Décédée hier des suites d’une crise cardiaque à 78 ans, que retiendra-t-on de Régine Deforges ? Sa saga, la Bicyclette bleue commencée en 1981 et bien loin des actuelles Cinquante nuances ? Ses engagements militants, notamment féministes ? Sa passion, son caractère provocateur ? Ses mémoires, L’Enfant du 15 août, publiées cet automne qui lui avait permises de retranscrire ses souvenirs ? Retour sur le parcours d’une engagée.
C’est dans un petit village en Poitou que la jeune Régine passe son enfance. Née en 1935, elle supporte mal le cadre rigide de l’époque et présente déjà un caractère bien trempé. Lors de son adolescence, son journal intime est volé et rendu public. Une humiliation qu’elle aura du mal à digérer. Une blessure qui manque de l’éloigner de l’écriture mais sa passion pour les livres sera plus forte.
Après un passage en Guinée où elle rencontre Pierre Spengler, elle revient en France et l’épouse. Le couple aura un fils. Elle met ensuite fin à cette union et se fait embaucher comme libraire dans un drugstore des Champs Elysées. A l’époque, la guerre d’Algérie fait rage. Régine est aux premières loges pour assister aux manifestations. A l’époque peu intéressée par le sujet, elle se découvre une conscience politique. Un engagement à gauche qui deviendra une constante dans sa vie.
La première femme à créer sa maison d’édition
Encouragée par son amant Jean-Jacques Pauvert, un éditeur qu’elle admire, elle devient, en 1968, la première femme à créer sa propre maison d’édition, L’Or du Temps. Avec, dès le départ, un parti pris fort : elle ne publie que des textes érotiques, jugeant qu’ils ne sont pas assez représentés dans les librairies. Son premier roman, Irène, est saisi par les tribunaux en plein mai 68. La liberté sexuelle réclamée dans les rues ne fait pas son entrée dans les palais de justice. Régine l’apprendra à ses dépends : tous les romans érotiques qu’elle publiera subiront le même sort qu’Irène. Elle accumule les procès, jusqu’à en perdre ses droit civiques : elle est un moment rayée des listes électorales.
Le retour à l’écriture
Les soutiens du monde littéraire sont rares mais loin de se laisser décourager, Régine s’accroche. Elle dépasse le traumatisme de son enfance et rédige son premier roman sur la vie de ses grand-mères, Blanche et Lucie. Suit ensuite un roman inspiré de ses jeunes années, Le Cahier volé. L’accueil est plutôt bon mais les ventes sont modestes. C’est une offre inattendue de l’éditeur Jean-Pierre Ramsay qui la propulse en tête de gondole des librairies.
L’idée est simple : revisiter des classiques littéraires. Régine s’attelle alors à un remake d’Autant en emporte le vent. Prévue au départ comme une trilogie, c’est finalement une saga de dix ouvrages, La Bicyclette bleue, qu’elle écrira entre 1981 et 2007. Dès la sortie du premier tome, le succès est immense et international, le livre est traduit en 22 langues. Les tribunaux n’en ont pourtant pas fini avec Régine Deforges. En effet, elle est attaquée en justice par les héritiers de l’auteure d’Autant en emporte le vent pour contrefaçon. Une bataille juridique de six ans de laquelle elle sortira victorieuse.
Engagée jusqu’au bout
Féministe assumée, elle prend également position pour le droit à mourir dans la dignité. Ses engagements, plus encore que ses œuvres, constituent un héritage que le chef de l’Etat français a souligné à l’annonce de sa mort : «Éditrice courageuse, elle a défendu la liberté de création contre toutes les censures et tous les conformismes […] Toute sa vie, Régine Deforges est restée une rebelle, engagée dans un féminisme rayonnant et un combat jubilatoire contre les tabous.»
Une rebelle dont l’engagement est aujourd’hui salué par tous et qui n’a pris fin qu’hier à l’hôpital Cochin.