par Marion Mellinger & Laurence Morandini

Désertification médicale. Elle n’a pas fini de faire parler d’elle, ni de hérisser les poils des politiques, experts et médecins. Symptomatique d’un système de santé à la dérive, elle ne cesse de s’aggraver. L’enjeu est de taille. Environ deux millions de Français sont concernés par ce fléau sanitaire et les inégalités entre les régions de l’Hexagone ne cessent de se creuser. Face à ce constat alarmant, la ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, a lancé en 2012 un « Pacte territoire-santé ». Le but : faire reculer les déserts médicaux de notre pays. Qu’en est-il dans la région ACAL ?

Vous avez peut-être déjà vu les commerces d’un village mettre la clef sous la porte les uns après les autres. C’est ce qu’on appelle la désertification. La profession médicale ne déroge pas à la règle.

Désertification médicale késako ?

Selon l’INSEE, la désertification médicale correspond à une densité de médecins pour 100.000 habitants inférieure de 30% à la moyenne nationale, qui est de 340. En dessous du seuil de 238, on peut parler de désert médical.

Lors du débat qui suit l’enquête La santé en France – diffusée sur France 3 le 19 octobre 2015 – sociologues de la santé, politiques et médecins se rejoignent sur un point : les contours de la désertification médicale sont flous. Frédéric Pierru, sociologue de la santé parle d’une « réalité difficile à appréhender », presque insaisissable. Et pour cause, elle croise des facteurs à la fois territoriaux, sociaux et économiques. Ce qui est plutôt clair, c’est que trois millions de Français n’ont pas accès à un médecin généraliste et dix millions à un spécialiste.

Les communes de la région ACAL, avec et sans aucun médecin

Les origines de la mauvaise répartition des médecins

Baliser la notion de désertification médicale relève de l’impossible mais déterminer ses origines et ses conséquences semble à portée de main. Nos trois interviewés s’accordent à dire que la désertification médicale en ACAL est intimement liée à la génération.
Pour Mathias Bocquet, maître de conférences au département de Géographie de l’Université de Lorraine,

 « Le phénomène ne s’explique pas uniquement par le facteur démographique. Comme tout jeune actif, les médecins ont envie d’avoir accès à une vie citadine avec toutes les commodités qui y sont rattachées. Il y a surtout un effet de désir personnel de choix de vie. »

Cette soif de vie urbaine propre à la majorité des médecins fraîchement diplômés conduit à un mauvais maillage territorial. Ce dernier est aggravé  par l’absence de réglementation de la profession. Contrairement aux pharmaciens, les médecins sont libres de s’installer où ils veulent.
Généralistes et spécialistes ne suivent cependant pas la même logique. Toujours selon Mathias Bocquet,

« Le médecin généraliste s’inscrit dans un service de proximité et se rapproche de sa clientèle. Quant au médecin spécialiste, il va plutôt se positionner en centre ville. Ce n’est pas lui qui vient à sa clientèle mais sa clientèle qui vient à lui. »

Si certains mettent l’effet de génération sur le banc des accusés, d’autres comme Eric Barthélémy, médecin généraliste à Morhange -en Moselle-, pointent un problème plus à la source, les études de médecine.

« Le cursus est fait de telle façon que jusqu’en 6ème année, nous n’avons aucune approche de la médecine générale. Sur les six stages d’internat, nous n’en faisons qu’un seul chez le médecin généraliste. On ne peut pas intéresser un jeune si on ne l’initie pas à la profession, donc il risque encore moins de franchir le pas de s’installer à la campagne. »

Un désert de fractures

La désertification médicale est un phénomène qui perdure et fait apparaître des disparités entre les régions de l’ACAL, mais également entre les départements qui la composent.
A la lumière des chiffres de l’INSEE, les Ardennes, l’Aube en Champagne-Ardenne et la Meuse en Lorraine caracolent en tête des départements les plus mal lotis en matière d’accès aux soins. En 2013, la densité médicale -exprimée en nombre de médecins pour 100.000 habitants- était respectivement de 229,2, 237,3 et 221,3.
A l’inverse, la Meurthe-et-Moselle est le département de la région Grand-Est qui sort du lot, avec un ratio de 403,4 médecins pour 100.000 habitants.
Si l’on s’en tient à la définition de l’INSEE, l’ACAL compte des déserts médicaux mais d’après nos chiffres, cette qualification n’est peut-être pas vraiment adaptée, ni représentative car le ratio de ces trois départements n’est pas si éloigné de la moyenne nationale. Il serait certainement plus approprié de parler de difficulté d’accès aux soins.

Quant à la fracture, elle n’est pas seulement visible entre les villes et les campagnes. Elle l’est également entre aires urbaines et périphéries car les déserts médicaux sont aux portes des métropoles les plus développées. Emmanuel Vigneron, professeur géographe à l’Université de Montpellier évoque dans La santé en France le cas de l’Ile-de-France. Le taux de mortalité à Bobigny serait 1,8 fois plus élevé qu’au Square du Luxembourg. Preuve que pauvreté et santé sont étroitement liées.

Le nombre de médecins dans les huit départements de l’ACAL suit globalement l’évolution de la population.


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Maisons de santé, « un rempart à l’isolement »

Existe-t-il des moyens de palier la désertification médicale ? Le regroupement médical semble en être un.  Le constat est unanime. Pour Eric Barthélémy, c’est indéniablement

« un rempart à l’isolement et à la surcharge de travail ».

Anne Morandini, médecin anesthésiste au CHU de Nancy estime que les maisons de santé sont « un bon moyen d’attirer du sang neuf « .
Emmanuel Vigneron, évoque dans l’enquête  une « solution efficace malgré l’effort financier de l’Etat et des collectivités territoriales ».

A l’échelle de la France, la désertification médicale est un phénomène de société avérée. Une réalité qui perdure et donne lieu à des disparités au sein des régions et des départements. Les prévisions pour 2018 laissent présager que les déserts médicaux subsisteront sur la carte de France. Cependant, en région Grand-Est, la situation est moins problématique.