Après le démantèlement du camp de réfugiés situé avenue de Blida, le 13 novembre, à Metz, près de 700 personnes ont été relogées un peu partout en Lorraine. Parmi elles, 152 demandeurs d’asile originaires d’Europe de l’Est ont été transférées à Woippy. Reportage.
Reportage
Ils ont tué mon père sous mes yeux
WOIPPY – Devant ce petit immeuble à l’allure décrépie, transformé pour l’occasion en centre d’hébergement provisoire, un homme nous fixe du regard. Il brandit avec fierté un tapis, récupéré à la déchetterie quelques minutes plus tôt. C’est son butin du jour. Il est arrivé en France, sans rien. Quatre mois que Admir erre dans la ville, en vélo, pour récupérer du matériel, de l’équipement. « J’ai fui la Bosnie car des Serbes me menaçaient de mort. Ils ont tué mon père sous mes yeux. Nous n’étions plus en sécurité là-bas ».
152 personnes vivent ici. Au fond du couloir, la porte numéro 30 : c’est la chambre d’Admir, une pièce d’à peine 15 mètres carrés qu’il partage avec sa femme et sa fille âgée de deux ans. Ils ont passé quatre mois dans le campement de fortune de l’avenue de Blida et sont arrivés ici il y a moins d’une semaine. « Vous savez, pour nous c’est comme un hôtel cinq étoiles » dit-il, en offrant du thé et des gâteaux. Du beurre, de la crème fraîche et des médicaments s’entassent au-dessus du radiateur bouillant. Ils n’ont ni télé, ni internet et partagent une cuisine géante improvisée et des sanitaires, avec des centaines d’autres réfugiés de Roumanie, de Serbie, d’Albanie ou du Monténégro. La bouche remplie de bonbons, Amela s’amuse sur le lit, insouciante, surprise de nous voir. Pourtant, son état de santé inquiète son père. Des rougeurs sur ses pieds et ses mains la démangent depuis qu’ils ont quitté le campement. « Les médecins ne savent pas ce qu’elle a. Ils nous ont donné des médicaments mais rien n’y fait» explique le patriarche. Sa fille, c’est toute sa vie. « Je veux qu’elle aille à l’école, qu’elle vive une belle vie. »
« Au moins ici, il y a du chauffage »
Dans la pénombre des couloirs étroits, un colosse d’un mètre quatre-vingt-quinze apparaît. « No french, no english » rétorque-t-il lorsque nous lui demandons s’il parle français. C’est Muharem, le voisin. Il occupe la chambre 29 et affiche le même désir : offrir un avenir à ses enfants. Un leitmotiv pour ces familles. « La France est notre seule chance, c’est le seul pays qui accueille encore des immigrés». Sa famille et lui ne se sentent pas en sécurité ici. A peine arrivé dans sa chambre, le Bosniaque de 33 ans nous tend immédiatement un procès-verbal établi la veille au commissariat de police de Metz. Sa fille Alisa, âgée de 10 ans, a été victime d’une agression sexuelle par un adolescent du centre d’hébergement. Scandalisés, les parents racontent que l’assistante sociale a voulu étouffer l’affaire. Elle leur a déconseillé d’aller voir la police, assurant que tout allait rentrer dans l’ordre. « Nous ne pouvons même pas fermer la porte à clef, alors nous devons la bloquer avec un lit, pour que personne ne s’introduise dans la chambre et nous volent nos biens. »
Malgré cela, Muharem et sa femme Dzemsija relativisent. Modestement, ils se réjouissent, eux aussi, de leur nouveau toit. « C’est mieux qu’au campement de l’avenue de Blida. Au moins, ici, il y a du chauffage et les enfants peuvent jouer » souligne Dzemsija. Un poster de la « qualité des eaux du bassin Rhin-Meuse » tapisse le mur et les quelques vêtements de leurs enfants sont accrochés au-dessus d’un des quatre lits de la pièce. Dans ce centre d’hébergement, les journées paraissent longues. Les réfugiés ne sont pas autorisés à recevoir de la visite. « Quand des amis veulent venir nous voir, nous devons aller à l’extérieur du bâtiment » s’offusque Muahrem. Les deux familles ne savent pas combien de temps elles vont rester ici. La demande de titre de séjour étant un véritable casse-tête administratif, elles ne peuvent pas chercher du travail. Et ainsi espérer des jours meilleurs…
Vidéo : la vie au sein du centre d’hébergement de Woippy
Réfugiés de Blida: Lactualité en chiffres