A l’heure où la construction des mosquées fait polémique, la loi interdit toujours le financement public des lieux de culte, même si des pistes existent. Tour d’horizon de cette question hautement sensible.

 

Tout part d’un constat simple : les musulmans de France n’ont pas assez de lieux de culte pour pratiquer convenablement leur religion. Avec une population estimée à près de cinq millions d’individus (7,5% de la population), l’islam est la deuxième religion de France et connaît une forte croissance depuis plusieurs décennies. Sa pratique varie selon l’âge, le sexe, l’origine et la situation sociale des fidèles ; une réalité très éloignée de la vision communément admise d’un islam monolithique, qui se construit au gré des polémiques politico-médiatiques que connaît la France depuis une dizaine d’années.

On estime à un tiers le nombre de musulmans pratiquants et un sur six se rend à la mosquée pour la prière du vendredi, selon une récente enquête de l’IFOP. Dans le même temps, l’espace de prière disponible pour les fidèles est en total décalage avec leurs besoins réels. Le parc immobilier du culte musulman en France est estimé à 2100 lieux de cultes (salles de prière, foyers, mosquées…) pour une surface globale de 250000m², soit environ trois fois moins que la surface nécessaire pour accueillir les quelques 850000 pratiquants de la prière du vendredi.

Une situation qui renvoie à la problématique, vieille comme la République, de savoir comment l’Etat peut à la fois répondre aux attentes légitimes d’une partie de ses citoyens tout en respectant le sacro-saint principe de laïcité.

« La République ne subventionne aucun culte »…sauf en Alsace-Moselle

En Alsace-Moselle, la problématique du financement public des lieux de culte ne se pose pas puisque s’y applique encore aujourd’hui le Concordat de 1801 qui lie pouvoirs publics et religions. Un traité qui permettra à la Grande mosquée de Strasbourg de faire partie du paysage confessionnel strasbourgeois en fin d’année aux côtés de la Synagogue de la Paix, de la Cathédrale de Strasbourg et de l’Eglise protestante Saint-Thomas.

Le projet a été lancé à l’initiative des associations Averroès et Grande Mosquée de Strasbourg dans le but de doter la communauté musulmane de Strasbourg d’une mosquée digne de ce nom et de rompre avec « l’islam des caves ». Jusque-là, les fidèles – 10% de la population strasbourgeoise est d’origine musulmane – devaient se contenter de salles de prière étroites et de sous-sols aménagés.

Fouad Douai, Président de Grande Mosquée de Strasbourg.

La ville de Strasbourg réserve un budget annuel de deux millions d’euros aux cultes qui sont répartis selon les besoins des différentes religions. Dans le cas de la grande mosquée, la ville contribue à son financement à hauteur de 10% ; 16% viennent des conseils général et régional ; le reste dépend de l’étranger et des dons des fidèles pour un coût total avoisinant les 8,5 millions d’euros. S’ajoute à cela la mise à disposition par la mairie d’un terrain contre un loyer modique – 15€ par an – suite à la signature d’un bail emphytéotique valable jusqu’en 2049.

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Source : association « Grande Mosquée ».

Même si la religion musulmane n’est pas reconnue par le Concordat de 1801 (seuls les cultes catholique, israélite, réformé et luthérien le sont), c’est l’adage « ce qui n’est pas interdit est autorisé » qui prime dans la mise en application de la loi puisque la loi de 1905 ne s’applique pas en Alsace-Moselle.

Olivier Bitz, adjoint au Maire de Strasbourg chargé des cultes.

Malgré l’apparente facilité avec laquelle le projet a été mené, ses initiateurs ont dû surmonter plusieurs écueils depuis plus de dix ans. En 2001, la nouvelle municipalité menée par Fabienne Keller (UMP) met un frein au projet durant près de 18 mois. D’abord rétif à cette construction, le maire relance le chantier de la grande mosquée en 2002 mais exige le retrait de la partie culturelle du projet (enseignement de l’arabe…) et l’impossibilité de construire un minaret.

Dans le même temps, un recours en justice est déposé par des groupes d’extrême-droite pour faire avorter le projet en demandant l’annulation de la délibération du conseil municipal. La justice donnera finalement raison aux défenseurs de la mosquée qui obtiendront une subvention et la mise à disposition d’un terrain.

En dépit de ces contretemps, l’inauguration de la grande mosquée de Strasbourg est prévue pour la fin de l’année 2011 (elle a été ouverte au public à l’occasion du Ramadan 2011). Avec une surface de 2000m², elle comportera une salle de prière pour les hommes, une mezzanine réservée aux femmes, des bureaux administratifs et la construction d’un minaret est à nouveau à l’étude.

Le financement public est interdit mais…

Dans la France de l’intérieur, des moyens légaux existent et sont fréquemment utilisés pour venir en aide aux projets en cours tout en respectant le cadre juridique fixé par la loi.

Le statut d’association cultuelle loi de 1905 autorise la mise à disposition d’un terrain par le biais de la signature d’un bail emphytéotique administratif. La mairie loue à l’association un terrain pour une longue durée (jusqu’à 99 ans) en contrepartie d’un loyer dérisoire (1 euro symbolique la plupart du temps). Une fois le contrat expiré, les deux parties doivent renégocier le contrat pour permettre au locataire de poursuivre l’occupation des lieux. Les dons des fidèles peuvent être déduits de leurs impôts et les édifices sont exonérés des taxes d’habitation et foncière.

Le statut d’association culturelle loi de 1901 permet à de nombreux maires de louer provisoirement un local à une association et autorise l’octroi d’une subvention pour financer la partie culturelle de la mosquée à savoir des salles de classe qui serviront à l’enseignement coranique et de la langue arabe. Une fois versée, cette subvention sert parfois à combler le manque d’argent pour le financement de la partie cultuelle du bâtiment.

En 1942, le gouvernement de Vichy modifie l’article 19 de la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat et élargit la possibilité pour les pouvoirs publics d’allouer certaines sommes aux édifices religieux : « Les associations cultuelles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public qu’ils soient ou non classés monuments historiques. » N’ayant pas été abrogée à la Libération, cette loi permet donc aux élus de participer financièrement à l’entretien des lieux de culte, y compris ceux construits après 1905.

Les collectivités territoriales peuvent garantir les emprunts contractés par les associations cultuelles pour la construction de lieux cultuels depuis 1961. Une possibilité peu utilisée par les élus qui craignent de devoir prendre en charge la totalité des coûts si les initiateurs du projet sont incapables de rembourser l’emprunt.

 

Pragmatisme politique ou clientélisme politicien ?

Depuis une dizaine d’années, les projets de mosquées se multiplient du fait de la modification sociodémographique de la population musulmane. L’accroissement du nombre de fidèles et l’accession à la citoyenneté pour les plus jeunes d’entre eux poussent les maires à faire évoluer leur comportement vis-à-vis de ces revendications. Auparavant, les élus avaient pour habitude de considérer l’islam comme un corps étranger, une religion « périphérique » à l’image des lieux d’habitation de ses croyants, voire une source d’intégrisme pouvant favoriser l’action terroriste.

Une « course à la mosquée » basée sur des intentions louables chez certains édiles ; plus politicienne chez d’autres.

C’est ce qui semble être le cas de François Grosdidier, député-maire UMP de Woippy (Moselle) et ancien sympathisant du Parti des Forces nouvelles (mouvement nationaliste concurrent du Front national de 1974 à 1984) selon ses opposants frontistes. Une ville qu’il dirige depuis 2001 et dont 40% des administrés sont d’origine musulmane.

Officiellement intitulé « centre interculturel » pour des raisons juridiques, le bâtiment d’une capacité de 1200 places a été inauguré en août 2008 et a été essentiellement financé grâce au programme de l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), censé améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers populaires, pour un coût total de trois millions d’euros environ.

En région parisienne, où la situation est parfois plus tendue entre élus et administrés, la construction d’une mosquée permet à certains maires d’acheter la paix sociale et d’éviter de se mettre à dos une partie importante de la population. A Argenteuil, la construction de la mosquée Al Ihsan, inaugurée en présence du Premier ministre François Fillon en juin dernier, a été facilitée par l’ancienne équipe municipale pour répondre à une revendication de longue date qui n’avait jamais été prise en compte avant.

Françoise Duthu, sociologue, auteur de Le maire et la mosquée.

 

Différentes initiatives ont été lancées pour répondre plus facilement aux sollicitations auxquelles les maires sont confrontées. En 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin créa la Fondation pour les œuvres de l’islam de France. Une structure pilotée par le CFCM (Conseil français du Culte musulman) et censée centraliser les dons perçus par le culte musulman. Doté d’un fonds d’un million d’euros à sa création, aucun projet d’ampleur n’a été lancé et la bonne idée de départ a très vite laissé place aux guerres intestines entre les différentes organisations chargées de diriger la fondation, à savoir l’UOIF (Union des Organisations islamiques de France, tendance conservatrice), la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris (dirigée par Dalil Boubakeur et inféodée à Alger) et la FNMF (Fédération nationale des Musulmans de France, liée au Maroc). Six ans plus tard, la fondation est une coquille vide qui n’est plus d’actualité.

Bernard Godard, chargé de mission au Bureau des cultes du Ministère de l’Intérieur.

Sur le plan législatif, rares sont les parlementaires à s’être attaqués à la question du financement public des lieux de culte tant le sujet est délicat. Le député socialiste René Dosière s’est penché sur la question en 2002 sans aller plus loin tandis que son confrère UMP, François Grosdidier, a déposé deux propositions de loi en 2006 visant à étendre le Concordat à l’islam et à modifier la loi de 1905 afin de permettre aux collectivités locales de financer les lieux de culte. Récemment, la députée (UMP) alsacienne Arlette Grosskost est même allée plus loin en proposant « une expérimentation du concordat alsacien-mosellan sur l’ensemble du pays, en y intégrant l’islam ». Des mesures peu crédibles selon Bernard Godard :

Des chamboulements aussi importants, les représentants du CFCM ne les ont jamais demandés et privilégient les solutions locales, au cas par cas, pour résoudre le problème.

Driss Ayachour, Président du CRCM (Conseil régional du culte musulman) d’Alsace.

 

Ce problème de longue date pourrait être réglé localement de manière rapide et efficace sans heurts ni polémiques, à condition que les différents protagonistes concernés soient de bonne volonté. Les pouvoirs publics ont connaissance de leurs compétences sur cette question et le culte musulman poursuit sa constitution lentement mais sûrement. La question du financement public des mosquées soulève un problème plus large : celui du traitement médiatique des questions liées à l’islam. La manière d’aborder ces sujets systématiquement de manière polémique donne l’image de médias incapables de prendre du recul et de la hauteur, condamnés à suivre aveuglément les « plan media » des politiques et de leurs communicants. Une logique pernicieuse qui tend à détériorer le climat social en France et dont les journalistes sont, bien malgré eux, les principaux responsables.

 

Safir SIFOUANE.