Le Canada a mis en place depuis l’année dernière, une enquête nationale et provinciale sur les femmes et filles autochtones disparues ou assassinées. Une « occasion de changer le système » pour les associations de femmes amérindiennes qui tiraient la sonnette d’alarme depuis des années.
Les chiffres officiels sont alarmants. En moyenne, trois femmes natives américaines par jour sont assassinées ou disparaissent sans laisser de traces. Soit 1181 femmes disparues ou retrouvées mortes au Canada depuis ces trente dernières années. Mais le nombre de victimes serait largement sous-estimé. Depuis peu, les associations et principales concernées ont fini par faire entendre leur voix auprès du gouvernement de Justin Trudeau. Le premier ministre a consenti à monter une commission d’enquête nationale. Celle-ci a, pour l’instant, révélé qu’en réalité 4 000 femmes autochtones auraient subies de telles violences dans l’indifférence générale.
Aujourd’hui, les familles des disparues veulent « Découvrir la vérité, honorer la vérité, donner vie à la vérité en vue de la guérison ». Elles sont appelées à témoigner et à participer à l’enquête. L’association femme autochtone du Québec publie depuis des années des mémoires à propos des discriminations et du racisme subis quotidiennement. D’après leurs études, elles forment un des groupes les plus désavantagés sur le plan socio-économique au Canada. Les femmes amérindiennes sont d’avantage touchées par la précarité et la pauvreté que les autres canadiennes. La raison ? Une colonisation violente et des mesures répressives prises à l’encontre de leur peuple.
Une loi assimilationniste
Pour comprendre, remontons un peu le temps. Au XVIIe siècle, à une époque où les colons britanniques et français entretiennent des relations économiques avec les membres des Premières Nations. Le commerce de fourrure, notamment, apporte une maigre protection aux communautés amérindiennes. Mais celui-ci périclite au tournant du XVIIIe siècle et la couronne britannique, qui convoite leur territoire et cherche à se les approprier, ne voit plus de raisons d’entretenir de tels liens.
Dans ce cadre, la loi 1876 ou Loi sur les Indiens est écrite et approuvée. Elle est le fruit d’un projet d’assimilation par le gouvernement fédéral. Le but est de déposséder les amérindiens de leurs terres et de faire disparaître progressivement les traits principaux de leur culture. Selon les associations de victimes, cette loi a profondément bouleversé l’équilibre social de leur groupe, notamment à travers l’imposition d’une vision occidentale de la femme, du couple et du mariage.
Toutes les questions autour des natifs américains y sont abordées, de l’élaboration de leur réserve à la création d’un système judiciaire spécifique. Les conséquences sont désastreuses, les structures de ces sociétés sont ébranlées. Le racisme gonfle dans le rang des anciens colons. Les femmes amérindiennes sont animalisées et deviennent dans l’imaginaire collectif, des sauvageonnes à civiliser. Les critiques sont virulentes envers leurs rites, coutumes et modes de vie. Le gouvernement cherche à les démanteler, à les modeler selon ses propres normes. Il met en place les pensionnats, destinés à accueillir les nouvelles générations des natifs pour les occidentaliser de force.
« Tuer l’Indien dans l’enfant »
Environs 150 000 enfants sont envoyés dans ces internats destinés à les évangéliser et à les assimiler. Le gouvernement fédéral et l’Eglise considèrent qu’il faut les « civiliser » et des pratiques drastiques sont employées. La langue des autochtones est interdite et violemment réprimée. Les conditions de vie sont extrêmement difficiles et plusieurs milliers de pensionnaires décèdent. Les jeunes amérindiens sont battus, parfois sexuellement agressés ou même violés.
« Il faut tuer l’Indien dans l’enfant, disaient-ils » témoigne Jimmy Papatie, ancien chef du village algonquin de Kitcisakik.
Les financements accordés à ces « écoles » sont insuffisants pour leur offrir de la nourriture en quantité suffisante. La faim, l’isolement et les règles stricts imposées laisseront à ces élèves de lourdes séquelles psychologiques et physiques. Par manque de moyens, le dernier pensionnat ferme ses portes en 1996.
Zone d’ombre dans la commission d’enquête
La vaste enquête lancée par le gouvernement de Justin Trudeau s’instaure dans sa politique de « réconciliation » avec les Premières Nations. Le Canada ne peut plus fermer les yeux sur les violences passées et celles perpétuées aujourd’hui. Ce « génocide culturel », tel que le désigne le juge canadien Murray Sinclair, et la brutalité avec laquelle les populations autochtones ont été traitées ont laissé place à de lourdes inégalités sociales et économiques. Cependant, les premiers résultats ne semblent pas satisfaire le Tribunal canadien des droits de la personne. Les militants doutent de la volonté politique du premier ministre.
En effet, l’enquête connaît depuis son lancement cinq démissions de membre de la commission. Ils lui reprochent d’être une institution aux pratiques trop… « Coloniales ». Le Canada semble ne pas être tout à fait prêt à tirer un trait sur son passé.