Certaines espèces bénéficient d’un traitement différencié et peuvent être chassées toute l’année au grand dam des associations de protection des animaux. Elles appartiennent à la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD). Un combat permanent se joue entre les associations et les fédérations de chasse dans l’objectif de réviser la liste. A l’appui : des arguments que la science n’a pas confirmés. Dans la famille des mammifères, chaque partie tente de s’approprier le renard et le sanglier.

L’Etat, les chasseurs et la préfecture

En sus des espèces exotiques envahissantes, les ESOD sont déterminées sur un territoire selon différents critères : pour des raisons sanitaires, pour assurer la protection de la nature mais aussi pour prévenir des dommages aux activités humaines. Un arrêté ministériel établi sur proposition du préfet est déterminé pour trois années, il peut classer ESOD dans un département :  la belette d’Europe, la fouine, la martre des pins, le renard roux, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes et l’étourneau sansonnet. Une liste complémentaire annuelle peut-être établie pour ajouter le sanglier, le lapin de garenne et le pigeon ramier.

Les sangliers, par exemple, sont des ESOD car ils posent d’importants dégâts dans les cultures. Mais leur classement est discuté par des associations comme One Voice, qui militent contre toutes formes de violences envers les animaux. Selon Monique Leclef, référente de l’association en Moselle, les chasseurs élèvent les sangliers dans le seul but de les réintroduire. « Ils ont tué tous les sangliers. Maintenant il y en a de nouveau énormément, donc c’est bien la preuve qu’ils les élèvent. » Emric Migot, technicien à la fédération de chasse du 54 s’en défend : « c’est complétement illégal ». Le constat de la militante peut toutefois s’expliquer. En tuant certaines espèces, elles se déplacent davantage et cherchent à occuper d’autres espaces. Parce que la population est amoindrie, les individus peuvent se nourrir plus amplement. Par conséquent elles se reproduisent et renouvèlent leur population, clarifie Martin Plancke,  , écologue à la fondation pour la recherche sur la biodiversité

Déclarer pour condamner

Pour classer ESOD le sanglier, il est nécessaire de réaliser un décompte des dégâts qui lui sont imputés. Seulement, « n’importe qui peut faire une déclaration de dégâts. » s’agace Monique Leclef. Si les chasseurs ne peuvent justifier un certain coût de dégâts, le renard, le corbeau, le sanglier peuvent être déclassé. Les intérêts sont importants et ces déclarations ne sont sujet à aucune vérification. Emric Migot recueille directement auprès des particuliers les données lorsqu’il intervient sur l’exploitation. « Dans un premier temps, ils n’ont pas forcément l’objectif et la raison pour laquelle ils répondent à cette enquête. » Martin Plancke s’amuse de la situation « On a recueilli plus de 3000 déclarations et c’est assez affligeant. L’hétérogénéité qu’il y a dans les déclarations des gars, on voit très bien derrière une volonté de classer. »

La militante One Voice face à ces déclarations est confrontée à un dilemme. Son conjoint est producteur céréalier, or, les fédérations de chasse ont l’obligation d’indemniser les exploitant.es vis-à-vis des dommages causés par les sangliers. L’agriculteur bien qu’en faveur de l’annulation de l’arrêté listant les ESOD, se voit contraint pour des raisons économiques de remplir le document. La notion de « dégâts » est une idée « courtermiste » selon l’écologue. Les solutions qui sont mises en place n’ont pas les résultats attendus, ce qui accentue la détresse agricole.

ESOS : espèces susceptibles d’occasionner des services

Le chasse du renard comme celle du sanglier est sujet à controverse. Certains individus sont porteurs d’un parasite qui provoque chez l’humain l’échinococcose alvéolaire. Monique Leclef s’interroge : « est ce que la mort des renards a un impact significatif sur le nombre de malades? »  Pour le chasseur, c’est « important de pouvoir avoir l’opportunité de les réguler. » Martin Plancke a réalisé à la demande de la ligue de protection des oiseaux, une synthèse d’avis d’experts concernant les effets des prélèvements sur la réduction des dégâts. Des études montreraient que la vaccination des renards où la prévalence du germe est faible permettrait aux populations de devenir relativement saines. Face aux binarismes des deux parties prenantes, le scientifique rappelle qu’« il est extrêmement difficile de rattacher la ligne de cause à effet».

Le renard roux et la belette limitent la prolifération des rongeurs, les corvidés jouent un rôle de charognards et limitent la propagation de maladies, le geai des chênes permet de disperser les graines et de reboiser les forêts. Considérant ces contributions, le terme ESOD succède en 2016 à celui d’”espèce nuisible” dans le code de l’environnement. Mais le traitement et la considération des animaux classés n’a pas évolué tandis que leur rôle pour la biodiversité est primordial. Pour aller plus loin, l’écologue propose de réfléchir en termes d’ESOS, c’est à dire espèces susceptibles d’occasionner des services, « quitte à rester dans cette question utilitariste de la nature ».