Depuis 2005, Serge Atlaoui est emprisonné en Indonésie pour trafic de drogue. Actuellement dans le couloir de la mort, un rassemblement de soutien est organisé par l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM), mardi 24 mars, à Metz et à Paris. Nous avons rencontré André, son frère.
Il y a près de dix ans, votre frère a été arrêté en Indonésie. Comment l’avez-vous appris ?
André Atlaoui : « C’était en novembre 2005. Alors que j’étais sur mon lieu de travail, un ami m’a passé un coup de téléphone. Il me dit : « André, j’ai entendu un truc à la radio. Ton frère aurait été arrêté en Indonésie ». Je n’y croyais pas, ce n’était pas possible. Je me suis dis qu’il s’était trompé de nom et de prénom. Pour moi, c’était irréalisable et impensable. Non, je n’y croyais pas du tout. Je sais que mon frère a travaillé dans beaucoup de pays dans le monde. Il a monté des usines un peu partout. Mais jamais je n’aurais pensé à cela. Aucun d’entre nous d’ailleurs. Après ce coup de téléphone, je suis immédiatement allé voir mon chef d’équipe pour m’absenter d’urgence. Je suis allé en informer mes frères et sœurs pour savoir s’ils étaient au courant. On s’est alors renseigné auprès de notre belle-sœur (ndlr : Sabine Atlaoui, l’épouse de Serge) pour savoir si cela était vrai. Et c’était vrai. Elle l’a d’ailleurs appris à la radio ou à la télévision alors qu’elle prenait le café chez une amie. »
Deux ans plus tard, Serge est condamné à mort.
A.A. : « Cela nous a fait un choc incommensurable, inexplicable. Un premier procès. Appel. Cassation. Le jugement a été rendu : prison à vie. Le Procureur de la République a fait appel de cette décision. Après deux ans de procédure, qui ont duré une éternité, et trois procès, la condamnation à mort de mon frère est tombée. Serge s’est pourvu en cassation mais cela a confirmé la peine… la peine capitale. »
L’avez-vous revu depuis ?
A.A. : « Cela va faire bientôt dix ans qu’il est incarcéré en Indonésie. Sept ans et demi dans le couloir de la mort. Je me suis rendu sur place en 2010. J’ai passé 15 jours là-bas. 48 heures de voyage pour me rendre dans un pays que je ne connais pas et dont je ne parle pas la langue. J’ai eu le droit de lui rendre visite deux heures par jour du lundi au jeudi. J’ai vu mon frère 16 heures en 15 jours. J’ai été très heureux de voir mon frère et ses nouvelles conditions de détention. Elles étaient beaucoup plus agréables que lors de ses premières années en prison. Elles sont mieux que celles de certaines prisons françaises. Et de temps en temps, je l’ai au téléphone par l’intermédiaire de la cabine téléphonique publique qui est dans l’enceinte de la prison. »
Comment était-il lors de votre dernière conversation?
A.A. : « Il a toujours gardé l’espoir. Il a toujours été fort mentalement. Je sais qu’aujourd’hui, depuis la date du 18 janvier où l’Indonésie a exécuté six détenus, tous les condamnés à mort en Indonésie ne doivent plus dormir comme avant. Je sais qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus dur pour lui. Il est beaucoup moins serein. Mais il a l’espoir, et, comme il le dit si bien : « l’espoir, c’est la différence entre la vie et la mort ». »
Depuis l’annonce de la peine de mort, vous n’avez jamais cessé de lutter.
A.A. : « Une fois que la condamnation à mort en 2007 est tombée pour mon frère, on a décidé d’essayer de créer une association pour faire connaître la situation de Serge et d’en parler au plus grand nombre possible. Pour nous, c’était quelque chose de nouveau. C’était très difficile. Il a fallu monter tout un dossier, aller devant le tribunal pour la création de l’association. On a dû faire plein de choses auxquelles on n’était pas préparé, c’était très compliqué. Après le plus dur a été de sensibiliser les gens en faisant des partenariats avec d’autres associations. On a réalisé des repas dansants pour parler de notre frère, et par la même occasion, de récolter des fonds pour subvenir aux frais personnels de Serge et pour tous les frais d’avocats qui s’imposaient à nous. Cela n’a pas été facile et cela devenait même de plus en plus difficile. Plus les années passaient et moins on parlait de Serge. Jusqu’à aujourd’hui, on n’a jamais baissé les bras. Et on continuera encore… jusqu’à la fin. »
Vous organisez un rassemblement de soutien à Serge, à Metz et à Paris. Vos actions deviennent de plus en plus fortes et visibles qu’auparavant.
A.A. : « Il y a certaines affaires judiciaires qui, comme on nous l’a expliqué, ont tendance à être mieux gérées dans la discrétion plutôt que dans la divulgation ou dans la manifestation. C’est compliqué. L’Indonésie est un pays souverain sur son territoire comme la France l’est chez elle. On peut suggérer. On peut parler. Mais c’est tout. Pendant des années, on peut dire que l’on a marché sur des œufs. Nous d’abord, les politiques ensuite. Tout cela a été fait dans l’intérêt de Serge bien sûr, mais aussi dans l’intérêt de sa famille, de tout le monde. Mais aujourd’hui, tout a changé avec l’arrivée au pouvoir du Président Joko Widodo en octobre 2014, la fin du moratoire sur la peine de mort et l’exécution des cinq ressortissants étrangers en janvier dernier. La mobilisation devient donc plus forte et elle deviendra plus forte si tous les citoyens français montrent que nous sommes contre la peine de mort. »
D’ailleurs, qu’aimeriez-vous dire aux français ? à nos lecteurs ?
A.A. : « Je leurs dirais que l’on a aboli, en France, la peine de mort en 1981. C’est déjà loin pour certains. Aujourd’hui, énormément de personnes n’ont même pas connu ça. Ils ne savent peut-être même pas ce que cela signifie. Aujourd’hui, il y a un Français condamné à mort sur la planète, et, en l’occurrence, mon frère. Donc, oui je parle en tant que frère. Après, bien sûr que chacun est libre de penser ce qu’il veut. Cela fait maintenant 38 ans que l’on n’a pas exécuté un Français dans le monde. Je ne pense pas qu’à mon frère quand je parle de la peine de mort. Je pense à tous ceux qui sont dans le couloir de la mort. Je veux leur dire que nous avons besoin d’eux pour soutenir notre frère et aider Serge à ne pas passer devant le peloton d’exécution. »
Aujourd’hui, qu’attendez-vous de l’avenir ?
A.A. : « Ce que l’on attend… c’est un minimum de clémence de la part des autorités indonésiennes. On attend que la sentence capitale soit levée pour notre frère. Le faire revenir dans une prison française ? On pensera à ça plus tard. Il faut d’abord enlever la condamnation à mort qui pèse sur ses épaules et qui l’empêche de dormir chaque jour. Pour nous tous, sa famille, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, son père, sa mère, ses amis, tous les gens qui combattent pour lui depuis le début et qui nous soutiennent dans tous les domaines possibles, minimes soient-ils, c’est notre souhait le plus cher. »