par Diane Frances
Photographe passionné de voyages, Christian Hoffmann sillonne les routes des quatre coins du monde en quête de visages à immortaliser. Sa dernière exposition rassemble dans quelques mètres carrés les enfants d’Asie, d’Europe et d’Amérique.
Voilà plus de cinquante ans que Christian Hoffmann voit le monde à travers un obturateur. D’abord, celui de son premier appareil photo, un 24×36 qu’il reçoit en cadeau à sa communion et brosse sa vision en noir et blanc. Puis viennent la couleur, les diapositives, le numérique. Il s’y est mis il y a une quinzaine d’années. « J’éprouve une certaine nostalgie par rapport à l’argentique. Quand j’ai commencé à voyager, je partais avec une dizaine de rouleaux et il y avait très peu de photos gâchées. » Sa plus grande difficulté désormais : faire un choix. « Vous savez combien j’ai de photos du Cambodge ? » Voix calme, débit lent, interrogations ponctuées de gestes. « Plus de 100 000. » L’ancien professeur d’anglais n’a rien perdu de ses 37 années d’enseignement.
Avec l’amour de la photo arrive celui des voyages. Angleterre, Irlande, Écosse, États-Unis, Mali, Kenya, Afrique du Sud, Tunisie, Turquie, Thaïlande, Inde, Laos, Indonésie, Cambodge. « Les temples du Cambodge sont à couper le souffle. J’ai eu un coup de foudre quand j’ai vu, dans l’un d’eux, un visage de trois mètres de haut, avec des yeux clos, un léger sourire… J’en suis tombé amoureux comme d’une belle femme. » À tel point qu’il s’y rend deux fois par an. « Voire trois, comme l’année dernière. » Toujours dans la même ville, Siem Reap, où lui et sa compagne parrainent cinq enfants. Avec eux, il a tissé des liens indéfectibles. « Lors de notre dernier séjour, des gamines que nous parrainons et qui ont grandi sont venues nous présenter leurs bébés. Une autre a voulu qu’à son mariage, je remplace son père décédé quelques mois auparavant. » Difficile de choisir un seul souvenir parmi tant d’autres tout aussi mémorables. « Beaucoup de temps forts. » Beaucoup de photos aussi. « Je connais les temples par cœur. À chaque visite, je me dis que j’arrête de les photographier. Mais la lumière est toujours différente, et je finis par revenir avec 3 000 clichés. »
« Clic-clic Man »
Chaque photo est l’occasion de dévoiler une anecdote, chaque anecdote en amène une nouvelle. Tantôt son regard s’illumine, tantôt il s’assombrit. Sa voix accompagne les images qui dressent le portrait du Cambodge et de ses habitants. Ces enfants portent un uniforme mais sont pieds nus. Pour se rendre à l’école, ils traversent le grand lac Tonle Sap en pirogue. « Ils sont cinquante par classe et n’ont que trois heures de cours par jour, à cause de la pénurie d’enseignants. » Cette petite fille a offert un cadeau à son père qu’elle n’avait pas vu près de vingt ans. « Cela devrait susciter beaucoup de réflexion parmi nous : elle lui a apporté du riz et du lait concentré. » Elle gagne 180 euros par mois, ce qui en fait une « privilégiée ». « Certains sont si pauvres qu’ils n’ont pas chez eux de véritable mur où accrocher les photos de leurs enfants, que je leur apporte. Leurs « maisons » ont des parois en feuilles de palmiers. » Mariage à 19 ans, corruption généralisée, système de santé déplorable. « Pourquoi je fais de la photo ? Le monde vu globalement est sinistre, mais quand on en regarde les détails, ce qui apparaît est extraordinaire. »
Lui qui se considère « comme un citoyen du monde » a toujours du mal à rentrer en France. Surtout l’hiver, quand les couleurs des vêtements s’accordent avec le gris du ciel lorrain. « Alors que là-bas, c’est vert, jaune, bleu, rouge éclatants. » Là-bas, le rythme de vie le laisse flâner à loisir. Regards attrapés au détour des rues, rencontres inopinées au hasard des routes. « Lorsqu’on est photographe, la chance intervient souvent. » La complicité joue aussi pour capter l’authenticité. « J’ai fait visiter des temples aux gamines du pays. Elles m’ont appelé Clic-clic Man, tant je prenais de photos. » Les enfants qu’il photographie ne posent pas pour lui. Leurs visages tombent simplement sous son objectif, à l’instar des paysages et des animaux d’Afrique du Sud qu’il a immortalisés il y a quelques temps. Il compte bientôt remettre le cap vers ce continent. Peut-être en Namibie, en Éthiopie ou en Tanzanie. « En fin d’année, bien sûr, je retournerai chez moi au Cambodge. C’est ma deuxième patrie. »
« Enfances » est exposée à la bibliothèque universitaire du Saulcy du 1er au 29 février. D’autres photos sont en accès libre sur son site.