En 2000, le forgeron Jean-Louis Hurlin, installé au Ban Saint-Martin, est nommé maître d’art. Sa spécialité ? L’acier damas. Rencontre.
« Comme Obélix, je suis tombé dans la marmite ». Bonnet sur la tête, lunettes vissées sur le nez, Jean-Louis Hurlin donne le ton. Ce mardi 18 octobre, ce forgeron de 72 ans reçoit dans son atelier, au Ban Saint-Martin, en périphérie de Metz. Entre deux machines, éclairées par la faible lumière entrant dans la pièce, il nous raconte 36 années à forger dans sa région natale, après avoir réalisé ses débuts dans le Lot, en 1974. Ce serrurier de formation change son fusil d’épaule en rencontrant un ferronnier d’art qui lui apprend les techniques anciennes pendant deux ans. De fil en aiguille, il commence à exposer, à chercher l’inspiration dans les musées pour retracer les secrets des maîtres passés.
Nouvelle rencontre en 1989. Des artisans japonais reconnus au titre des Trésors nationaux vivants, en visite à Nancy, lui font découvrir l’acier damas, technique ancestrale qui consiste à souder, plier et replier le métal et à l’immerger dans l’acide. Le damas révèle alors ses reflets. « On est vraiment sur un dessin dans la masse, et non simplement en surface », précise le forgeron en tendant une de ses pièces. Si ce savoir-faire servait autrefois à produire des armes, Jean-Louis Hurlin préfère réinventer la fonction des objets. « Avec cette lame, il est hors de question d’ouvrir des lettres d’impôts. Des lettres d’amour oui », plaisante-t-il. Preuve d’une véritable estime pour cette pratique.
Ce savoir-faire rare lui vaut, en 2000, d’être nommé maître d’art, titre propre à la France décerné à vie par le ministre de la Culture. Ils ne sont que deux à avoir cette distinction pour l’acier damas. Et les prix s’enchaînent. Il remporte le Word Crafts Council Europa en 2007 puis le Prix européen des Arts appliqués-Prix des Maîtres d’art en 2012. Pourtant, ce n’est pas la première chose qu’il met en avant. Lui préfère parler de ses formations auprès des jeunes soit à travers des cours, soit par workshop. Une expérience marquante ? « J’avais une maison au Pérou et j’avais organisé une formation au centre de restauration et de conservation du patrimoine. Ce n’était pas évident car la pauvreté est forte dans les montagnes et puis ce n’est pas la porte d’à-côté. Dans une école de village, j’ai transmis la technique du Damas ainsi que la forge. À la fin, ils ont monté une tribune ».
Aujourd’hui, c’est Quentin Enclos, son stagiaire, qui apprend la ferronnerie dans son atelier. Formé au centre européen de recherches et formation aux arts Verriers (CERFAV) en Meurthe-et-Moselle, ce futur trentenaire a la réalité du métier bien en tête. Refusant de dire qu’il vit de sa passion, il accepte volontiers le fait « d’avoir trouvé un métier passionnant. C’est un métier dangereux : métal dans les yeux, brûlures au second degré, etc ». Pour Jean-Louis Hurlin, dans cet art, on ne compte pas le temps. « Peut-être qu’un forgeron aura mis cinq heures pour créer sa pièce, mais il y a des années de travail et d’expérience derrière ».
Et de recherches. « Quand ma mère vivait, c’était elle qui m’inspirait », confie le maître d’art. Le reste provient de la technique et du fait qu’il n’a pas d’autre choix que de se creuser les méninges. « Je ne suis pas Picasso, lui n’avait pas besoin de chercher ». Reflet d’un travail plus personnel, le mot « tendre » en plomb accroché derrière lui. « C’était le mot préféré de Michel Serres. Il a un véritable double sens : tendre pour aimer, tendre pour la tension. Ce sont des petites citations qui me donnent aussi des idées ».
L’heure s’écoule. Les machines, jusqu’alors éteintes, reprennent vie. En partant, Jean-Louis et Quentin se replongent dans leurs activités, le feu illuminant une partie de l’atelier.
Cassandra Tempesta