L’or blanc de Folschviller (2/2) Depuis la découverte de gisements d’hydrogène blanc en 2022, le projet de recherche « REGALOR 2 » poursuit son aventure. Aux commandes : La Française de l’énergie.

« Réservoir d’hydrogène en Lorraine : le volume du gisement a été estimé mais doit encore être validé » titrait le Républicain Lorrain dans son édition du vendredi 31 janvier 2025. En plein hiver, le sujet ressortait de terre. D’après le journal, Jacques Pironon et Philippe de Donato, du laboratoire Géo Ressources, attendaient des autorisations afin de « creuser un autre forage jusqu’à 3 000 mètres de profondeur ». Les deux chercheurs, à l’origine de la découverte, souhaitaient enfin clarifier leurs estimations et déterminer précisément la quantité d’hydrogène présente dans le sous-sol lorrain, qui reste indéterminée.

Les deux scientifiques sont loin d’être les seuls à attendre que leur soit obtenu par l’Etat un permis d’exploration pour le projet REGALOR 2. La Française de l’énergie (FDE), la société qui compte exploiter et valoriser le gisement, patiente depuis longtemps. Afin d’identifier la FDE et de comprendre son intérêt pour les ressources minières en Lorraine, il faut creuser.

« On parle d’une société junior »

Une conversation avec l’Apel57 en novembre 2024 va permettre d’éclaircir le sujet. Créée en 2015, l’association écologiste suit de près ce qu’il se passe au niveau environnemental local en Moselle Est. Elle s’intéresse aux projets pouvant avoir un impact environnemental et sanitaire sur la vie des habitants. « Cela va faire quinze ans que l’entreprise (FDE) cherche du méthane. La seule chose qu’ils ont réussi à produire ce sont des friches industrielles. Maintenant ils parlent d’hydrogène, j’ai un gros doute. » informe une représentante de l’Apel57 qui a souhaité conserver son anonymat. La FDE a un passif dans la région. « Leur but ça n’a jamais été de faire de l’hydrogène. Leur but c’est de faire de la communication », poursuit la représentante.

Même constat pour Marieke Stein. Chercheuse dans les controverses environnementales, elle délivre une curieuse analyse « La FDE c’est une toute petite boîte, on parle d’une société junior ». Pour ce type de société, le but est de déposer des permis de recherche pour une ressource minière ou énergétique. Si cette dernière est exploitable, si une ressource est trouvée, la société essayera de revendre. « A ce moment, la société junior revendra à une major. Le but, pour ces sociétés qui sont spéculatives, c’est d’engranger des subventions publiques et des investissements privés. », détaille l’enseignante-chercheuse au CREM.

Dans son article consacré aux sociétés juniors dans l’industrie minière, l’économiste québécois William Sacher décrit bien le phénomène : « La plupart d’entre elles (ndlr sociétés juniors) n’ont pas plus d’une dizaine d’employés. Enregistrées sur les marchés boursiers hautement permissifs […] elles ne tirent des bénéfices que de la spéculation et financent leurs campagnes d’exploration en levant des fonds (des capitaux à risque) sur ces marchés boursiers ». La Française de l’énergie répond aux critères avancés par l’économiste. Il s’agit d’un groupe1 possédant de nombreuses filiales nationales et internationales, dont plusieurs permis exclusifs de recherche dans les hydrocarbures. A l’origine en 2007, il existait European Gas Limited « une société australienne cotée sur le marché boursier australien, qui menait historiquement des activités d’exploration d’hydrocarbures en Australie. » selon un document de Gazonor. En 2016, la société mère, devenue entretemps « La Française de l’énergie SAS », avec à sa tête Julien Moulin comme président, a intégré la bourse Euronext Paris.

Du gaz de couche à l’hydrogène

La Française de l’énergie possède une concession2 sur le territoire lorrain appelée « Bleu Lorraine ». Une zone s’étalant sur 191 km², qui englobe environ 40 communes dont Folschviller. Sur cet espace, la FDE avait obtenu des permis de recherche pour voir si le méthane (CH4) pouvait être extrait des couches de charbon vierges de toute exploitation. Leur but étant que ce « gaz de couche » qui contenait le méthane, puisse être injecté dans le réseau de distribution de gaz. Au passage, le CH4, présent dans les couches de charbon, est un puissant gaz à effet de serre, véritable danger pour l’environnement.

Carte des réservoirs miniers de Folschviller (source : ecotribune.fr)

Durant quinze ans, la FDE a effectué des recherches, déposant des demandes d’autorisation successives pour pouvoir déterminer l’exploitabilité de cette ressource. En 2020 à Folschviller, une enquête publique avait eu lieu pour savoir si la FDE pouvait exploiter le terrain de la commune dans la concession « Bleu Lorraine ». La concertation publique avait débouché sur un refus. « Il y avait des polémiques liées à la technologie d’extraction. » révèle Didier Zimny, le maire de Folschviller. « Lorsque les habitants ne sont pas sûrs qu’un projet soit bien, soit ils s’abstiennent, soit ils votent contre. Dans le Conseil municipal, tout le monde est conscient qu’il faut trouver d’autres ressources mais qui ne nuisent pas à la planète », explique-t-il.

Le 12 juillet 2022, le ministère de la transition énergétique rejettera la demande de concession « Bleue Lorraine ». C’est la douche froide pour la FDE, car ce type de décision arrive rarement, à moins que le projet soit vraiment imparfait.

Le ministère le sait, tout comme les associations qui ont milité pour aboutir à cette décision, que plan de la FDE est pernicieux. « Le projet de gaz de couche de charbon est complètement pourri, il ne peut pas fonctionner car l’entreprise n’en a pas les capacités, ni technique, ni financière », révèle Marieke Stein. En effet, les procédés d’extraction du méthane sont les mêmes que ceux utilisés pour le gaz de schiste, c’est-à-dire nocifs. Dans son arrêté, le Ministère a avancé plusieurs arguments en défaveur de la société, affirmant qu’elle n’a démontré « ni sa capacité technique à extraire le gaz de couche et ni l’exploitabilité de ce gisement ».

A la suite de la décision du ministère de la transition écologique en 2022, la FDE s’est retrouvée dans l’impossibilité d’exploiter le méthane. En avril 2022, la découverte de Folschviller devient alors leur mine d’or, prêt à résoudre tous leurs problèmes. Le précédent refus de permis devant être oublié, la société va alors se livrer à une communication intensive sur cette découverte auprès des pouvoirs publics. Une communication qui va se faire par le biais du laboratoire GéoRessources. « Maintenant que les élus connaissent la française d’énergie, ils sont hyper méfiants vis-à-vis de cette société. Mais quand ils voient arriver GéoRessources, Université de Lorraine, FEDER, ou Conseil régional de Lorraine, ils ont confiance », constate Marieke Stein.

L’enseignante-chercheuse laisse même entendre que du côté de la FDE « ils délèguent leur communication au laboratoire Géo Ressources. On voit bien cette transition à partir du moment où l’entreprise a perdu tout crédit sur le gaz de couche en 2022. »  En cherchant à savoir comment la FDE communiquait auprès des communes concernées par l’hydrogène, le maire de Folschviller délivre une réponse similaire. « C’est surtout par le labo qu’ils communiquent. Dans le cadre de leur recherche, les scientifiques publient dans des magazines mondiaux. Mais d’après ce que j’ai compris, la publication sur le sujet de l’hydrogène blanc n’est pas encore parue de manière officielle », indique l’élu mosellan.  

En 2023, la FDE fait appel. Le 25 juillet de la même année, le Tribunal administratif de Strasbourg, annulera ainsi tour à tour la décision et l’arrêté du ministère de la transition écologique. Le tribunal avance une raison principale. Cela fait quinze ans que la société effectue des recherches, désormais leur plan est recevable. Dans son décret du 20 novembre 2023, le ministère de la Transition énergétique autorisera ainsi l’exploitation du gaz de couche en Moselle par la Française de l’énergie. Une décision à contre-courant des politiques en faveur de l’environnement, mais qui fera s’envoler le prix de l’action de la FDE.

La FDE s’est alors retrouvée simultanément avec une autorisation de recherche et d’exploitation, pour le méthane et pour l’hydrogène blanc. Dans le cas de l’hydrogène, on parlera d’un permis exclusif de recherches dit « Permis des Trois Évêchés ». En faisant un recours contre la décision de l’État, la FDE s’est appuyée sur le code minier qui dispose que dès que de l’argent est investi sur des programmes de recherche, il faut qu’il y ait droit de suite.

Greenwashing et risques environnementaux

En jouant sur le fantasme d’un renouveau lorrain, la FDE réactive le mythe de la prospérité liée au charbon. « L’emballement (médiatique) était exactement le même que pour le gaz de couches au début des années 2000 », rappelle Marieke Stein. Pour l’hydrogène blanc, leur communication est identique. Du temps du gaz de couche, l’entreprise parlait de « relance », de « région pionnière ». Avec l’hydrogène, elle parle d’un « Eldorado sous nos pieds ». La FDE communique ainsi sur un « renouveau minier », dans le cadre d’une « énergie verte ». La réalité est moins reluisante. « On est en plein dans toutes les techniques connues de greenwashing. À savoir que c’est une énergie locale décarbonée qui n’aurait aucun impact sur l’environnement », expose la chercheuse du CREM. Dans sa communication, l’entreprise affirme vouloir produire une énergie propre, dans la perspective du « Plan 2030 ».

Au-delà des intentions financières de la FDE, se pose la question des risques sur l’environnement. L’association écologiste rappelle que l’exploitation minière intensive a causé de multiples failles dans le sous-sol lorrain. « Il y a des mises en circulation d’eau des nappes phréatiques qui remontent à Saint-Avold, à Freyming, à Forbach. On risque de se retrouver sous l’eau. Tout ça avec plusieurs tonnes de produits chimiques qui sont injectés et qui traversent plusieurs fois la nappe phréatique qui alimente l’eau potable de toutes les maisons autour », alarme la représentante. Même son de cloche du côté de l’Apel57 dont l’un des membres a travaillé dans l’industrie minière. « Un forage ce n’est pas un simple trou, il s’agit de faire passer des tubes, du ciment qui se met dans des anneaux et qui tourne autour pour éviter qu’un forage ne fasse des dégâts dans les nappes d’eau », détaille-t-il. Contactée, la Française de l’énergie n’a pas donné suite.


  1. La société a par la suite obtenu de nombreux permis d’exploration et des concessions en France en acquérant la société anglaise Heritage Petroleum et la française Gazonor. Désormais orientée dans « l’évaluation, l’acquisition et l’exploration » de gaz de couche de charbon et de gaz de mine, la société a opéré une importante restructuration de 2012 à 2015. Au bout de ces années, le Groupe a concentré tout son actionnariat en France « où se trouvent ses actifs et ses projets de développement ». ↩︎
  2. Selon le code minier, une concession est « un acte par lequel l’Etat accorde à une personne le droit d’exploiter une substance de la classe des mines ». Ce droit permet d’exploiter une zone où se trouve une ressource. ↩︎