Elle vous a forcément déjà fait de l’œil. Cette blonde, installée sur un comptoir. Ou cette brune, enveloppée des doigts d’une main. Ce Bon Poison, qui s’incruste dans nos soirées messines depuis juillet. Rencontre avec le brasseur messin, histoire d’en savoir un peu plus.
Il est assis au bar. Une bière à la main. Pas la sienne. Pas son bar. « Si vous voulez me voir embouteiller, revenez samedi à 3h du mat’ ! » Ce soir, Quentin Decornet ne bosse pas. Il a déjà une journée de travail derrière lui. Et pas trop la tête à se plonger dans la bière, son 2e job. Pas ce soir. Et nous, histoire de ne pas trop l’achever, on lui fait faire des heures sup’, en lui proposant de nous retrouver à la terrasse du 7(7). « C’est la première fois que je rencontre le patron du bar », lance-t-il un peu à lui-même, presque étonné de la situation. Le bar fait partie de la vingtaine d’endroits où on trouve son Bon Poison. Ses « dealers », comme il les appelle. Pas de coke, non, mais de bière. Sa bière. Celle qui l’habite jour et nuit depuis près de cinq ans, et qu’il brasse à Metz depuis fin juillet. « J’ai pas trop le temps de sortir depuis le lancement de la micro-brasserie. D’habitude c’est Rudy, mon associé, qui fait les démarches auprès des barmans. Quand tu commences une affaire, il faut choisir : soit tu ne dors pas, soit tu ne payes pas. J’ai choisi de ne pas dormir. Mais c’est génial. »
Loin d’être maso, Quentin est plutôt l’un de ces passionnés. D’ailleurs, à le regarder, avec son agenda sous le coude et ses prévisions mentales de ses tableaux Excel, Quentin a plutôt l’air d’un type bien au courant et très méticuleux. La tête bien sur les épaules, qui sait où il va, sans trop savoir comment. « Au départ, l’idée était de servir de la bonne bière dans la micro-brasserie. Mais le local est devenu trop petit beaucoup plus vite que prévu. » En août, Quentin était déjà en rupture de stock. C’était le premier mois de commercialisation, avec 2 000 litres de bière brassés. « Tout le monde voulait de la Bon Poison », se souvient-t-il d’un ton satisfait, en tirant sur sa clope. Des jeunes, et même pour inaugurer l’ouverture d’un magasin de cyclisme. 3 000 litres de bière par mois, ce n’est toujours pas assez : « Il va falloir agrandir le local pour répondre à la demande. »
Car la Bon Poison s’est posée à Metz comme un ovni. Le genre d’objet que tout le monde voit arriver. Virtuellement, d’abord, avec sa campagne de crowdfunding Ulule. Une campagne écoulée en quelques jours, elle aussi. Ouvrir une micro-brasserie, du jamais vu à Metz depuis la fermeture de la célèbre brasserie Amos en 1992. La dernière du centre ville. La Bon Poison, c’est aussi leur bière, à eux, les messins. « On est ‘57 000’ et ça, ça joue beaucoup. On est vraiment la brasserie du quartier. » Coup de bol, son local de près de 100m², « une ancienne cuisine chinoise qu’il a fallu péter à la masse », se trouve à quelques portes de l’ancienne brasserie Amos… Un sacré atout, il faut le dire.
De Rennes aux punks à chiens
Mais la belle est loin de laisser indifférent. Elle est même plutôt du genre à faire fantasmer. Qui ne s’est jamais arrêté devant ses courbes atypiques ? Avec cette tête de mort hypnotisante et aguicheuse d’abord, son goût prononcé ensuite, qui rend n’importe quelle Heineken un peu tache. Mais c’est surtout avec ce nom énigmatique, trouvé d’une manière tout aussi éclectique un soir de passage à la Capsule, une cave à bières de Nancy. « J’avais mes six bières à 50 euros sous le bras. Il y avait des punks à chiens dehors, déjà bien éméchés avec de la bière du Lidl. Ils m’ont fait : « oh tu m’échanges ton bon poison s’il te plait ? » » A la poubelle les autres noms griffonnés sur un morceau de papier…
Ecouter et regarder, Quentin est un peu comme ça, à s’inspirer de son entourage. D’abord à Rennes, du haut de ses 20 ans et une école de commerce dans les pattes. « Pour moi, c’est le lieu de renouveau des brasseries françaises. Et ça tombe bien, j’y étais. On goutait à toutes les bières, mais ça s’est arrêté là. » C’était sans compter l’étape Erasmus. Un tour par Middlesbrough et Edinburgh plus tard, où les bières sont tirées à l’air, Quentin découvre une autre culture de la bière. Plus libre et créative. Un passage en terre slovaque, où l’air est embaumé par « l’odeur de la Pilse », le décide à tenter quelque chose. « J’ai commencé à faire de la bière dans ma cuisine, avec les kits qu’on t’offre pour noël, comme ceux de Nature et Découverte. » Bas salaire oblige.
Quentin raconte, enchaîne sur son retour en France, là « où tout s’est accéléré », et en oublierait presque de boire sa bière, restée intouchée jusqu’ici. Il passe des kits aux cuves. Des mélanges un peu douteux aux recettes élaborées. Des gribouillis aux tableaux Excel. De la bière maison à la Bon Poison. Mais le trentenaire n’oublie pas les galères. « Des bénéfices ? Il n’y en a pas pour le moment ! ça commence à venir, normalement, en janvier j’arriverai à payer mon employé et mes dettes. » Sans oublier les contreparties Ulule et le matériel à ajouter. « C’est le jeu. On savait que ce serait dur au début. Surtout avec mes deux petites filles. On n’est pas aux 35 heures ! répète Quentin en souriant, en écrasant son mégot. En janvier, je quitte mon travail pour me mettre à 100% dans la micro-brasserie. Et peut-être qu’un jour, j’aurai un salaire. »