Aux élections européennes de 2019, les écologistes ont fait une percée historique en France. Le parti Europe Écologie Les Verts (EELV) est arrivé à la troisième place avec 13,47% des voix. Juste derrière La République en Marche LREM (22,41%) et le Rassemblement National RN (23,31%). À l’échelle de la région Grand Est, le parti écologique s’est-il lui aussi démarqué ?
Après le succès du vote vert aux dernières élections européennes, les observateurs se demandent s’il en sera de même pour les prochaines élections, à savoir les municipales de 2020. Daniel Boy, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences-Po, à Paris le souligne bien : « Il est habituel que le vote écologiste soit plus élevé lors des élections européennes. L’Europe est une élection où l’enjeu environnemental est plus important et où les enjeux nationaux sont mis un peu au second plan. Le phénomène nouveau c’est que les Verts dépassent les socialistes. »
Toutefois, même si les écologistes sont arrivés en troisième position à la dernière élection en date, ils peinent à s’inscrire de façon permanente, que ce soit à travers les années ou les types d’élections. «Le vote écolo» est souvent en dents de scie depuis 2008 dans la région du Grand Est.
Les élections européennes de 2019 ne dérogent pas à « la règle » du vote vert, si l’on en croit les résultats des élections sur une période de dix ans. Si une tendance semble émerger et valide l’hypothèse que le vote urbain serait plus écolo, certains départements du Grand-Est à l’image des Vosges ou de la Moselle montrent bien que cette hypothèse a ses limites. En effet, le département des Vosges compte plus de 360 000 habitants en 2019 et son vote pour les Verts atteint les plus de 10%. À l’inverse, la Moselle, qui est un département peuplé de plus d’un million habitants, n’obtient que 11% de votes écologiques. En Moselle, la victoire se concentre essentiellement sur le parti LREM-MODEM.
Du côté de l’Alsace, dans le Bas-Rhin, le projet de Grand Contournement Ouest (GCO), qui favorise la construction d’une nouvelle autoroute dans la région, a fait l’objet d’une polémique, que ce soit pour les antis ou les pro-GCO. Il a eu pour répercussion d’augmenter les votes en faveur des écologistes. Un habitant de Kolbsheim a d’ailleurs témoigné pour France Bleu Alsace, sur sa déception de cette remise en question qui arrive selon lui bien trop tard. « Il faut attendre que les pelleteuses soient là, que la forêt soit saccagée, bref, que les gens puissent voir concrètement les dégâts sur la nature pour se sentir concernés par les questions écologiques », souligne-t-il.
Dans le Haut-Rhin, le vote vert atteint presque les 14% pour plus de 760 000 habitants et le Bas-Rhin n’est pas en reste avec un vote de plus de 15% pour les Verts pour une population de plus d’un million d’habitants. C’est encore un pourcentage faible par rapport aux plus grands partis comme le Rassemblement National ou la République En Marche cette année. Ce n’est pas non plus une année record pour les Verts, le vote a augmenté par rapport à l’année 2014 mais les résultats restent toujours faibles. En 2009, date où le vote écologiste battait son plein, il s’élevait à 14% en Moselle, contre 6% en 2014. Sur ces résultats des européennes, le vote écologiste reste tout de même dans les régions les plus peuplées du département comme dans le Bas-Rhin ou la Meurthe-et-Moselle.
Pour Patrick Barbier, maire écologiste et récemment ex-EELV de Muttersholtz depuis 2008 , les Verts « font de bons scores aux européennes. Ils ont toujours été très pro-européens donc forcément on est bien dans le sujet ». Mais il note que la participation dans l’ensemble de l’électorat est assez faible pour ces élections. Néanmoins, son électorat pro-européen et vert, est constant : « Quelle que soit l’élection, il tourne autour de 200 électeurs. Il se trouve que j’étais à la fois sur les listes régionales et européennes aux élections ».
La population et le vote
Si le vote écologiste semble plus présent, dans la sphère médiatique tout du moins, ce n’est pas pour rien. « Il y a eu une poussée nette de l’écologie depuis trois, quatre ans. Cela ne se traduit pas seulement par les votes : le succès du livre de Pablo Servigne et Raphael Stevens Comment peut tout s’effondrer vendu à 60 000 exemplaires, l’émergence depuis quelques mois de l’association Extinction Rebellion,… », explique Fabrice Flipo, professeur de philosophie sociale et politique. Toutefois, un profil bien particulier l’électeur écolo ressort des différentes études. D’un premier temps, il y a le critère urbain.
Selon Patrick Barbier, le vote ne correspond pas à la population c’est avant tout un vote urbain : « Il n’y a pas un déterminant quantitatif. Par contre, il est connu que le vote écologiste est plus urbain que rural. À Strasbourg, il y a toujours plus de votes que dans la campagne alsacienne. À l’exception d’un village comme le nôtre, plutôt rurbain. On a l’apparence de la ruralité, avec nos paysages, mais on vit tous comme des urbains.» Pour le directeur de l’Ifop Jérôme Fourquet : le vote écologiste est d’abord « traditionnellement urbain. Plus on descend de taille de commune plus le score va être faible. »
Daniel Boy, partage lui aussi l’opinion d’un vote écologiste typiquement urbain. Cependant, le directeur de recherche va plus loin dans l’analyse du profil de l’électeur écologiste. « Le vote écologiste est toujours lié au niveau d’études. C’est un vote d’électeurs qui ont eu un niveau d’études et d’éducation élevés » souligne t-il comme premier facteur. « Cela s’est vérifié dans les études qui ont été réalisées quel que soit l’élection ou le pays européen. La logique veut aussi qu’il soit par conséquent urbain puisque les grandes villes sont souvent des villes universitaires. Quand une ville a des pourcentages élevés d’étudiants et d’enseignants, le vote écologiste suit. »
« Plus on fait d’études, plus on est conscient. Entre 60 et 70% de la population est convaincue qu’il a un problème grave au niveau du changement climatique depuis plus de quinze ans. On constate qu’ils ne connaissent ni les causes ni les solutions. Par contre, ce qui est paradoxal, c’est que ceux qui ont fait des études dans les domaines scientifiques et techniques il y a davantage de résistance à l’écologie. Résistance supérieure à la moyenne nationale », ajoute Fabrice Flipo.
De plus, le vote écolo est-il lié à la jeunesse ? Les thèses se sont multipliées à travers les médias et les manifestations écologiques ont réunies de plus en plus de jeunes. Malgré tout, Daniel Boy n’est pas tout à fait de cet avis. « Il faut nuancer ce qui a été dit dans les médias : d’après les sondages que j’ai regardés, le vote en moyenne était à 13,4% et pour les plus jeunes (18-24 ans) le pourcentage monte à 23%. Ce n’est pas énorme. Il ne faut pas oublier que le problème des jeunes, et les Européens n’y font pas exception. C’est qu’ils votent très peu : de l’ordre de 35% contre 50% pour le reste de la population », affirme t-il.
Pourtant, si les classes populaires votent peu pour les verts, ce n’est pas forcément qu’elles n’adhérent pas à leurs idées. « J’ai suivi les gilets jaunes et ils ont un souci écologique qui va être assez différent de l’électorat vert », remarque Fabrice Flipo. Tout semble être lié à la prise de solutions qu’envisagent le parti face à l’urgence climatique. « Les gens sont plus enclins à parler d’écologie. Dans une société, quelle qu’elle soit, il existe un agenda public par rapport aux choses que l’on aborde ou non. Pendant longtemps, l’écologie nous n’en parlions pas, excepté les minorités actives des écolos. Maintenant que le problème est reconnu, les solutions ne suivent pas forcément. Dans le questionnaire des gilets jaunes, il y avait deux questions sur l’alimentation: « Est-ce que vous voudriez boycotter les supermarchés ? » et « Est-ce que vous voulez consommer autrement ? », les deux questions ont un retour de « oui » à hauteur de 90%. On voit bien qu’il y a une aspiration à autre chose mais les conditions concrètes ne permettent pas d’y parvenir parce que les réalités ne sont pas les mêmes », ajoute-t-il.
Si le vote écologiste paraît être un vote plus urbain, il semble intéressant de voir si la densité de population est un facteur. Pour l’étudier, l’échelle départementale semble la plus appropriée. Au sein de la région Grand-Est, le Bas-Rhin est le plus peuplé, et s’oppose ainsi à la Haute-Marne. Sur ces deux cartes, on peut comparer la densité de population par commune, qui se traduit par différentes couleurs. Les communes les plus opaques sont celles où EELV a reçu le plus de voix. Certaines communes peuplées, comme Haguenau ou Chaumont, n’ont pas plébiscité les écologistes. À l’inverse, dans certains villages comme Le Val-d’Esnoms ou Urbeis, les Verts ont obtenu de bons scores. Le vote écologiste dépend donc davantage de la structure de sa population que de son nombre.
Un vote disparate selon les élections
Le vote Europe Écologie Les Verts varie significativement selon les élections. Pour les municipales, sur la moyenne des élections de 2008 et de 2014 sur les villes de plus de 3 500 habitants, l’Aube et la Marne obtiennent respectivement 1% et 0,4% des votes écologistes. Ils se distinguent des autres départements qui n’ont reçu aucun vote pour les Verts.
Et pour cause, il n’y avait pas de liste EELV en 2008 et 2014. Selon Daniel Boy : « C’est assez difficile de monter des listes aux élections municipales. Quand vous voulez monter un candidat aux législatives, c’est assez simple : il faut un candidat et un suppléant. Quand vous voulez faire une liste aux municipales, si la ville est un peu grande il faut trouver 30 ou 40 personnes et les écolos n’ont pas de ressources humaines considérables». Les écologistes sont donc moins visibles lors des élections car « ils se présentent sur une liste commune. Par exemple, avec le PS », affirme le directeur de recherche.
Un problème de recrutement qu’a aussi remarqué Patrick Barbier sur le terrain. « Il n’y a pas beaucoup d’adhérents, il y en a jamais eu beaucoup. En Alsace, on était entre 200 et 300 adhérents maximum, dans une région qui compte 2 millions d’habitants. Et parmi les maires, il y a en assez peu qui sont encartés aux EELV», constate-t-il.
Le résultat est tout autre pour les élections européennes. D’après la moyenne des élections de 2009, 2014 et 2019, le résultat écologiste obtient entre 7,5% (Ardennes) et 13,5% (Bas-Rhin). Patrick Barbier, maire ex-EELV de Muttersholtz depuis 2008, poursuit : « On tire notre épingle du jeu au niveau européen car il y a toute un système électoral qui nous permet d’avoir pas mal d’élus et faire du bon boulot pour faire avancer les choses». Si EELV souhaite s’implanter davantage au niveau local, il va sans doute lui falloir recruter et présenter plus de candidats lors des élections municipales de 2020.
Encart méthodologique :
Premièrement, nous avons débuté à partir de l’hypothèse proposée : « Le vote écologiste n’est remarquable que dans les départements les plus peuplés du Grand Est ». Au vu de l’actualité politique des municipales 2020, nous nous sommes concentrés sur les municipales dans le Grand Est. Pour comparer les chiffres, nous avons étudié les données des législatives et des européennes afin de connaître la tendance des habitants de la région au niveau national et communal. Dans nos recherches, il est vite apparu la tendance d’un vote écolo par des personnes diplômées et habitants en métropole.
Après avoir récolté les données, nous avons interviewé Daniel Boy, politiste et directeur de recherche émérite au Cevipof, spécialiste de l’écologie politique. Nous avon également parlé avec Patrick Barbier, maire de Muttersholtz, membre fondateur d’EELV en Alsace et qui a récemment quitté le parti. Nous avons également interviewé Fabrice Flipo, philosophe, spécialiste écologie politique à l’institut Mines Télécoms au laboratoire changement social et politique à l’Université de Paris. Par leurs témoignages, nous avons pu approfondir l’hypothèse du vote vert dans les métropoles. Nous avons réalisé deux histogrammes. Le premier concerne l’inégalité du vote des Verts dans le Grand Est. Le deuxième porte sur la victoire des Verts aux européennes 2019 dans la région Grand Est. Pour réaliser ces histogrammes, nous avons utilisé les données de datagouv.fr, de l’Insee, du ministère de l’Intérieur. Les histogrammes permettent de mettre en lumière les chiffres récoltés et de soulever l’idée d’un vote vert plus urbain.
Rémy Chanteloup, Mélina Le Corre, Anne Damiani, Emma Facchetti, Lorène Paul, Amélie Pérardot