Virus créé en laboratoire, complot diligenté par « Big Pharma », arme biologique…Depuis le début de la crise sanitaire, les fake news pullulent sur les réseaux sociaux avec, parfois, à l’appui des arguments qui peuvent sembler convaincants. Retour sur cinq fausses informations qui ont accompagné le lancement de la campagne de vaccination en France.
45 % des français refuseraient la vaccination : c’est le résultat d’une enquête conduite par l’institut Elabe pour BFMTV. À l’inverse, seul 38% d’entre eux souhaitent la vaccination quand 17% des français se déclarent indécis. Ce sondage confirme une hypothèse qui ne date pas du COVID-19 : la France est l’un des pays les plus antivaccin au monde. En cause, sans doute, l’esprit critique des Français et le manque de confiance placée dans le gouvernement mais aussi et surtout une méconnaissance du fonctionnement des vaccins, amplifiée par la circulation de fake news. Parmi elles, certaines ont été activement diffusées sur les réseaux sociaux, des mois avant le début de la campagne de vaccination. Elles continuent aujourd’hui d’alimenter le doute des Français :
Les vaccins à ARN messager entraîneraient l’infertilité :
Dans un extrait vidéo qui a circulé sur Facebook, Louis Fouché, médecin marseillais déjà épinglé pour avoir diffusé des informations erronées sur le vaccin, alertait contre le risque d’infertilité lié à la prise du vaccin contre la COVID-19. Cet extrait de deux minutes est tiré d’une longue interview, accordée par ce dernier au média Nexus, spécialisé dans les pseudosciences, les médecines non-conventionnelles et les théories du complot.
Pour vulgariser, les vaccins à ARN messager, comme ceux de Pfizer/BioNtech et Moderna fonctionnent sur un principe d’injection d’ARN de synthèse. Cet ARN va ensuite transmettre un message à la cellule de l’organisme vacciné, pour la pousser à fabriquer une protéine de virus appelée « spike ». Cette production de protéine permettra au corps d’apprendre à produire des anticorps et donc à se défendre face à une infection au COVID-19.
Pour Louis Fouché, le risque est que le corps produise également des anticorps contre la « syncitine », une protéine nécessaire à la fabrication du placenta pendant la grossesse. Dans sa démonstration, il s’appuie sur une lettre, adressée à l’Agence européenne du médicament par un certain Wolfgang Wodarg et censée alerter sur les incertitudes du vaccin Pfizer et BioNtech. Pourtant cette lettre, mise en avant par l’AFP Factuel, ne fait état que d’une supposition. Elle stipule même qu’en l’état « il n’y a pas d’indication » allant dans le sens d’une création d’anticorps anti « syncitine » inhérente à la prise du vaccin.
De plus, selon plusieurs experts interrogés par l’AFP Factuel, le risque que l’organisme se « trompe de cible » et affecte sa capacité à produire du placenta est quasi-nul voire même inexistant. Il n’y a donc, à ce stade, rien qui laisse penser que le vaccin contre la COVID-19 puisse rendre qui que ce soit infertile.
Les vaccins à ARN messager présenteraient un risque pour l’intégrité de notre génome :
De nombreux commentaires circulant sur les réseaux sociaux prétendent que les vaccins à ARN messager développés par Pfizer/BioNtech et Moderna pourraient modifier les gênes des patients. Si cette crainte n’est pas fondée scientifiquement, elle repose sur des doutes légitimes quant à la nature de ces vaccins.
Et pour cause, ce type de vaccin n’avait pas été, jusqu’ici, utilisé à grande échelle dans une campagne de vaccination. La grande rapidité de développement de ces vaccins et l’opacité de leur fonctionnement pour le grand public ont suffi à inquiéter. Pourtant, ce type de vaccin ne comporte aucun risque pour notre génome puisque l’ARN injecté ne pénètre la cellule que jusqu’au cytoplasme. Il est ensuite dégradé, bien avant d’avoir atteint le noyau de la cellule. Notre matériel génétique (ou ADN) se trouvant dans ce noyau cellulaire, il n’y a donc aucune chance que le vaccin puisse y effectuer une quelconque modification, ni que celle-ci puisse être transmise à notre descendance.
Les vaccins à ARN messager rendraient nos « fluides corporels » contagieux :
Dans un message, partagé des centaines de fois sur Facebook, des internautes alertent sur la campagne de vaccination. Selon le visuel relayé, la technologie ARN rendrait les personnes vaccinées « contaminantes pour les autres par les fluides : salive, sang, sécrétions sexuelles ». Plus encore, l’injection du vaccin participerait à « l’éradication de 95% de l’humanité pour ne garder que 500 millions d’individus ». L’image va même jusqu’à qualifier le vaccin de « poison mortel » vecteur de « nanoparticules ». S’inscrivant dans la lignée de nombreuses théories du complot, le message ne s’appuie sur aucune source ni document pour étayer son contenu.
Il est d’abord important de rappeler que les scientifiques du monde entier ont les yeux rivés depuis plusieurs mois sur les laboratoires à l’origine des vaccins Pfizer/BioNtech et Moderna. De ce fait, il est difficile d’imaginer qu’un « poison mortel » ait été autorisé par les autorités sanitaires de nombreux pays. Avant le lancement de la campagne de vaccination, les laboratoires ont dû soumettre leurs vaccins à des expérimentations et à des études qui ont mises en lumière l’efficacité du vaccin et le peu d’effets secondaires.
Encore une fois, cette fake news s’appuie sur les craintes qui accompagnent la technologie inédite de ce vaccin et la méconnaissance de son fonctionnement. Elle repose aussi sur la théorie selon laquelle les vaccins à ARN messager pourraient modifier durablement le fonctionnement de notre organisme.
Rappelons-le, si l’utilisation d’ARN messager est un procédé nouveau, son fonctionnement ne diffère pas pour autant des vaccins classiques. La vaccination « traditionnelle » consistait à injecter un virus inactif dans notre organisme, pour déclencher une réponse immunitaire et favoriser la création d’anticorps. Pour l’ARN messager, on n’injecte plus directement de virus mais une partie de son information génétique pour déclencher cette réponse immunitaire.
L’hypothèse selon laquelle ce type de vaccin constituerait un danger mortel ou qu’il pourrait rendre les fluides contaminants ne repose donc sur aucun argument scientifique fondé.
Bill Gates aurait « créé » le COVID-19 pour implanter des « puces électroniques » ou « nanoparticules » par le biais de la vaccination :
À chaque événement d’ampleur mondiale, internet finit toujours par trouver un lien avec Bill Gates, troisième homme le plus riche du monde et fondateur de Microsoft. Alors, quand la pandémie de COVID-19 a frappé le monde, certains n’ont pas manqué de faire le lien avec cette conférence Ted dans laquelle, en 2015, l’homme d’affaire alertait sur les difficultés auxquelles pourrait faire face le monde si une pandémie mondiale venait à le frapper.
Il avait vu juste. Et pour les adeptes de théories du complot, il n’en fallait pas plus pour accuser l’homme d’affaire d’avoir lui-même fait créer le virus en laboratoire. De faux articles de presse et des images tronquées ont alors circulé, pendant des mois et la théorie des « nanoparticules » ou « puces électroniques » injectées par le biais du vaccin est née. En France, le documentaire complotiste Hold-Up est venu semer encore un peu plus le doute.
La particularité de cette fake news réside dans sa grande popularité, alors même qu’aucun élément probant n’a jamais pu la corroborer. Toutes les prétendues « preuves » de ce complot ont aujourd’hui été démontées et Bill Gates est même venu s’expliquer à ce sujet sur RTL. Et c’est bien là qu’est le problème. Pour un grand nombre d’adeptes des théories du complot, l’absence de preuve est une preuve en soit que « l’on nous cache des choses ». Le milliardaire avait d’ailleurs récemment été accusé d’avoir relancé l’épidémie de polio en Afrique.
Plus concrètement, la fondation Bill-et-Melinda-Gates finance de nombreux programmes de santé depuis le début des années 2000. Elle est même le deuxième contributeur direct au budget de l’OMS. Si cette influence sur les orientations de la santé mondiale peut poser question, elle est à relativiser. Au total, la contribution de la fondation ne représente « que » 25% du budget de cette organisation supranationale complexe. Malgré cela, cette contribution de la fondation à l’OMS est à l’origine de nombreuses autres rumeurs, détaillées par Le Monde.
Il est vrai que des recherches, appuyées par la fondation Gates, ont été menées sur la mise au point d’un carnet de vaccination sous-cutané. Rien à voir ici avec une « puce électronique » qui permettrait à Microsoft de nous « ficher » et de nous « tracer » : Un ingénieur travaillant sur le projet a expliqué à Reuters qu’il s’agissait simplement de pouvoir lire rapidement les informations de vaccination d’une personne grâce à un smartphone. Il faut aussi ajouter que ces recherches sont menées dans un cadre légal et n’ont rien à voir avec la campagne de vaccination en cours.
La théorie du complot liant Bill Gates et le COVID-19 ne repose donc sur aucun élément solide et vérifié.
Les laboratoires Pfizer et BioNtech auraient commandé une grande quantité de flacons pour vaccin avant le début de l’épidémie :
Sur Facebook, Twitter et ailleurs sur le web, des internautes relaient depuis quelques jours une information selon laquelle les deux laboratoires auraient anticipé l’épidémie, avant même que le premier cas ne soit déclaré en Chine en novembre 2019. Le point de départ de cette fake news ? Une interview de Carlos Brusa, avocat et président de l’association Réaction 19, diffusée sur Cnews le 8 janvier. Dans cette interview, il déclare que des perquisitions ont eu lieu dans les locaux des laboratoires Pfizer et BioNtech à la suite d’une commande, le 2 novembre 2019, de « deux fois 800 millions de flacon en verre qui doivent tenir à -800° ».
Déclarant s’appuyer sur « des preuves écrites », il refusera de répondre aux questions de Checknews lorsqu’il sera interrogé sur celles-ci. Questionnée par 20minutes, la société allemande Schott, censée avoir produit ces flacons dénonce une « rumeur qui ne pourrait être plus fausse » et affirme ne pas avoir eu de contacts avec l’industrie pharmaceutique avant 2020 « quand l’épidémie a frappé l’Europe ». Une information qui avait d’ailleurs été détaillée dans l’Express en décembre 2020. De leur côté les laboratoires ont indiqué à 20minutes n’avoir commencé à travailler sur le vaccin qu’en mars 2020.
Difficile de savoir quelles étaient ces « preuves » brandies par Carlos Brusa, mais une publication Facebook datant du 31 décembre 2020 évoquait déjà ce « complot ». Dans le même article Checknews clôt le débat, citant une source au sein de l’administration allemande qui nie toute enquête et parle d’une « fake news de A à Z. ». Rien ne tend donc à prouver qu’une telle commande ait été passée avant 2020 par les laboratoires Pfizer et BioNtech.
Yann MOUGEOT