« Ce n’est pas qu’un combat pour moi. C’est une lutte pour nous tous. » Depuis février 2024, l’usine Neuhauser en Moselle est le théâtre d’une nouvelle lutte ouvrière. À l’origine : le licenciement de Christian Porta, ouvrier et figure syndicaliste. Un combat emblématique raconté dans le film S’ils touchent à l’un d’entre nous, réalisé par Carol Sibony, qui voit dans cette histoire un « trésor » .

Issue d’une famille ouvrière, Christian ne se destinait pas à devenir une figure syndicale. « Beaucoup disent qu’ils ont grandi dans une famille de syndicalistes. Moi c’est un peu différent. » En échec scolaire à l’adolescence, il se tourne rapidement vers le travail manuel et devient boulanger industriel. Ses débuts à l’usine Neuhauser, où il est d’abord embauché en intérim, sont rudes : bas salaires et week-ends sacrifiés.

C’est dans ces conditions que Christian découvre le syndicalisme. Un collègue lui tend un jour un tract et l’encourage à se présenter aux élections professionnelles. « Au début, je me suis engagé sans savoir vraiment ce que c’était dans le fond, un syndicat. » Avec un score écrasant, il est élu délégué du personnel. Rapidement, avec ses co-élus, il transforme le quotidien de ses collègues, décrochant des victoires notables : augmentation des salaires, maintien de l’activité d’une usine et sauvegarde d’emplois.

Sous son impulsion, le syndicat s’organise et modernise ses pratiques. Christian intègre les réseaux sociaux dans ses campagnes pour dénoncer les conditions de travail et mobiliser au-delà des frontières locales. Il soutient les mouvements des Gilets jaunes, s’oppose à la loi El Khomri en 2016, loi qui a reformé une partie du droit du travail, et tisse des liens avec des collectifs écologistes. « Christian ne s’arrête jamais, » résume Julie, spectatrice présente à la projection du film à Metz.

Face à la répression syndicale

Son engagement n’est pas sans conséquences. En avril 2024, après plusieurs procédures de mises à pied invalidées par l’inspection du travail, Christian est licencié pour « harcèlement moral ». Une accusation qu’il conteste fermement : « En réalité, on me reprochait de défendre mes collègues et de dénoncer des abus. » Soutenu par ses collègues, des assemblées générales s’organisent pour préparer au mieux une grève. Une bataille judiciaire de plusieurs mois débute. Le 2 août, après plusieurs condamnations à l’encontre de son patron, son licenciement est reconnu comme illégal. Christian remporte ce bras de fer : sa réintégration est ordonnée, accompagnée d’une indemnité de 525 000 euros.

Mais cette victoire laisse des cicatrices et reflète une tendance inquiétante : l’usage du droit disciplinaire pour museler les figures syndicales. Depuis 2023, plus de 1000 syndicalistes seraient réprimé·es pénalement, selon Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.

Un film pour solidariser et inspirer

La lutte actuelle trouve une résonance particulière grâce au documentaire S’ils touchent à l’un d’entre nous de Carol Sibony. Ce film retrace la bataille menée par Christian et ses collègues, tout en mettant en lumière le rôle central de la solidarité ouvrière. « C’est le film d’une victoire d’un travail collectif », explique la réalisatrice. « Ce combat montre que la solidarité existe encore, qu’elle est vivante et qu’elle peut vaincre même les forces les plus écrasantes. » Le long métrage devient un outil essentiel pour sensibiliser un public plus large aux enjeux des luttes ouvrières. Lors des projection, les débats qui suivent permettent de prolonger le message : celui d’un combat qui ne s’arrête pas aux grilles de l’usine.

Christian voit dans ce film une opportunité de transmettre un message : « Il faut que les gens comprennent qu’on peut lutter, qu’on peut gagner. Il faut qu’on réponde par la solidarité. »

Une bataille exemplaire, un avenir toujours en lutte

Aujourd’hui, Christian est de retour à Neuhauser, mais il sait que la bataille n’est pas terminée. « La répression continue, les intimidations aussi. Mais on ne doit rien lâcher. » Son combat dépasse les murs de l’usine. Défenseur des luttes écologistes et féministes, il continue de bâtir des ponts entre les mouvements sociaux.