Le festival Politéïa à Thionville s’est ouvert ce vendredi 17 mars avec une conférence sur la liberté des femmes dans le monde animée par Alexis Weigel. Un échange s’est déroulé en présence de l’écrivain islamologue Rachid Benzine, de l’auteure franco-iranienne Chahla Chafiq, de l’ancienne présidente d’Amnesty International Geneviève Garrigos et de la romancière Laura Poggioli. A travers leur vécu, les invités ont partagé au public leurs points de vue sur les différents enjeux qui entourent la question de la liberté des femmes.
La conférence sur la thématique de l’émancipation et des droits des femmes, menée par Alexis Weigel, a marqué le lancement de la première édition du festival Politéïa. Les invités conviés ont débattu autour de ce thème et ont participé à mettre en lumière les mécanismes qui l’entravent.
Une invisibilisation des femmes
« Le 19ème siècle marque l’avènement du capitalisme, du colonialisme mais aussi de l’invisibilisation de la femme symbolisée par le corset derrière lequel sont corps est dissimulé », entame Geneviève Garrigos. L’industrialisation a poussé à son comble la « chosification » de la femme dans les mentalités collectives. À l’heure où tous les efforts se concentrent sur la productivité et la maximisation des profits, le corps des femmes est relayé à son rôle reproducteur. « Elles servent aussi de main d’œuvre gratuite », complète Geneviève Garrigos. Cette invisibilisation et objectivisation du corps se manifeste à nouveau dans les années 80 avec le retour du religieux dans la politique. « La question de la liberté des femmes n’est ni orientale, ni occidentale, elle est universelle », avance Chahla Chafiq. « Quand on va au fond des situations extrêmes, on vit tous la même chose », rajoute Geneviève Garrigos. Toutes les dictatures basent leur oppression sur une différence qu’ils utilisent pour discriminer. Le régime islamique en place en Iran depuis 1979 sacralise le sexisme. Les femmes sont invisibilisées parce que femmes. La répression est telle qu’elles n’ont pas le droit à une existence publique. C’est pour cette raison que les femmes iraniennes se soulèvent aujourd’hui. Et, ce sont de ces revendications que provient le mouvement « Femme, Vie, Liberté » maintenant devenu international.
Les femmes, actrices clefs
Malgré les mécanismes d’invisibilisation qu’elles subissent à travers le temps, les femmes ont une implication majeure dans les mouvements de luttes sociales qui traversent le monde. « Aujourd’hui, les mouvements ce sont des aspirations portées par les femmes, les jeunes, les minorités », affirme Geneviève Garrigos. Les femmes en sont des actrices clefs car elles sont les premières à subir de plein fouet le conservatisme imposé par les régimes extrémistes. « Dès, 1979, les premières couches sociales à défier le régime islamiste nouvellement arrivé en Iran sont les femmes », indique Chahla Chafiq. Cela s’est aussi observé aux États-Unis lors de l’élection de Donald Trump et au Brésil suite à l’élection de Jair Bolsonaro. Elles étaient également les premières à descendre dans les rues d’Argentine pour revendiquer le droit à l’avortement.
Une guerre des récits
Rachid Benzine revient ensuite sur les notions de guerre des récits et de temporalité. Pour qu’une revendication débouche sur du progrès, elle doit s’inscrire dans un contexte qui la reconnaît. Ce raisonnement met en lumière le rôle central des politiques vis – à – vis de la liberté des femmes. « L’intime est politique », affirme Chahla Chafiq. Dans son roman « 3 soeurs », Laura Paggioli revient sur cette relation étroite qu’entretiennent politique et intime. Elle dépeint la société communiste au temps de l’URSS dans laquelle les hommes et les femmes sont égaux dans la sphère publique et dans le travail. Ils sont tous des ouvriers participant à l’effort de production. Par contre, les femmes subissent dans la sphère privée les conséquences de la domination et du contrôle absolu exercé par le pouvoir sur les citoyens. « Le foyer est le seul endroit où l’homme peut exercer sa domination », témoigne Laura Paggioli. C’est dans la sphère la plus personnelle que la domination du corps de la femme se fait le plus sentir. « La violence sur le corps des femmes, c’est la mort du corps et du psychisme, mais c’est aussi la mort sociale quand il n’y a pas de reconnaissance juridique », affirme Rachid Benzine. Pour permettre le progrès, il faut une perspective d’avenir. Le début d’un changement instaure aussi une guerre des normes qui débouche sur l’acceptation d’un nouveau modèle et sur un changement structurel des institutions. « La libération des hommes est nécessaire à celle des femmes », avance Rachid Benzine. Pour lui, ce sont les injonctions à la virilité toxique qui conduisent les hommes à la violence. Cette domination sur les femmes cessera avec la fin de ces normes sociales. Les trois autres invitées s’opposent à cette vision. « Je suis en dissonance cognitive avec cette idée », avance Geneviève Garrigos. « Je pense qu’il faut mettre en miroir ce récit de la vulnérabilité que l’on impose aux femmes. En réalité, ce sont les hommes qui ont peur d’elles. Le bûcher des sorcières en est l’exemple. Plusieurs centaines de femmes innocentes ont été brûlées parce qu’elles exerçaient des professions que l’on attribuait aux hommes », ajoute-t-elle. « Il faut d’abord agir du côté des femmes car si l’on attend les hommes, on ne sera jamais libéré », conclue Geneviève Garrigos.