de logement, de stage ou d’alternance. L’association organise des moments conviviaux, comme des conférences ou des soirées, pour renforcer le lien entre les étudiant·e·s et faciliter leur insertion. Philippe Legrix, coprésident de l’association, insiste sur l’importance de ces événements, soulignant qu’ils permettent de créer des liens solides entre les membres, mais aussi de sensibiliser la communauté étudiante aux spécificités et aux enjeux des territoires ultramarins. Initialement réservée aux étudiant·e·s de Sciences Po, l’association a élargi son accès aux personnes extérieures. Science Ô œuvre pour une meilleure reconnaissance des étudiant·e·s ultramarin·e·s en France hexagonale, et pour la mise en place de partenariats avec des institutions afin d’amplifier son impact et de pallier les difficultés liées à l’intégration.
Si certain·e·s prennent la décision de retourner chez eux·elles en cours de route, n’arrivant pas à surmonter toutes ces épreuves, d’autres continuent de se battre, en ayant à cœur de rentrer sur leur île natale après avoir connu des années à survivre loin de tout.