Entre simple prière et exorcisme musclé : enquête sur le protocole d’une pratique mystifiée. Si l’Église catholique assure exclure toutes violences de ce rite, les paroissiens ne sont pas à l’abri d’abus.
Dans sa chambre, Regan, possédée, est incontrôlable. Les deux prêtres tentent tant bien que mal de réciter des prières, ils sont frappés et projetés par le démon à l’intérieur de cette fille de 12 ans. En transe complète, elle fait trembler la maison et se met à léviter au-dessus de son lit. Pour beaucoup de gens, cette scène fait partie des premières voire seules représentations de la pratique de l’exorcisme. En 1973 sort le film « L’Exorciste » de William Friedkin. Neuvième film le plus vu de tous les temps aux États-Unis et 441 millions de recettes au niveau mondial, plus de deux milliards si on prend en compte l’inflation.
Devenue cultissime, l’œuvre a tout de même fait parler d’elle au moment de sa sortie, pour cause, son scénario : Regan se fait peu à peu posséder par un être monstrueux, démoniaque et violent. Deux prêtres vont tenter de faire fuir les démons du corps de la jeune fille en pratiquant l’exorcisme. Les scènes cultes qui vont rester dans la tête des gens, ce sont donc ces séances spectaculaires où le paranormal prend le dessus sur la bienséance : entre lévitation, pouvoirs surnaturels, voix démoniaque et métamorphose en monstre, le prêtre exorciste est montré comme étant la seule personne capable de dompter le démon et de sauver de la possession. Malgré l’aspect surréaliste du film plus qu’évident, l’œuvre de William Friedkin a placé une étiquette sur l’exorcisme et surtout un fantasme autour de cette pratique.
Depuis, certaines histoires sont venues alimenter ce fantasme, comme celle d’Anneliese Michel. Dans les années 60 et 70, cette jeune fille allemande a accumulé plusieurs symptômes comme des tremblements, des crises violentes, des visions démoniaques ou encore une haine envers n’importe quel symbole religieux. En 1975, âgée de 22 ans, plusieurs séances d’exorcisme enregistrées sont alors effectuées sur Anneliese, qui décédera un an plus tard de malnutrition et de déshydratation. Les enregistrements issus de ces exorcismes se sont peu à peu propagés dans la culture populaire, notamment sur Internet, où ils sont pour certains la preuve de l’existence de possession telle que celle de Regan dans le film de 1973.
L’étiquette placée sur l’exorcisme est donc celle d’une pratique consacrée aux possessions les plus graves, les plus spectaculaires. Lorsqu’on cherche « exorcisme » sur YouTube, on tombe aussi assez vite sur des vidéos concernant le prêtre Pierre Dulong, ordonné dans l’Église gallicane et non par Rome. Rebelote, les séances filmées montrent des cas dits de possession, où on retrouve les cris démoniaques de l’exorcisé et les personnes autour tentant de le neutraliser, avec en prime, la musique de l’exorciste en fond. Habile. Mais alors qu’en est-il réellement de cette pratique aujourd’hui ? La réalité diffère-t-elle complètement de l’image attribuée à la pratique ? Entre psychologie, charlatanisme et abus, enquête sur une pratique discrète et fantasmée.
Quand l’Église prend le mal à bras-le-corps
L’exorcisme est un terme qui signifie « enlever le mal » en grec. Le Larousse le définit comme « une pratique religieuse ayant pour but de chasser le démon qui a pris possession de quelqu’un. » Dans sa pratique, l’Église catholique, à laquelle nous nous sommes intéressés, se réfère au commandement de Jésus : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » Pour les chrétiens, le mal est incarné par le diable ou Satan. Le Père Laurent, prêtre exorciste au sein du diocèse de Lyon, nous explique que le mal peut prendre des formes variées : « Quelqu’un qui va voler ou qui va dealer pour gagner sa vie, en mettant la vie des autres en danger fait le mal et fait du tort à l’être humain. Mais l’Église croit qu’il y a aussi au-delà de ça un mal, une force du mal, qu’on appelle le diable, qui peut agir sur nous. »
L’exorcisme est pratiqué par tous les croyants lors de leur baptême avec la « Prière d’exorcisme et de délivrance » et de la phrase « Délivre-nous du Mal ». Il est alors sous sa forme la plus simple. Le « grand exorcisme » ne peut quant à lui n’être pratiqué que par un prêtre exorciste. Toutefois, tout croyant n’y sera pas confronté. « Dans la vie chrétienne ordinaire, on prie, on se consacre à ses tâches, on vit une certaine vie de sagesse, quelques fois de jeune… Tout cela constitue des attaques contre le mal », affirme Bertrand Dumas, théologien à l’Université de Strasbourg. « Et rares sont ceux qui ont besoin de recourir à l’exorcisme. »
« Beaucoup de gens sont perdus, ils recherchent de l’aide »
Selon le théologien, la pratique de l’exorcisme, bien qu’exceptionnelle dans la vie d’un croyant, a beaucoup évolué. « Elle a été cadrée dans le temps, notamment chez les catholiques. Si elle a connu un déclin, après des périodes où l’Église avait tendance à voir le diable partout, il y a eu un renouveau qui a été encadré liturgiquement et dans la pratique. » Récemment, les spécialistes ont pu observer une évolution du nombre de demandes. Le nombre d’exorcisme a augmenté sans que d’explications précises puissent être avancées. Bertrand Dumas pense personnellement que « beaucoup de gens sont perdus ». Pour Karine Henriquet, psychologue clinicienne, les périodes anxiogènes sont à l’origine de l’augmentation des exorcismes : « On a pu le remarquer en période après COVID-19, lors du début de la guerre en Ukraine, ce sont des périodes où les populations sont fragilisées. On a une remontée des pratiques et de recherche d’intégrer un groupe et une communauté qui va avoir une fonction protectrice. »
Ce sont aussi les symptômes de possession définis par l’Église qui ont évolué. Le Rituel romain reconnaît quatre signes qui peuvent témoigner d’une possession démoniaque :
- Le fait de parler des langues non connues par la victime
- L’esprit de blasphème, d’horreur instinctive ou inconsciente des choses saintes, en particulier la haine contre le Christ et la Sainte Vierge.
- La révélation de choses cachées ou futures, sans raison naturelle qui puisse l’expliquer.
- L’utilisation d’une force qui dépasse les capacités humaines.
Au Moyen-Âge, les signes étaient beaucoup plus nombreux : notamment les phénomènes d’apesanteur et la lévitation. L’Église pensait également que des zones du corps anormalement insensibles pouvaient être des signes. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait de symptômes de la lèpre…
Le Bureau national des exorcistes veille au bon déroulement du processus de traitement
Les qualifications ont changé et les façons de les traiter aussi. « Aujourd’hui, les exorcistes se rencontrent, vont en formation, et à ma connaissance, travaillent tous en équipe. L’exorciste n’est plus un prêtre seul qui fait des prières et lance de l’eau bénite, mais il est entouré par une équipe de gens qui accueillent les personnes » affirme Bertrand Dumas. Le Père Laurent explique : « Tout prêtre ne peut pas pratiquer. C’est une fonction qui est donnée par l’évêque à un ou deux prêtres de chaque diocèse. » En France, les prêtres exorcistes sont une centaine répartis dans les diocèses.
Tous sont chapotés par le Bureau National des exorcistes qui les forme et les suit. Cela leur permet aussi de se rencontrer et d’échanger sur les questions que leurs missions peuvent leur poser. Si selon le Père Laurent, l’exorcisme n’est pas « tabou », ce n’est pas pour autant que l’Église catholique communique beaucoup sur cette pratique. Il est difficile de rentrer en contact avec des prêtres exorcistes mais encore plus de connaître leur identité. « Il y a une certaine discrétion de l’Église catholique, c’est-à-dire que vous ne trouverez pas facilement et en tout cas pas en libre accès, le nom du prêtre chargé par l’évêque de ces exorcismes », confirme Bertrand Dumas.
Au cours de notre enquête, nous avons contacté plusieurs diocèses afin d’échanger avec leurs prêtres exorcistes, sans succès. Le Père Laurent a accepté de nous parler à visage découvert mais ce n’est pas le cas de tous. L’un d’entre eux nous a contactés via un numéro masqué et sans accepter de nous donner son nom… Dans les textes bibliques et notamment dans les Préliminaires du Rituel, on peut retrouver le secret auquel nous avons été confrontés : « il [l’exorcisme] ne fera l’objet d’aucune publicité et l’exorciste et les personnes qui y auront assisté garderont la discrétion qui s’impose ».
Exorcisé, exorcisé, qui es-tu ?
Faut-il parler dans une langue obscure pour être exorcisé ? Contrairement aux croyances populaires, le profil des personnes se tournant vers un exorcisme n’est pas celui d’une personne pieuse entendant des voix ou parlant le fourchelang. Si le père Laurent, prêtre exorciste du diocèse de Lyon, les distingue en trois catégories, les personnes pratiquant un exorcisme ont, à ses yeux, toutes un point commun : « Des grandes souffrances. »
La catégorie la plus courante est celle de « ceux qui viennent parce qu’à un moment de leur vie il n’y a que des malheurs qui leur arrivent. » Ils perdent par exemple leur travail avant de se séparer et de finir par tomber malades. C’est cette accumulation de malheurs, malgré leurs efforts pour remonter la pente, qui va les pousser à penser que tout est dû à une force extérieure. Ils vont alors contacter le prêtre exorciste en étant persuadés d’être victimes d’une malédiction. Cependant, l’exorcisme n’est pas forcément leur premier choix. « Ces personnes-là vont parfois voir, avant d’aller voir un exorciste, un magnétiseur pour leur problème de santé, ils vont voir une voyante ou un médium pour leur problème de couple » confie le père Laurent.
Le prêtre classe ses fidèles dans une deuxième catégorie selon leurs origines. « Il y a ceux de culture africaine ou autre, des îles antillaises ou autre, chez qui la sorcellerie est très courante. » Ces personnes se rendent auprès du prêtre exorciste dans le but de conjurer un sort qu’il leur aurait été lancé. Bien que les sorciers ont le pouvoir tant de lancer que d’annuler un sort, certains préfèrent sortir de cet univers pour se tourner vers l’Église.
Enfin, le père Laurent fait une troisième distinction, relativement proche de la première. Il ne s’agit pas là de pratiques culturelles, mais d’ésotérisme. C’est par exemple le cas de la voyance, du magnétisme, de pratiques pour entrer en contact avec les défunts. Or, les raisons qui poussent ces personnes à aller consulter un voyant par exemple ne sont pas culturelles, mais plus de la curiosité ou une forme d’amusement. « Ce sont des pratiques assez courantes chez les ados notamment » précise le prêtre. Suivre une tendance TikTok ou imiter la scène d’un film d’horreur peuvent donc finir par vous envoyer chez un prêtre exorciste.
L’exorcisme, une pratique ouverte à toutes et à tous
Mais faut-il être baptisé ou à minima croyant pour faire appel à un prêtre exorciste ? Si pour le père Laurent ce n’est pas une condition à remplir, « Il faut quand même savoir que ça existe » et donc avoir un minimum de connaissances sur la religion. Fait étonnant, certains appartiennent même à une autre religion. « On reçoit des musulmans qui viennent parce qu’il y a une forme similaire dans l’islam, mais ils ont l’impression que l’imam est moins fort que le prêtre exorciste pour chasser le mal. » Le prêtre l’explique par le fait que, bien qu’il « doive exister dans toutes les religions quelque chose de similaire, c’est moins prononcé, moins puissant. » La popularité de l’exorcisme catholique dans la pop-culture donnerait donc, envie de consulter un prêtre en cas de doute sur sa connivence avec le mal.
Quoi qu’il arrive, pour éviter d’être possédé et donc de devoir faire appel à un exorciste, l’Église dresse la liste des actions qui peuvent attirer le mal. Il s’agit alors du spiritisme, de la consultation de sorciers, magnétiseurs, médiums ou encore voyants, de la consommation de drogue et alcool, de tout ce qui se rapporte au sexe, et enfin de la magie noire.
Quel est le point de vue d’une psychologue sur l’exorcisme ?
Nous nous sommes interrogés sur la place que prennent les spécialistes, notamment les psychologues vis-à-vis de l’exorcisme. Car si la plupart des croyants catholiques se tournent plutôt vers l’Église en cas de troubles psychologiques, les diocèses nous affirment justement s’entourer de professionnels afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas de maladies.
Pour Karine Henriquet, psychologue clinicienne et psychanalyste en Savoie, l’exorcisme et la psychologie ne sont pas aussi éloignés que l’on pourrait le penser. « Il peut y avoir des points de connexion {entre les deux pratiques}. Quand on reçoit quelqu’un, que ce soit pour un exorcisme ou pour une séance au cabinet, il y a une demande d’une personne vis-à-vis d’un mal-être. Nous, psychologues, on a presque le même procédé, c’est-à-dire qu’on va écouter l’individu et sa parole. »
Parler et écouter
Dans les deux pratiques, quelles que soient les personnes interrogées, deux même termes sont revenus de nombreuses fois : la parole et l’écoute. Le croyant ou le patient est placé au centre du dialogue et ses dires sont scrutés avec attention. Dans les deux cas également, les professionnels sont conscients de l’effort de la personne qui leur demande de l’aide et sont là pour la soulager. « Il y a ce socle commun. Je trouve que c’est assez intéressant, et peut-être qu’on a la même écoute, c’est-à-dire qu’on va accueillir l’individu avec ce qu’il nous rapporte de son histoire et de son vécu, et après, on va voir s’il y a la question d’exorciser quelque chose ou si on est plutôt sur quelque chose d’une pathologie ou d’une psychopathologie » explique Karine Henriquet. « Et après, est ce que c’est placebo ? Je dirais peu importe. Finalement, on a trouvé un espace de parole et d’écoute. » Autre point commun important : le secret professionnel.
« Cela peut être dangereux »
La pratique de l’exorcisme est-elle alarmante ? Selon Karine Henriquet, « ça peut être dangereux à partir du moment où on est dans quelque chose qui n’est pas dans un cadre bien défini, avec des règles bien définies. Il peut y avoir des dérives dans n’importe quelle Église ou n’importe quelles pratiques si les règles ne sont pas définies ou pas suivies. Mais c’est aussi valable dans mon métier, où l’on va voir des pratiques déviantes chez les psychanalystes, sans le nommer… Gérard Miller. »
La réelle efficacité des exorcismes n’est pas prouvée, mais pour la psychologue, « les exorcistes arrivent à régler le problème par le simple fait de créer une rencontre régulière avec la personne qui vient les consulter. » Dans les cas où les choses s’avèrent plus compliquées, les prêtres n’hésitent pas à rediriger le croyant vers un spécialiste.
L’exorcisme est un moment de prière et de partage
Comment se déroule un exorcisme au sein de l’Église ? Difficile à dire précisément, mais une certitude, le prêtre ne frappe pas le croyant avec une croix comme certains films aiment à le présenter.
D’abord, l’Église fait depuis plusieurs années, la distinction entre les maladies psychologiques et une forme de possession. « Il y a tout un travail de paroles, de rencontres et de dialogues à la frontière entre psychologique et spirituel » explique Bertrand Dumas. Une séance ne peut pas être unique, elle doit être entourée d’autres rencontres de la même façon qu’un suivi psychologique. Ainsi, lors de la première séance, « il y a tout un enjeu d’accueil, de travail, de mise en mots » rappelle le théologien.
« On est toujours accompagné par un psychiatre qui est dans l’équipe, il y a plusieurs personnes qui ne sont pas prêtres, souligne le Père Laurent. On reçoit toujours les personnes à deux, on n’est jamais seul. On échange nos avis, ça nous aide au discernement. » Le protocole mis en place par l’Église est très précis : « Si c’est le bon moment, si c’est le bon lieu, alors sera vécu ce temps de prière formel où l’exorciste utilisera les prières recommandées par l’Église. Pour qu’ils ne disent pas n’importe quoi non plus… » observe Bertrand Dumas. « La prière est une prière liturgique [dédiée au culte de Dieu] qui est définie avec la personne, et on suit un rituel adapté à chaque cas. La structure de la prière est toujours la même : on lit la parole de Dieu, on demande l’aide au Seigneur, on l’invoque, et après on demande au Seigneur de libérer l’influence maléfique, précise le prêtre. Ce sont des prières classiques du catholicisme finalement ».
Le Père Laurent tient à rappeler que ce n’est pas son rôle de soigner des maladies psychologiques : « Moi souvent, je renvoie la personne à un psychologue. On est très prudent avec la distinction entre une forme maléfique et un trouble psychologique. »
Une profession pas épargnée par les abus des charlatans
Dans son rapport annuel de 2021, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) s’alarme du « nombre accru de charlatans opérants seuls en toute indépendance. » Si elle ne différencie pas ici le domaine d’action des charlatans, on peut lire plus en amont que l’organisme public a été destinataire d’une dizaine de saisines concernant des « thérapies de conversion » sur les trois dernières années. Il s’agit là de pratiques ayant pour but de « traiter » des personnes homosexuelles pour leur faire renoncer à leur orientation sexuelle ou à leur identité de genre. Des signalements inquiétants ont été notés, notamment concernant des séances d’exorcisme.
Ce rapport illustre bien la nouvelle tendance qui se dessine. La reconnaissance officielle de l’Association Internationale des Exorcistes par le pape lui-même en 2014, montre bien la demande croissante d’exorcisme dans le monde ; face à laquelle l’Église tente de répondre. Néanmoins, l’afflux de demandes à traiter est trop important dans certaines régions, donnant l’idée à certaines âmes en perdition de consulter des prêtres exorcistes autoproclamés.
Charlatans et prêtres : égoïsme contre charité
Face à une spiritualité confuse et le désarroi des personnes en quête de réponses, de nombreux imposteurs se présentent comme des prêtres exorcistes, sans en avoir le titre légitime, étant capables de leur apporter de réelles solutions. Mais comment reconnaître les professionnels des charlatans ?
Contrairement à un prêtre exorciste qui agit par charité envers son semblable, le charlatan agit dans son intérêt personnel, c’est-à-dire souvent pour s’enrichir. Un prêtre exorciste ne fait pas payer ses consultations. Toutefois, il est possible pour l’exorcisé de réaliser une offrande libre. À l’inverse, les charlatans demandent une rémunération contre leurs services. Une séance peut aller jusqu’à plusieurs centaines d’euros. Selon des informations recueillies par le média anglais The Economist, certains charlatans français gagneraient jusqu’à 12 000 euros en proposant des exorcismes factices par téléphone.
Ces derniers s’inspirent des méthodes modernes de consultation et proposent également des exorcismes à distance. Ce qui n’est pas dans les règles de l’exorcisme défini par le Vatican et le Bureau National des Exorcistes. Une consultation avec un prêtre exorciste a lieu en physique, dans son église, et dans de très rares cas dans le domicile de la victime si la présence du diable s’y manifeste. Seul un prêtre exorciste nommé par l’évêque de son diocèse est habilité à le faire.
Pentecôtisme : les loups sont dans la bergerie
Cependant, sans parler de charlatans, certains prêtres exorcistes représentent un danger. « Ce sont des dérives que l’on trouve dans certaines églises protestantes de type évangélique ou pentecôtiste » explique Bertrand Dumas. Dans le pentecôtisme, ce mouvement chrétien évangélique donnant une place prépondérante aux récits de la Pentecôte et à l’Esprit Saint, les exorcismes sont courants. Né au début du XXe siècle aux Etats-Unis, ce mouvement rassemble aujourd’hui environ 600 millions de personnes autour du globe. Surprenamment, le pentecôtisme a réussi à s’implanter dans des pays de tradition catholique. C’est notamment le cas en France où les pentecôtistes se regroupent dans les Assemblées de Dieu avec pas moins de 530 églises à travers tout le territoire.
La force de Dieu, et à l’inverse de Satan, est exacerbée dans le pentecôtisme. C’est-à-dire que les fidèles ont la conviction que Dieu a la capacité de leur rendre visite pour les doter de dons miraculeux (parler en d’autres langues, avoir un pouvoir de guérison). Cependant, ces églises accordent une importance particulière à Satan et attribuent souvent les difficultés personnelles des fidèles à une possession démoniaque. Un diagnostic souvent trop simpliste. Même si l’exorcisme pratiqué ensuite ne représente pas un danger physique direct, en Belgique, le CIAOSN (centre d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles) alerte sur le danger que représente cette importance du malin. Le détournement d’une personne malade de son traitement médical est alors à craindre. « Il peut y avoir des pratiques d’exorcisme qui ne sont pas encadrées, mais de manière générale, ces Églises-là sont moins organisées et leurs pratiques moins réglementées. Pour peu que vous croisiez une Église qui cadre moins et une culture qui attache beaucoup d’importance à la question des possessions et des délivrances, vous pouvez effectivement avoir des dérives » résume Bertrand Dumas. Néanmoins, au-delà du danger généralisé que représentent les prêtres exorcistes pentecôtistes, des abus existent, à l’échelle individuelle, au sein de l’Église catholique.
Zoom sur un cas d’abus spirituel
Malgré les règles qui entourent l’exorcisme dans l’Église, cette pratique n’est pas à l’abri des abus. Catherine, enseignante dans l’Est de la France, a vécu l’enfer auprès du prêtre exorciste du diocèse de Lyon de juin 2018 à juillet 2020. Tout commence lorsque le frère carmène auquel elle se confie, lui assure qu’elle est possédée et l’envoie consulter le père Dumont, prêtre exorciste au diocèse de Lyon. « Quand vous confiez à votre accompagnateur spirituel que vous avez le sentiment que si vous continuez sur votre chemin spirituel vous allez avoir des embêtements ou des ennuis, lui interprète que c’est le démon qui me suggère ces choses-là » se rappelle-t-elle.
Elle tombe alors sous l’emprise du prêtre qui la convainc qu’elle a subi des abus : des rituels sataniques et des viols dans son enfance. Ces abus, elle les aurait alors vécus dans un cadre bien précis : « Il m’a raconté au cours de nos rencontres que l’armée française faisait des expériences de manipulation mentale sur les enfants, comme le projet MK ultra. Donc, en fait, il est convaincu de ces choses-là, ces théories complotistes. » Catherine va y croire au plus profond d’elle-même, allant jusqu’à vouloir mettre fin à ses jours.
Quand l’exorcisme tombe en enfer
Pour l’enseignante, le but du père Dumont n’est pas de lui soutirer de l’argent comme on pourrait le croire : « Ils ne m’ont pas demandé d’argent officiellement. Je crois que ce prêtre exorciste est convaincu qu’il a été missionné pour venir en aide aux personnes souffrantes, sous emprise démoniaque. En fait, il est dans son délire. »
Mais le prêtre n’est pas seul durant les séances d’exorcisme. Une naturopathe est présente. « Cette naturopathe, elle était présentée à mon accompagnateur comme ayant un don pour sentir la présence des démons. » Lorsque Catherine lui dit avoir des douleurs au niveau des lombaires, cette dernière lui assure que c’est normal puisque c’est l’endroit même où se cachent les démons.
Lorsque Catherine commence à se douter que quelque chose ne va pas, elle est dans un premier temps poussée au silence par le frère carmène en qui elle a confiance. Ce dernier lui assure qu’en parler ferait d’elle une paria au sein de la communauté. Quand elle pense à en parler à ses proches, ils lui assurent que personne, à part lui et le père Dumont, ne pourra la comprendre. « Avant de les dénoncer, j’étais bien embrigadée et bien endoctrinée » se souvient-elle amèrement.
Face aux abus, le silence est pire que le silence
Mais une fois prête à en parler, Catherine se retrouve face au silence de l’Église. Si au début, elle reçoit le soutien d’une partie de sa communauté carmélite, ça ne dure pas. « Ils ont eu quand même des indications par courrier leur demandant de ne plus m’écouter et de se détourner de moi. » Elle l’explique par le fait que la présidente régionale soit la belle-sœur du père Dumont. La mère de famille dénonce également un manque de considération de son vécu de la part de l’Église. « Encore aujourd’hui, j’ai fait l’expérience que l’Église piétine et bafoue les victimes. Elle n’en a strictement rien à faire de leur souffrance. Nous, les victimes, on est là simplement à essayer de survivre et de garder la tête hors de l’eau et l’Église ne nous entend pas. »
Une sanction qui ne permet pas la fermeture
Cependant, l’Église reconnaît la culpabilité du père Dumont dans un communiqué du 24 janvier 2024. Le prêtre exorciste est alors interdit, pour une durée de trois ans prenant fin le 26 avril 2025, de mener des accompagnements spirituels individuels, d’entendre la confession ou encore de donner des conférences et de publier des ouvrages. Il est également transféré au diocèse de Paris. Pour sa victime, « il a été puni très légèrement. » Si Catherine se réjouit de ce communiqué comme étant la preuve d’une reconnaissance de culpabilité, ce n’est qu’à moitié. « Ce qui est un petit peu dommage, c’est que dans le communiqué officiel, ils ne disent pas de quoi il est coupable. Du coup, ça laisse une zone d’ombre. »
Presque quatre ans après les faits, Catherine essaye tant bien que mal de remonter la pente. Souriante, elle affirme vouloir passer à autre chose en faisant entendre son combat. Après une première plainte classée sans suite, elle attend la décision du procureur de Lyon quant à une seconde plainte déposée en septembre 2021.
Pour ce qui est de sa vision de la religion, elle ne se sent plus membre de l’Église en tant qu’institution, mais continue de se demander si la foi persiste en elle. Aujourd’hui, Catherine demeure pleine d’attentes et de questions. « Je me pose une grande question, c’est : pourquoi Dieu permet que des responsables religieux, qui ne font rien et couvrent des prêtres, soient à la tête de son Église ? »
Madeleine Montoriol, Myrthille Dussert, Malo Simonnet et Martin Bertrand