A coup de bandeaux incitatifs et une omniprésence dans les médias, les livres récompensés par le prix Goncourt sont partout. Au-delà de la reconnaissance du travail des auteurs, obtenir un prix littéraire, ça ne change pas grand-chose. Sauf les ventes.
« Prix Goncourt 2015 », annonce avec grandiloquence le ruban rouge. Pas besoin d’en dire plus : ce Goncourt 2015, Boussole de Mathias Enard (Actes Sud), est loin de passer inaperçu. Dans cette librairie de Metz, le livre est exposé sur la première table, au milieu des autres livres primés durant cette rentrée littéraire. Tous sont barrés des mêmes banderoles prestigieuses. Ils se détachent de ceux qui semblent nus sans ledit bandeau. Le Goncourt est disposé au centre. Le Goncourt, on en parle. On l’achète par passion, on l’achète pour compléter notre bibliothèque ou encore pour l’offrir en cadeau de Noël à la belle-sœur. Le Goncourt, on l’achète, tout simplement. « Forcément, avec le bandeau sur la couverture, le livre se vend mieux, ça booste les ventes », certifie Cécile Coulette, libraire chez La Cour des grands à Metz. Obtenir un prix littéraire, c’est une chance de booster ses ventes. Le Goncourt est de loin le plus rentable. Le veinard de cette année, couronné le 3 novembre dernier, est Mathias Enard, avec sa Boussole, qui raconte ce qu’est l’orientalisme à travers l’insomnie du personnage Franz Ritter. « D’abord, ça a été une énorme surprise et ensuite une très grande joie », s’enthousiasme Mathias Enard, venu rencontrer ses lecteurs messins ce 3 décembre. Le Goncourt est considéré comme étant le prix le plus prestigieux. Boussole, sorti en août, était déjà très attendu par les lecteurs. Le livre se vendait déjà bien. Dans la librairie messine, 30 exemplaires ont été acheté en un mois. En novembre, elle en a vendu 60. L’impact du bandeau. « Les clients en ont beaucoup entendu parler dans les médias, ils viennent le chercher. On le vendait déjà très bien, mais là on le vend encore plus. Avec le bandeau, c’est encore plus facile de le vendre », justifie Cécile Coulette. La nouvelle est dans tous les magazines et les critiques littéraires sont d’ailleurs rarement négatives. « C’est un énorme coup de projecteur sur un livre », accorde l’écrivain. « Il devient accessible au plus grand nombre et ça, évidemment, c’est très rare. » Résultat : les prix littéraires dopent les ventes. Selon une étude de l’institut GfK, sur les cinq dernières années, un Goncourt assure en moyenne la vente de 395 000 exemplaires, un Renaudot, 178 000 exemplaires. En 2014, le livre Pas pleurer de Lydie Salvayre est passé de 1 840 exemplaires vendus par semaine à près de 37 000 avant les fêtes de Noël. L’auteur avait entre temps gagné le prix Goncourt…
« Les ventes ont été boostées par 10 »
Prix littéraires, gage de qualité ? Pas foncièrement. Rappelons que seule une partie des livres sortis dans l’année sont en lice pour les prix. Les couronnés occupent pourtant les premiers rangs des magasins, souvent les meilleures places. La Fnac réserve ainsi à Boussole un présentoir entier dans son magasin de Metz. « Nous essayons de mettre en avant tous les livres primés pour que les gens les voient. Mes supérieurs nous demandent que ce soit visible et repérable en magasin. Le Goncourt peut rester une année sur le présentoir », explique l’une des vendeuses du grand magasin. Mission réussie : ici, les ventes du Goncourt sont environ « multipliées par 10 », précise la vendeuse. « Le Goncourt se vend forcément toujours en grande quantité. Je pense que c’est l’obtention du prix qui déclenche la vente. Ça dépend bien sûr des années et des auteurs. Pour Boussole, il s’est bien vendu avant car l’auteur est reconnu, mais c’est sûr que ça décolle plus depuis le prix. »
Des ventes en hausses, mais pas que. Derrière, c’est aussi une vie transformée qui attend l’auteur primé. « Recevoir un prix est un signe de reconnaissance, puis ils passent leur vie sur la route pour aller de librairies en librairies. ça change beaucoup leur vie », indique Cécile Coulette. Véridique ? Mathias Enard rencontre ce soir une partie de ses lecteurs messins. Hier, c’était ceux de Nancy. « Après la surprise, j’ai eu la sensation de me retrouver dans un tourbillon, dans quelque chose qui ne s’arrête plus. Les journalistes me posent tout le temps la question ‘qu’est-ce que ça vous fait de recevoir le prix Goncourt ?’. Recevoir le Goncourt, concrètement, ça rajoute du travail. Mais sinon, ça ne change rien : on fait la même chose qu’avant mais on le fait plus souvent », lance Mathias Enard en souriant, avant d’entamer la série de dédicaces.