Chaque année, environ 400 personnes changent de sexe en France. Sans circuit balisé, sans campagne de sensibilisation, ce changement d’identité tient souvent plus du parcours du combattant. Né fille, Alexandre, 23 ans, de Rennes, raconte sa transformation entamée il y a cinq ans, entre enfer administratif, traitement hormonal et opérations chirurgicales onéreuses.
Étape 1 : Faire le point sur soi-même et s’assumer
Assumer le fait d’être transgenre, d’avoir une identité non-conforme à son sexe de naissance. La première étape de ce « parcours du combattant » n’est pas la plus facile. En France, le sujet reste très tabou, et il est impossible d’estimer le nombre exact de transsexuels. Le seul chiffre connu est celui des personnes opérées dans les services spécialisés des hôpitaux : entre 400 et 700 chaque année. Seule une minorité, environ 10 %, va jusqu’à l’opération.
Pour Alexandre (son nom a été changé), c’était une évidence depuis toujours : « Je le sens depuis que je suis tout petit. Enfant, je m’habillais comme un mec – j’adorais mettre des joggings ! – et chaque fois que l’on me confondait avec un garçon, ça me faisait plaisir ».
Mais comme pour l’homosexualité, par peur du rejet, certains peuvent enfouir leur transsexualité au plus profond d’eux pendant de longues années. Le manque d’information sur le sujet n’aide pas à s’y retrouver, ajoute le jeune transgenre : « Je me souviens qu’au collège, on a eu un test de personnalité à remplir, où l’on devait indiquer ses vœux pour l’avenir. J’ai voulu noter : refaire ma vie en étant un mec. Mais je ne savais pas que c’était possible. J’avais même l’impression que ce n’était pas normal de penser ça ». Aucune campagne de sensibilisation n’est faite auprès des jeunes, qui portent parfois ce mal-être longtemps avant de s’assumer.
Étape 2 : Trouver des informations fiables
Avant de prendre une décision sur une éventuelle opération de changement de sexe, encore faut-il savoir que ces opérations existent. « Comme tout le monde, les transsexuels je pensais que c’était des types qui se déguisaient en fille et qui allaient dans le bois de Boulogne », plaisante Alexandre. Il note clairement un manque d’information officielle sur ce genre de démarches et leur prise en charge : « dans la vie, personne ne m’en a parlé avant. Ni médecin, ni prof, ni proche ».
Si l’on s’aventure à taper dans Google : « Comment changer de sexe », on tombe d’abord sur un site Thaïlandais qui vante ses opérations de chirurgie plastique, puis sur divers articles ou reportages, qui, quoique bien informés, présentent peu d’éléments pratiques pour les intéressés, et sur divers sites plus ou moins obscurs que l’on ne conseillera pas.
Faute de site officiel, c’est par hasard, sur un forum, que le jeune Rennais a enfin pu trouver des informations concrètes sur la transsexualité et les différents processus juridiques, médicaux ou psychologiques qui l’entourent. « Ça a été le déclic. Je me suis dit : « Mais c’est ça que j’ai ! Je ne suis pas tout seul ». Jeunes, vieux, hommes, femmes, « toutes sortes de personnes » alimentent ce site, « le seul forum français » bien documenté d’après Alexandre. « Tu peux venir y discuter, te rendre compte que tu es dans la même situation que certains personnes… Ça m’a beaucoup aidé ».
Étape 3 : En parler à ses proches
Comment faire comprendre à ses parents qu’ils n’ont pas une fille, mais un fils ? Le coming-out transsexuel est tout aussi coton que les autres. « Certains parents ont l’impression de perdre leur enfant. De perdre une fille et de gagner un fils par exemple. Mais on reste la même personne ! », insiste Alex. De son côté, il a eu la chance d’avoir des parents ouverts. « Ils ne me rejetteront jamais pour quelque chose qui me rend heureux. Je suis allé leur parler après quelques mois de réflexion. Ce qui a inquiété ma mère, c’était que je ne trouve personne pour faire ma vie. Et pour mon père, c’était que je doive prendre des médocs toute ma vie ».
Les proches ont ensuite la délicate mission de soutenir la personne transgenredans ses premiers pas vers la constitution de sa nouvelle identité, d’accueillir ses interrogations, sa honte peut-être et sa souffrance.
Étape 4 : Vivre socialement selon sa nouvelle identité sexuelle
Avant que les changements physiques n’apparaissent, avant que les hormones ou une opération radicale n’aient fait leur effet, beaucoup de transsexuels passent par ce moment un peu flou où ils tentent de « vivre socialement » selon leur nouvelle identité sexuelle, comme le raconte Alex : « Moi, j’ai un peu fait les choses à l’envers parce que je vivais comme ça depuis que je suis parti de chez mes parents, à 18 ans. Tous les gens que j’ai rencontré, je me suis présenté à eux
comme un mec. Tout le monde m’a cru parce que j’étais assez androgyne à cette époque là. Mais après ça s’est compliqué ». Pas de sortie à la piscine, pas de contact physique trop proche, pas de t-shirt moulant, ou encore, plus bêtement, pas de sortie dans les bars ou tout autre endroit qui pourrait donner lieu à un contrôle de carte d’identité : un quotidien « très stressant » pour tenter, petit à petit, de rentrer dans sa nouvelle peau et de construire, au moins dans les yeux de ceux qui nous sont chers, une image de nous qui nous correspond.
Étape 5 : Dénicher un psychologue et un endoctrinologue
Lorsque l’on souhaite changer de sexe en France, il faut forcément se faire accompagner du trio : psychiatre / endoctrinologue / chirurgien.
Pour cela, il existe des « équipes officielles » qui existent dans les grandes villes (Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille). « C’est une unité qui se trouve au sein des hôpitaux. Ils te prennent en charge de A à Z, tous les médecins spécialisés sont sur place », décrit Alex. Mais selon lui, choisir cette porte d’entrée, c’est aussi choisir le délai le plus long et se retrouver avec des équipes « qui ont moins d’expérience que d’autres psys ou chirurgiens, plus spécialisés ».
Alex, « comme la majorité des gens », a préféré trouver lui-même les professionnels de santé pour le suivre. Il s’est vite rendu compte qu’ouvrir l’annuaire à la bonne page était loin d’être suffisant : « Le premier m’a dit qu’il n’était pas formé à ça, qu’il ne voulait pas s’en occuper, et que tous ses confrères me répondraient la même chose ». C’est finalement sur le forum que le jeune homme a dégoté une liste de psychiatres ouverts à ce genre de suivi. Par chance, l’un deux était situé à seulement une heure de chez lui.
Le rôle du psychiatre est d’évaluer la constance du désir de transformation de la personne et de l’accompagner. « Après quelques séances, il m’a fourni une ordonnance pour aller voir un endoctrinologue et commencer les hormones. C’était assez rapide, mais bon, ce n’est pas d’une psychanalyse dont j’avais besoin. A part ça, j’allais bien ! »
Étape 6 : S’engager dans un traitement hormonal
« Je n’ai vite plus eu de règles. Ma voix est devenue plus grave en six mois, mes poils ont poussé et il y a eu aussi plein de détails auxquels on ne pense pas, comme une implantation des cheveux et une répartition des graisses différentes », décrit Alexandre.
En somme, suivre un traitement hormonal, c’est vivre une deuxième puberté. Oui, avec tout ce que cela implique, comme la poussée d’acné, la voix qui mue et même les moments de crise. « Au début, ça pouvait me rendre irritable ou m’empêcher de dormir. C’était une phase, le temps d’équilibrer la dose », explique-t-il.
« Même si je dois faire ça toute ma vie, ça ne me prend que cinq minutes, et l’ordonnance est à renouveler tous les six mois », relativise-t-il. Une piqûre par semaine ? Une tout les trois semaines ? Le traitement, comme ses effets (plus ou moins de barbe, voix plus ou moins grave), dépend de chacun.
Étape 7 : Passer sur la table d’opération
Les transsexuels FTM (Female to Male) qui décident d’aller jusqu’à la table d’opération commencent généralement par l’ablation de la poitrine : « C’est l’opération la plus pratique – sinon je portais des gilets compressifs et ça me faisait mal au dos – et elle est très symbolique. Ça fait trop de bien ! ». Deux heures, quatre jours de repos à l’hôpital et quelques semaines pour un cicatrisation complète.
L’important à cette étape est aussi de choisir le bon chirurgien : « Tous n’ont pas la même technique, ni la même expérience. Il faut comparer les photos des résultats d’opération de tous les chirurgiens qui t’intéressent. Parfois, ça n’a vraiment pas l’air d’un torse naturel… » Par chance, Alex n’a pas eu à aller à l’étranger pour sa mastectomie. Pour seulement 1500 euros payés de sa poche : « Le coût dépend vraiment des chirurgiens, celui-là c’est un des moins chers que j’ai trouvé. Je n’ai payé que les dépassements d’honoraires, car comme pour le psy, la mutuelle en paie une partie et la sécu prend le reste en charge dans le cadre de l’« ALD » (Affection Longue Durée). »
Étape 8 : Passer une seconde fois sur la table pour la stérilisation
On pourrait se dire que devenir un homme passe forcément par une opération pour se doter d’un pénis. Or, les transsexuels sont une minorité à aller jusque là. « Pour moi, ce n’est encore pas assez au point, justifie Alex. Peu importe les opérations que tu fais, le résultat ne me semble pas assez naturel et on ne peut jamais bander vraiment. Sans compter que ça coûte vraiment trop cher, c’est limite du viol médical ! »
La seule opération qu’il fera encore, la dernière, sera la stérilisation. Une étape obligatoire pour changer son état civil. « Soit tu te fais enlever les ovaires, soit l’utérus, soit tout, précise-t-il. Le mieux est de tout enlever pour être tranquille parce qu’un traitement aux hormones peut parfois faire métastaser les ovaires. Cette étape est plus simple et moins chère car l’opération est plus souvent pratiquée sur des personnes « normales », lorsqu’elles ont un cancer des ovaires par exemple »
Étape 9 : Changer son état civil
L’ultime étape pour être considéré comme un homme, est de voir changer sur sa carte d’identité ce petit « F » en petit « H ». « Il faut faire appel à un avocat, qui va constituer un dossier et te défendre soit devant le tribunal de la ville où tu habites, soit de la ville où tu es né », rappelle Alexandre. Mais attention, là aussi, il y a quelques astuces à connaître. « Il faut trouver un avocat qui accepte de le faire, et ajouter plein de trucs absurdes dans le dossier, comme des témoignages de tes proches qui certifient que tu vis comme un mec. Il faut aussi bien choisir son tribunal, prévient-il. Si tu tombes sur un connard de juge, il va demander à ce qu’il y ait des expertises. Les expertises, c’est un truc de gros bâtard, que tu paies de ta poche, qui repousse ton jugement indéfiniment et qui te fait examiner par des médecins soi-disant experts qui ont le droit de te faire n’importe quoi comme t’examiner à poil. »
Une fois que ça, c’est fait, ça y est : on est un homme aux yeux de la société. Plus qu’à choisir le prénom de son choix.
Étape 10 : Vivre
« Je ne complexe plus. J’ose faire des projets. J’arrive à m’exprimer en public. Ça va vraiment mieux », sourit Alexandre. Il n’a pas peur de ne pas trouver l’amour, comme ses proches s’en inquiètent parfois : « Si la personne ne l’accepte pas, c’est qu’elle n’est pas faite pour moi. Je ne me prends pas la tête avec ça. » Et pour les enfants ? « Oh mais moi je veux des gosses ! s’exclame-t-il. Pour le premier, je préférerais que la fille avec qui je suis se fasse inséminer. Puis après peut-être l’adoption… »
La vie dans sa nouvelle identité commence, après plusieurs années de « galères » qu’il ne regrette pas : « Ça m’a pris beaucoup de temps et d’énergie. Mais il fallait que je me fasse opérer comme je me serais fait opérer comme si j’avais une tumeur sur le foie. C’était ça ou j’étais malheureux toute ma vie ».
Pour aller plus loin :
> Le forum de référence cité par Alexandre et sa page d’accueil
> Le rapport d’Amnesty International sur les discriminations subies par les personnes transgenres dans l’UE
> Regarder le reportage du magazine de la santé qui a suivi la transformation d’une jeune femme en homme
> Une jeune femme photographie les trois ans de sa transformation et en fait un clip
> Les conditions du changement de sexe à l’état civil sur le site du service public
> La chronique « Nous sommes partout » publiée dans Libération