La chef de la diplomatie moldave, Natalia Gherman, doit rencontrer ce vendredi son homologue russe Sergueï Lavrov à Moscou. La rencontre s’annonce tendue : la Moldavie s’inquiète pour son territoire sécessionniste pro-Russe, la Transdniestrie. Elle craint une répétition du scénario qui a permis en trois semaines le rattachement de la Crimée à la Russie.
Autoproclamée indépendante depuis 1991, région russophone au sein de la Moldavie, la Transdniestrie compte de nombreux points communs avec la Crimée. Et elle pourrait bientôt en compter un nouveau : son rattachement à la Russie. C’est le scénario que craint le gouvernement de Moldavie. En marge d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) à Moscou, les diplomates des deux pays devaient d’ailleurs se rencontrer aujourd’hui.
Des troupes russes qui inquiètent l’OTAN
Fin mars déjà, le président moldave Nicolae Timofti s’était inquiété d’une invasion de son pays par Poutine. L’armée russe a déployé d’importants effectifs à la frontière orientale de l’Ukraine. Même si elle s’en défend, elle pourrait envisager un mouvement vers la Transdniestrie. Le chef militaire de l’Otan justifie : « Il y a réellement un dispositif militaire suffisant à la frontière orientale de l’Ukraine pour marcher sur la Transnistrie si la décision était prise et c’est très inquiétant”. L’OTAN a d’ailleurs décidé de renforcer ses forces militaires sur place, en soutien à Kiev et les Etats-Unis vont octroyer à la Moldavie dix millions de dollars pour renforcer la sécurité à ses frontières.
De son côté, Moscou s’est plaint que la frontière de la Transdniestrie était bloquée par la Moldavie et l’Ukraine. Poutine parle d’un “blocus passé sous silence par l’Occident”, comme le rapporte l’agence russe Ria Novosti. Un discours qui fait écho à celui du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui déclarait le 21 mars : « Nous défendrons les intérêts [des Russes vivants à l’étranger] (…). Nous insisterons pour que, dans les pays où vivent nos compatriotes, leurs droits et libertés soient pleinement respectés »
97% de la Transdniestrie pour un rattachement
La Transdniestrie réclame depuis 20 ans son rattachement à la Russie. Le 18 mars, le président du parlement, Mikhail Bourla, a d’ailleurs rappelé à son homologue russe que lors d’un référendum en 2006 – non reconnu par l’Union européenne –, 97 % de la population avait demandé le rattachement à la Russie. C’est pourquoi il lui demandait de faire adopter une loi d’adhésion de la Transnistrie à la Fédération de Russie sur le modèle de ce qui venait d’être fait pour la Crimée.
Mais au fait, la Transnistrie c’est quoi ? La Transnistrie ou Transdniestrie ou encore “République moldave du Dniestr” est une étroite bande de terre de 4000 km² située entre le fleuve Dniestr et la frontière ukrainienne. Sur 550 000 habitants, un tiers sont russophones, un tiers roumanophones, le reste se partageant entre d’autres ethnies de l’ex-URSS (d’après un recensement effectué en 2004).
La véritable particularité de la Transnistrie, c’est son statut : elle s’est auto-proclamée indépendante (mais non reconnue par la communauté internationale). En 1991, au moment de la dissolution de l’URSS et de l’accession à l’indépendance de la Moldavie, la population de Transnistrie a réclamé l’autonomie de sa région à travers un référendum. A l’issue d’une courte guerre civile, appuyée par la 14 e armée russe, elle s’est déclarée souveraine et indépendante. Avec tout ce que cela comprend : parlement, armée, monnaie… Et même un drapeau, orné d’une faucille et d’un marteau. Une situation “insolite” que peinent souvent à décrypter les médias occidentaux alors que la presse locale est entièrement contrôlée par les autorités.
Tiraillée par la Russie d’un côté, par l’Union européenne de l’autre
Comme dans beaucoup de ses anciens satellites soviétiques, la Russie continue d’entretenir une position ambigüe sur ce territoire : ouverture d’un consulat, maintien d’une base militaire et surtout dépendance financière. Alors que depuis 2013 Poutine exerce une pression afin de les convaincre de rejoindre son “Union douanière”, le parlement européen a voté en février la libéralisation des visas pour la Moldavie et celle-ci devrait bientôt signer un accord d’association et de libre-échange avec Bruxelles. Comme le résume cet article paru dans Courrier International, la Moldavie est un pays écartelé entre l’Est et l’Ouest.
Au tour de l’Arménie de trembler ?
Poutine va-t-il avaler tout cru la Transnistrie ? Prévoit-il de répéter le scénario de la Crimée pour étendre ses frontières à tous les autres ex-pays soviétiques qui ont des régions séparatistes ? Les spécialistes restent prudents sur le sujet (comme ici l’analyse d’un spécialiste de la Moldavie et ici l’analyse géopolitique de France Inter).
L’OTAN reste en tout cas particulièrement vigilante vis-à-vis des relations entre la Russie et les autres républiques post-soviétiques. Le ministre des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan et son homologue arménien, tout deux concernés par les conséquences de la situation en Crimée, se sont d’ailleurs rencontrés aujourd’hui à Moscou.
Comme le résume le site Nouvelles d’Arménie, Moscou semble “impatient que Erevan se détache de l’espace atlantique” : en effet, l’Arménie est un des rares pays à avoir validé l’annexion de la Crimée, et la Russie – dont elle est largement dépendante énergétiquement – va « essayer de l’avoir avec elle » . Mais Erevan sait aussi qu’il n’a pas intérêt à rompre sa coopération avec l’OTAN : elle constitue « un des éléments fondamentaux de sa stratégie de défense » face à l’Azerbaïdjan, avec lequel il est en état de guerre permanent depuis vingt ans pour la région séparatiste du Haut-Karabakh.