L’Irak d’aujourd’hui est bien différent de celui des souvenirs de Niga. La jeune fille avait 6 ans quand elle a quitté Sulaymaniya, sa ville natale du Kurdistan irakien, pour embarquer seule avec sa mère dans un dangereux périple.
« Bavarde, toujours de bonne humeur et un peu fofolle », ses amis n’ont certainement pas tort sur un point : Niga aime parler, surtout quand il s’agit de raconter son histoire. La jeune fille de 23 ans est conseillère mutualiste à Nancy. Elle s’installe une tasse à la main, son portable dans l’autre. Il s’allume sans arrêt. Mais un petit regard rapide, et Niga reprend le fil de son récit. C’est une vraie logorrhée. Des détails ultra précis, des souvenirs qui s’échappent, l’envie d’en parler pour un peu y retourner se fait sentir.
Sulaymaniya, une ville rêvée, sûrement un peu fantasmée. Jusqu’en 2014 en tout cas, car avant cela Niga n’avait pas le droit de retourner en Irak. Son statut de réfugiée politique l’en empêchait. Dès l’obtention de la nationalité française en décembre 2012, la jeune fille a planifié son voyage. Avec une excitation mêlée à de la peur : « j’ai été privée de ma famille très jeune, aujourd’hui je les connais sans les connaître ». Un sentiment de manque profond pour elle, l’enfant choyée qui vivait dans la maison familiale aux côtés de sa grand-mère, de ses tantes et cousins.
L’Odyssée de Niga
Quitter l’Irak n’a pas vraiment été un choix pour Jowin, la mère de Niga. Ce sont le harcèlement et les menaces du père biologique de Niga, membre influent d’un des principaux partis kurdes, l’UPK, qui l’ont contrainte à cette décision. Le 29 septembre 1998, elles quittent Sulaymaniya en direction du Royaume-Uni, accompagnées d’une tante atteinte d’une tumeur au cerveau. Pendant cette période d’entre deux guerres du Golfe, « il y avait beaucoup d’exils du pays car c’était facile d’aller en Europe. Guerre ou pas guerre, tout le monde partait », explique Niga. Mais pour elles, l’espoir d’un asile facile s’éloigne rapidement : à Ankara, en Turquie, l’UNHCR (le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, branche de l’ONU qui protège les réfugiés) rejette leur dossier.
Jowin et Niga, à gauche. En haut à droite : la tante de Niga. En Turquie, les 3 femmes vivaient dans des appartements avec d’autres réfugiés.
Sans revenus, entrées illégalement dans le pays, les trois femmes se dirigent vers Konya, plus proche de l’Europe. « Il nous fallait aller en Europe coûte que coûte. On ne pouvait pas retourner chez nous ». C’est là qu’elles retrouvent un ami de la famille, qui deviendra plus tard le beau-père de Niga. Le bouche à oreilles fonctionne : des passeurs en partance d’Izmir emmènent des clandestins en Italie. Leur première tentative, Niga s’en souvient dans les moindres détails. « Des camionnettes étaient venues nous chercher. On est arrivés dans un champ vers 2h du matin, et il fallait grimper une montagne. Le bateau nous attendait de l’autre côté. Je me suis fait des amis sur le chemin, et on courait pour grimper au sommet. C’était un jeu pour nous ». Arrivée en haut, la petite de 6 ans aperçoit le bateau. « Mes copains me disaient de venir avec eux. Mais moi j’attendais ma mère. Ils étaient tout en bas, et mon beau-père portait ma tante, aveugle et malade, sur ses épaules ». Alors elle attend, et lorsqu’ils arrivent, le bateau est parti. « Je pleurais, mes copains n’étaient plus là et on était tout seuls sur la montagne. On ne savait pas quoi faire. » Ils posent leurs couvertures et passent la nuit là, sur un rocher. « C’était difficile de dormir. J’avais peur, il faisait un froid glacial et on entendait les animaux. »
London calling
Finalement, la deuxième tentative sera la bonne. Après 8 jours passés au fond d’une cale, sans lumière, sans toilettes et sans notion du temps, Niga et Jowin arrivent en Italie. De là, elles prennent le train jusqu’à la France, et jusqu’à Sangatte. A côté de Calais, un immense hangar dressé au milieu des champs, accueille les réfugiés. Les trois femmes logent dans des bungalows, en attendant de passer au Royaume-Uni, où elles ont de la famille. Le centre d’accueil devient vite un grand terrain de jeu pour Niga : « J’étais un peu la reine du camp. Les autres enfants étaient tous jaloux, parce que j’étais tout le temps avec les bénévoles. Je partais le matin, je revenais le soir, et des fois je passais dire à ma mère que j’étais toujours vivante ! ». Dans ce va-et-vient permanent, d’autres partent le matin sans revenir le soir. Comme son beau-père, qui réussit à entrer au Royaume-Uni.
A Sangatte.
En français dans le texte
Mais l’état de sa tante s’aggrave. Elle est hospitalisée à Lille, puis à Verdun. Jowin abandonne l’idée du Royaume-Uni et décide de rester en France pour être auprès d’elle. Elles font une demande d’asile et sont envoyées au CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) de Clermont-en-Argonne, près de Verdun. En 2002, elles obtiennent une carte de séjour de 10 ans et s’installent définitivement à Bar-le-Duc en 2003. Niga reprend l’école à sa plus grande joie, et la vie reprend.
Depuis, Niga a déménagé à Nancy mais ses parents habitent toujours à Bar-le-Duc. De cette épopée digne d’un film, c’est surtout d’une aventure dont elle se souvient, par ses yeux d’enfant. « Quand j’y repense, je suis fière. J’admire ma mère qui a survécu a ça toute seule ». Très attachée à sa famille, Niga a trouvé un équilibre ici en France. Mais son pays, elle ne l’oublie pas. Aujourd’hui, son histoire résonne particulièrement quand elle voit le flot de réfugiés en provenance du pays voisin au sien. « Ils viennent pour fuir un danger, ils renoncent à leur vie. Ils partent car ils n’ont pas le choix. C’est horrible comment ils sont traités ». La jeune fille a pour projet de retourner au CADA de Verdun, « pour montrer aux familles qu’elles vont y arriver ». Et peut-être, d’un jour écrire un livre, pour mettre des mots sur ses souvenirs.
Marine Van Der Kluft