Agathe André, journaliste et anciennement grand reporter pour Charlie Hebdo, était l’une des invitées du festival de liberté et des idées, Politéïa qui s’est tenu du vendredi 17 au dimanche 19 mars à Thionville. Suite à la conférence « Est-on libre de dessiner ce que l’on veut et rire de tout ?« , elle revient sur son parcours et sa relation avec le dessin de presse.

Pouvez-vous revenir sur votre vécu de journaliste ?

A.A : Quand j’étais plus jeune, je ne savais pas trop vers quoi m’orienter donc je me suis tournée vers des études d’histoire et d’ethnologie. En parallèle, je suis partie au Népal avec des copines pour y construire une école dans le cadre d’une association qu’on avait créée. On pensait que ça durerait un an, puis ça a été le projet de toute une vie. Là-bas, je commence à me rendre compte que l’histoire ça ne m’intéresse pas vraiment. Je me demande quel métier pourrait me permettre chaque jour, ou en tout cas très régulièrement, de m’interroger sur quelque chose de nouveau. Je suis très curieuse, tout m’intéresse donc je me suis dit que journaliste, c’était pas mal. Ça pouvait aussi me permettre de continuer à voyager. Là, j’ai commencé à m’intéresser vraiment à la presse.

Pourquoi avoir choisi de travailler à Charlie Hebdo, un média très axé sur la caricature ?

En la lisant de plus en plus, j’ai découvert Charlie Hebdo. Pour moi c’est la révélation mais je ne m’imaginais pas une seconde que je commencerais ma carrière par là.

J’ai passé les concours des écoles de journalisme et j’ai eu celle de Toulouse. J’ai demandé un stage à Charlie Hebdo et on m’a pris. Ça a été le coup de foudre avec la rédaction. J’ai été embauchée dès la sortie de l’école. C’était complètement dingue. J’avais 24 ans et je me suis retrouvée avec des personnes brillantissimes. C’est un apprentissage de la vie, de la liberté.

Je suis allée sur le terrain au Pakistan, en Afghanistan en tant que grand reporter. On reste journaliste, c’est à dire que pour nous, la même, déontologie s’impose. Mais, il faut trouver d’autres angles. Par exemple, quand j’allais à Kaboul, je cherchais à montrer toute toutes les réalités que l’on trouve derrière une burka. Ça a été des années très éprouvantes.

C’est grâce à Charlie Hebdo que j’ai pu aller m’installer pendant six mois au Venezuela. Je suis aussi partie à Tanger pendant un an. Ça a été des expériences exceptionnelles. Après, j’ai eu une proposition pour devenir commentatrice en direct des lancements de la fusée Ariane cinq à Kourou. J’ai fait ça pendant un an. C’était de la communication plus que du journalisme mais c’était fabuleux d’assister à cet évènement. Ensuite, j’ai travaillé à France Inter soit pour les chroniques du matin, soit pour des émissions autour de la sexualité et des mutations sociales.

Et puis il y a les attentats du 7 janvier 2015. Je retourne à Charlie Hebdo. A ce moment-là, on est hébergé à la rédaction de Libération. On a reçu plus de 2 500 dessins réalisés par des enfants et des adultes. C’était un élan complètement dingue. C’est comme ça que l’association [Dessinez Créez Liberté] est née. C’est un peu la genèse qui permettait de remettre des mots sur tout ça. On est venu parler à tous de la place de la religion, de la laïcité, de la liberté de la presse…

Depuis maintenant six ans, on est vraiment au cœur du dessin de presse, c’est à dire des séquences sur l’histoire de la satire pour rappeler que finalement, Charlie Hebdo ce n’est pas grand-chose par rapport à ce qu’a pu être la caricature anti laïque il y a près d’un siècle.

Pourquoi avoir créée cette association ?

A.A : Suite aux attentats, le choc était total. Plusieurs millions de personnes sont descendues dans la rue. Le slogan « Je suis Charlie », ça ne veut pas forcément dire « Je suis Charlie Hebdo ». On a trente milles lecteurs, donc quand cinq millions de personnes descendent dans la rue, certains viennent défendre quelque chose de plus large que simplement le journal.

Par ces attentats, on a bien vu qu’il y avait eu un malentendu très injuste, la question de racisme. Charlie Hebdo était dans tous les combats antiracistes. Là je me suis dit qu’il y avait un malentendu et que les gens ne savaient plus lire un dessin. Et, comme c’est un langage que moi je connais, je me suis dit on va reparler de tous ces sujets qui fâchent.

Avec l’association, on travaille généralement au long court. Ce sont des interventions de 2 ou 3 séances minimum. On se rend compte qu’au bout de seulement quatre interventions, les automatismes ont changé. Les gens cherchent davantage à connaître le contexte du dessin, et les actualités auxquelles il fait référence. Ces automatismes qui se mettent en place changent complètement la réception du dessin ou de l’image.

Depuis 3 ou 4 ans, je m’occupe des publics dits plus « sensibles » comme les radicalisés.

Pourquoi se tourner vers ce public ?

A.A : J’avais envie de voir autre que le cadre scolaire. Je voulais me confronter à des publics plus difficiles à convaincre J’arrive à rééquilibrer cette nécessité pédagogique et le contact avec l’autre, ce qui n’est pas forcément évident aux premiers abords. Ça permet de réussir à se rencontrer et de faire tomber les préjugés. En prison, c’est impressionnant de voir comment les préjugés peuvent tomber des deux côtés : mois vis-à-vis d’eux et eux vis-à-vis du journal.

Et par rapport à cette association, est ce qu’il y avait déjà un projet de création avant les attentats ?  

A.A : Avant, il n’était pas question de créer une association d’éducation aux médias.

Jamais je n’aurais pensé qu’une association pour apprendre à décrypter le dessin de presse soit nécessaire. Mais, je réalise aussi qu’on ne doit pas être si nombreux à comprendre comment fonctionne un dessin de presse. C’est vrai aussi que ce sont peut-être des personnes qui ne sont pas du tout dans cette tradition là qui reçoivent les images.

On s’aventure sur des terrains que personne ne souhaite vraiment évoquer et tout se passe très bien. On n’a jamais reçu de menaces ou autre.

Pendant la conférence, vous avez évoqué le tabou de la religion, le fait qu’en France le blasphème ne constitue pas un délit. Pourtant, il est de moins en moins toléré moralement. Comment expliquer cela ?

A.A : On part du principe qu’aucune religion n’est au-dessus des autres et que si l’on respecte les interdits de toutes les religions, et bien on ne peut pus rien dire. Après avoir dit cela, on se pose la question de ce qu’est respecté un croyant.

Respecter un croyant, contrairement à de nombreux pays, c’est de lui laisser la possibilité de pouvoir lui laisser pratiquer sa religion. C’est le cas en France, chacun a le droit d’exercer son culte.

Et donc, qu’est ce que respecter un athée ?

Pour lui, la religion est une idée comme une autre. Donc respecter un athée, c’est aussi lui permettre de rire et de critiquer les religions. Dès qu’on est dans le régime des idées, on peut tout se permettre mais on rappelle aussi très vite que la liberté d’expression condamne lorsque l’on s’attaque à quelque chose qui ne peut être choisi. La question des religions est compliquée car la liberté de conscience en France, c’est la liberté de choisir sa religion et de pouvoir en changer. Mais, quand on est dans une famille croyante, on reçoit a priori une éducation à cette religion.

La justice vient condamner ce que l’on ne choisit pas : la couleur de peau, le sexe, le handicap, l’orientation sexuelle… Dans ce cas, ce n’est plus la critique d’une pensée ou d’une croyance, mais une attaque directe à l’encontre d’une personne et de ce qu’elle est.

On comprend que les croyants n’apprécient pas la critique autour de leur religion sauf qu’il y a une différence entre la religion comme idée ou concept, et le croyant qui est un sujet à part entière.

La critique des religions n’est pas l’appel à la haine des croyants. C’est cette nuance qu’il faut comprendre. La laïcité nous permet à tous d’évoluer au sein d’une même société. On est des citoyens avant d’être des croyants.

Le but n’est pas que tout le monde tombe d’accord. On peut avoir des divergences et en discuter sans aucune agressivité.

Est-ce que le fait que l’on essaye de mettre trop les religions de côté conduit à une méconnaissance à l’origine de certains préjugés ?

A.A : Je ne pense pas. Quand j’étais enfant, on avait tous une rencontre d’organisée avec différentes communautés religieuses. On parlait de xénophobie. Je le souviens des premiers cours d’éducation à la citoyenneté où on avait été alerté sur ses sujets. Après, le fait religieux, je le trouve intéressant car il raconte quelque chose des êtres humains.

Il faut aussi rappeler que la laïcité, c’est avant tout un principe d’égalité, ce n’est pas une conviction mais c’est un principe qui les autorise toutes. C’est vraiment une question de tolérance.

En tout cas, ce qui est intéressant, c’est de débattre et de lever les malentendus. Et puis un journal, on peut détourner le regard. On n’est pas forcé de le regarder. Mais en tout cas, le dessin de presse, c’est un langage.