Un article co-écrit et réalisé par Apolline Benoit-Gonin, Sandra Lochon, Elise Blanchard, Claire Thery, Louis Roche et Loris Jecko.

Les élections législatives anticipées de l’été 2024 ont été marquées par la création d’une coalition de gauche, le NFP. Un effort timoré face à l’essor des voix en faveur du Rassemblement National et du parti Ensemble dans le Grand Est. Face à la percée de l’extrême droite, plusieurs grandes villes de la région renforcent leur engagement rouge.

Les électeurs de gauche avaient perdu espoir, et contre toute attente, les partis sont parvenus à se rassembler sous une seule bannière. Le Nouveau Front Populaire (NFP) semble avoir mobilisé massivement l’électorat de gauche à l’échelle nationale, s’imposant comme la première force politique française, en particulier dans les zones urbaines. À Strasbourg, c’est un carton plein pour les candidats de gauche. Dans la première circonscription, Sandra Regol (NFP) a été réélue avec 58,81 % des voix, comme son collègue LFI Emmanuel Fernandes (48,79 %). Dans la troisième circonscription, la gauche s’est hissée en haut du podium avec Thierry SOTHER (43,27 %). Dans certains cas, le « front républicain » a aussi joué en faveur du NFP face au Rassemblement National (RN). En Meurthe-et-Moselle, dans la première circonscription, le candidat Ensemble s’est retiré à l’issu du premier tour en appelant à faire barrage au RN. Une décision qui a profité à la candidate NFP. Le Rassemblement National ne s’est pas laissé impressionner par cette alliance, de larges victoires dans la majorité des circonscriptions du Grand Est, y compris en périphérie des grandes villes. Sur les 21 circonscriptions de Lorraine, près de la moitié ont été remportées par le Rassemblement national. 

Pourquoi un tel succès ? « Le Rassemblement national, comme auparavant le Front national, a su capter le vote ouvrier », explique Arnaud Mercier, politologue et docteur en science politique. « La Moselle figure toujours parmi les cinq à dix départements où le RN obtient ses meilleurs scores », poursuit l’enseignant-chercheur. Le passé industriel de ces zones rurales et leur proximité avec plusieurs frontières constituent un terreau de qualité pour les discours du parti d’extrême-droite, qui continuent de convaincre beaucoup d’électeurs. Le Rassemblement National a remporté 16 circonscriptions dans le Grand Est, dont celles de Thionville, Forbach, Sarreguemines et Hayange en Moselle, ainsi que Haguenau et Schiltigheim dans le Bas-Rhin. Le parti s’est également imposé à Saint-Louis dans le Haut-Rhin et à Sedan dans les Ardennes. Ces résultats témoignent de l’ancrage du parti d’extrême droite dans des territoires historiquement marqués par une désindustrialisation et une population sensible aux thématiques défendues par le RN.

De manière générale, les territoires ruraux et périurbains apportent un large soutien au Rassemblement national. Les habitants ressentent un décalage entre ce qu’ils vivent et ce que leur proposent les candidats politiques. Entre mépris et abandon, les ruraux s’estiment délaissés par les urbains, ce qui explique une différence de comportement électoral entre ces deux profils. Une situation qui se remarque dans les résultats : le NFP et Ensemble ont remporté des sièges dans les zones urbaines, telles que Reims, Nancy, Strasbourg, Colmar et Mulhouse, tandis que les partis de droite ont largement dominé les zones rurales.

Le NFP, une refonte ratée du Front Populaire dans le Grand Est

En 1936, la gauche s’associe pour former Le Front populaire, en vue des élections législatives. Cette alliance politique rassemble les principaux partis de gauche de l’époque : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, Parti socialiste), le Parti communiste français (PCF) et le Parti radical (PR). Les événements du 6 février 1934 ont permis à la gauche de s’assembler en réaction à la menace d’un coup d’État fasciste. Une situation semblable à ce que vit la France ces dernières années, entre inflation, crise de l’emploi et difficultés pour les ménages français à s’en sortir dans un contexte difficile. Ce sont les mêmes arguments qui ont poussé le NFP à se former lors des législatives de 2024, alors que les partis d’extrême droite constituent, selon lui, une menace dans de plus en plus de pays voisins de la France. Face à ce risque, la seule solution semble être une « gauche unie ». Le 10 juin 2024, une vingtaine de partis signent une tribune qui les lie par « contrat de législature », en vue de défendre un programme commun. 

Si le Front Populaire s’est construit sur plusieurs mois en 1934-1936, le NFP s’est formé en quelques jours après la dissolution de l’Assemblée. L’historien des gauches, Romain Mathieu, n’est pas sûr que l’on puisse faire de liens entre le Front Populaire et le Nouveau Front Populaire. « Depuis 1936, de l’eau a coulé sous les ponts, les logiques ne sont déjà plus les mêmes depuis les années 2000, même si les valeurs d’unité portées par le Front Populaire persistent », indique-t-il. Une explication possible au fait que le NFP n’obtienne pas des résultats à la hauteur de ses espérances, à la différence du Front Populaire à son époque.

Depuis plusieurs années, la gauche peine à percer dans la région Grand Est, malgré quelques bastions importants comme Nancy et Strasbourg. « Ça a toujours été compliqué pour la gauche dans la région, notamment en Lorraine », insiste Romain Mathieu. Ces dernières années, « il y a eu un basculement de la gauche vers la droite », précise-t-il. Plusieurs exemples se dessinent dans le Grand Est, « Epinal n’est plus socialiste depuis 30 ans, la Meuse est désormais davantage centriste voire de droite, les Vosges sont aussi plus à droite sauf à Gérardmer où le maire est socialiste », illustre l’expert. 

En Moselle, aucun député de gauche n’a été élu durant le second tour des élections législatives anticipées. Parmi les 725 communes de Moselle, seules, quatre ont placé la gauche en tête du second tour. Metz est une ville témoin de cette tendance bleue. Placée historiquement à droite, elle n’a pas suivi de revirement, malgré les tentatives du NFP de convaincre les Messins en allant à leur rencontre. À noter que LFI a perdu son seul siège dans la troisième circonscription de Moselle, à la faveur d’un candidat UDI qui faisait face au RN. Charlotte Leduc, représentante de la Nupes en 2022, y avait obtenu 51 % des voix. Dans l’Eurométropole de Metz, le groupe Ensemble a fait une percée contre le RN dans les deux autres circonscriptions. 

Strasbourg et Nancy, les derniers bastions de la gauche

Strasbourg confirme son statut de bastion de la gauche en réalisant un quasi grand chelem aux législatives. Dans la première circonscription, à l’échelle de la commune, Sandra Regol, candidate de la coalition Nouveau Front Populaire a dominé le second tour. Elle s'est imposée avec 58,81% des voix face à Étienne Loos de la coalition Ensemble qui a recueilli 41,19%. Plus largement, la ville a remporté le second tour dans trois de ces quatre circonscriptions. La ville de Strasbourg est composée d'un électorat « plus urbain et plus diplômé qu'auparavant », selon Arnaud Mercier. Une information confirmée par un sondage mené par l’Institut Ipsos Talan, « Le NFP fait le plein chez les personnes les plus diplômées : 37 % chez les titulaires d’un bac +3, la même catégorie où le RN fait le score le plus bas (22 %)» Par conséquent, le parti de gauche y est majoritaire. 

A contrario, la ville de Nancy a souvent fait partie des régions de vote centriste, démocrate-chrétien qui sont devenues socialistes, notamment ici avec l’arrivée de Mathieu Klein à la mairie nancéienne. Là aussi, la part de la population diplômée joue pour beaucoup. Aujourd’hui, ce sont des territoires qui tendent à devenir des « bastions » annonce le politologue.

 Dans tous les cas, la création du Nouveau Front Populaire témoigne d'une rare alliance entre les partis de gauche dans un but commun, même si cela n'a pas suffi dans la majorité du Grand Est. Arnaud Mercier, l’explique et affirme qu’il s’agissait d’une « alliance purement défensive ». Le parti n'essuie pas un échec parce que son but n'a jamais été de créer une vague rouge. En effet, en dehors des grandes villes, sa stratégie consistait à s’unir autour d’un candidat, de peser sur le scrutin et de « montrer qu’il existait ». Le professeur ajoute qu'« ils n'avaient aucun espoir de gagner » : « c’est une candidature de témoignage, ils marquent un territoire », précise-t-il.