Avocat pénaliste depuis bientôt 40 ans, Bernard Jean compte parmi ses clients de nombreux particuliers, mais aussi des policiers et des gendarmes. Il a accepté de revenir avec nous sur la réforme de la garde à vue adoptée en avril et ses conséquences.
Maître Jan, quel regard portez-vous sur cette réforme, présentée comme un renforcement des droits de la défense ?
Avant de répondre, je dois vous faire part d’un constat : depuis plusieurs années, le nombre de gardes à vue diminue à vitesse grand V, c’est une chute abyssale. Les réformes successives ont permis aux avocats d’assister les clients plus tôt dans la procédure et depuis avril, notre présence peut être demandée dès le début de la garde à vue. Mais dans les faits, les changements sont minimes puisque nous n’avons toujours pas accès au dossier. Dans ces conditions, c’est difficile de parler d’un pas en avant.
Vous évoquiez une baisse flagrante du nombre de gardes à vue, comment l’expliquer ?
Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte. Tout d’abord, j’ai noté un changement des mentalités chez les forces de l’ordre. Lorsque j’ai débuté ma carrière, la garde à vue était souvent utilisée de manière dissuasive. Je m’explique : lorsqu’un homme est présenté devant l’OPJ (officier de police judiciaire), on lui enlève ses lacets, sa ceinture, ses bretelles. Avec le pantalon qui tombe aux chaussettes et des chaussures qui ne tiennent plus aux pieds, il est mis en position de faiblesse. Ensuite, l’officier détaille les peines encourues, souvent plusieurs années de prison. Rajoutez à ça les conditions de la détention – qui peut durer jusqu’à 96h – et vous comprendrez où voulaient en venir les policiers.
Faire peur ?
En partie oui, la garde à vue était utilisée pour un simple vol de poules ou un recel d’auto-radio. De fait, ça faisait réfléchir et prévenait la récidive. Ce n’est pas anodin vous savez, je compare ça au passage dans le tambour d’une machine à laver : on en ressort lessivé. Pourtant aujourd’hui, je note un tournant, le recours à la garde à vue est moins systématique. Mais il faut garder à l’esprit que les OPJ mènent la danse, réforme ou pas, ils gardent les cartes en main. La présence d’un avocat qui pose des questions, remet en cause tel ou tel détail, ça contrarie le travail des policiers et leur fait perdre du temps. Mais comme je vous le disais, ce sont qui mènent la danse, et ils ont trouvé la parade.
C’est à dire ? Que fait-on des délinquants qui ne sont plus placés en garde à vue ?
Ils sont tout simplement auditionnés puis présentés directement devant un tribunal. Voilà pourquoi je parle d’une réforme en trompe l’œil, elle n’a grosso modo rien changé.
Mais alors pourquoi l’avoir engagée ?
Je la vois comme une mesure parisianiste, votée pour protéger des gens importants, des politiques par exemple… Pour ces personnalités, la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue est un plus, mais croyez-moi, le suspect de base lui, il n’y voit aucune différence. L’adoption de cette réforme s’inscrit aussi dans un contexte particulier car elle fait suite à l’affaire d’Outreau. Devant l’émotion suscitée, le législateur a cherché à réaffirmer les droits de la défense.
Donner aux avocats un accès direct au dossier, ce serait une réelle avancée ?
Une avancée je ne sais pas, mais ça donnerait un poids supplémentaire à la défense. Selon moi, nous y viendrons progressivement, sans doute à un horizon de 10 ou 15 ans.
Propos recueillis pas Thomas Deszpot