Alors que deux jours de grève successives ont plombé le trafic aérien, le SNCTA (syndicat majoritaire des contrôleurs aériens) se dit prêt à déposer un nouveau préavis dès lundi (13 avril). Mais, quels sont les enjeux de ce mouvement ? Les revendications ? Doit-on vraiment craindre de nouvelles perturbations ? Nous avons joint Antoine Boulet, secrétaire national du SNCTA et contrôleur au Bourget, pour comprendre l’origine du conflit.
Webullition : Pourquoi avoir lancé un préavis de grève ?
Antoine Boulet : « Notre objectif premier, c’est l’ouverture des négociations avec la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) sur les problématiques du contrôle aérien. La DGAC est une grande maison avec des missions très diverses. Les contrôleurs aériens y sont à la fois le plus gros contingent et en même temps ne représentent qu’un tiers des agents. Or, le dialogue social tel qu’il est structuré actuellement ne permet pas aux contrôleurs de porter leurs revendications particulières ».
[toggle title= »Pourquoi le dialogue social pose problème à la DGAC ? »]La Direction Générale de l’Aviation Civile est une administration publique, rattachée au Ministère de l’Ecologie, chargée de réglementer la sécurité aérienne. Elle emploie près de 12 000 agents, dont le tiers (4108 en 2013) est contrôleur aérien.
En dehors de ce gros contingent, les services de la DGAC sont très parcellés. On compte au moins 13 corps d’ingénieurs, d’administratifs ou de techniciens différents. Les revendications sociales n’y sont pas négociées branche par branche, mais par l’ensemble des représentants de personnel. Difficile alors pour les syndicats corporatistes (dont l’activité syndicale se limite à la défense de son champ professionnel) de se faire entendre.[/toggle]
L’enjeu majeur pour la SNCTA est donc politique ? Il s’agit d’améliorer son influence et sa représentativité ?
A.B : « La SNCTA est majoritaire auprès des contrôleurs, elle est légitime pour discuter des problématiques liées à la profession. Le problème, c’est que les autres syndicats confédérés ne s’impliquent pas directement pour les contrôleurs car il s’agit d’une minorité de leurs adhérents. Disons que, le jeu d’influence, c’est le moyen qui nous permettra ou non de provoquer des négociations et porter des revendications particulières aux contrôleurs devant la Direction ».
« L’organisation du travail actuelle est inadaptée »
Quelles sont ces revendications particulières que vous souhaitez porter ?
A.B : « D’abord, il faut savoir que notre métier a connu des évolutions majeures ces dernières années. Avec le développement des compagnies low-cost, le transport aérien est devenu un transport de masse. Et le trafic, autrefois très régulier, est ainsi devenu beaucoup plus élastique avec des périodes de creux et d’autres surchargées. Cela oblige la DGAC à penser le métier de contrôleur aérien autrement, comme un travail saisonnier, et à changer l’organisation du travail actuelle qui est inadaptée ».
Votre inquiétude porte donc sur la manière dont ces changements vont être conduits…
A.B : « Nous ne sommes pas contre des évolutions, au contraire. Mais il faut qu’elles soient négociées. Les solutions proposées par la direction ont été avalisées sans consultation ni contrepartie (ndlr: les conflits opposant la DGAC et les contrôleurs aériens se résolvent souvent par des contreparties financières) par les syndicats confédérés. En aucun cas, ils ne se sont souciés des conditions de travail des contrôleurs. On ne veut tout simplement pas se laisser imposer des textes ».
Concrètement, qu’est-ce que vous proposez ?
A.B : « La première chose serait de réduire la durée des vacations. Aujourd’hui, un contrôleur peut travailler jusqu’à 12 heures de suite dans des situations de stress importantes lorsque le trafic est intense (ndlr: pour se donner une idée, le trafic aérien en temps réel). Dans le même ordre d’idée, nous souhaiterions fixer un plafond hebdomadaire à ne pas dépasser, pour permettre aux contrôleurs de travailler en toute sérénité. Et enfin, revenir sur l’âge limite de départ à la retraite qui est passé à 59 ans ».
[highlight color= »eg. yellow, black »]L’âge de départ à la retraite des contrôleurs européens[/highlight]
« La sécurité des passagers est aussi en jeu »
Cela reste 3 ans de moins que le reste des travailleurs français…
A.B : « C’est vrai. Mais il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un privilège indu. Les conditions de travail d’un contrôleur sont particulières et exigeantes. Elles nécessitent de la célérité mentale, des réflexes affutés et une bonne résistance au stress. Autant d’atouts sur lequel le vieillissement a malheureusement beaucoup d’emprise. Au moins pour nos collègues les plus impactés, on doit pouvoir proposer des mesures de reclassement ou de départ anticipé ».
In fine, c’est la sécurité des passagers qui est en jeu ?
A.B : « C’est la fluidité du trafic (afin de ne pas dépasser la capacité des postes de contrôles), la qualité de vie des contrôleurs et, bien entendu, la sécurité des usagers ».
[toggle title= »Le métier de contrôleur »]Antoine Boulet revient sur les conditions de travail particulières de ces ingénieurs.
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Que fait le gouvernement pour permettre à ces négociations de démarrer ?
A.B : « Déjà, c’est lui qui a initié les études indépendantes sur la variabilité du trafic, et qui a permis à la DGAC de prendre conscience de la nécessité d’un changement. Lorsque nous en avions nous-même fait état à la Direction, nous étions suspectés d’être juge et partie ».
Vous êtes donc tombés d’accord sur les maux, mais pas encore sur la manière de les résoudre ?
A.B : « C’est exactement cela. Et la grève n’est rien d’autre qu’un appel du pied pour entamer les négociations. Les pouvoirs publics ont d’ailleurs proposé une réunion le 13 avril pour mettre tout le monde devant la table. Si nous y sommes enfin entendus, cela marquera peut-être la fin de cette grève ».