« J’en étais arrivée à un point où je m’endormais avec ma bouteille de Suze dans les bras et je me réveillais avec ma bouteille de Pastis », explique Laure*, malade alcoolique. « J’étais prête à aller attendre l’ouverture du magasin, pas lavée, pas maquillée pour acheter ma bouteille. Je n’achetais rien d’autre. Je m’en fichais que les gens voient que je buvais. »
Laure est restée plusieurs années ainsi. « Je m’étais dit que j’arrêterai de boire quand je voudrais des enfants. J’ai fait 14 fausses-couches successives. » Elle fréquente maintenant depuis plusieurs années, chaque semaine, les réunions des Alcooliques Anonymes (AA). Une routine qui l’aide à tenir.
Pas besoin d’être guéri
Des bonbons au milieu de la table, du café, du thé. Pas d’alcool. C’est pourtant ce qui est au centre des conversations pendant les réunions des AA. L’alcool, l’alcoolisme, l’avant, pendant, après maladie. Les raisons qui ont fait tomber certains dans la boisson, ce qui les a aidés à s’en sortir. « Pour venir, la seule condition est de vouloir arrêter de boire. On ne demande pas aux gens d’arriver en étant guéri, » explique Daniel*, qui participe régulièrement aux réunions.
« Bonsoir, Pierre, malade alcoolique. Je n’ai pas bu aujourd’hui et je m’en porte bien », commence l’un d’entre eux. Pierre* est le premier à prendre la parole. Tous reprendront ces mêmes mots, à peu d’exceptions près. « Je n’ai pas bu aujourd’hui et je m’en porte bien ». Cela montre à quel point lutter contre la maladie est un combat permanant, récurant pour eux. Pierre donnera le thème des discussions, ce soir-là. De façon hebdomadaire le thème change, et celui qui le choisi également. Cette semaine, cela sera l’orgueil. Comment l’orgueil pousse à l’alcoolisme pour certains, comment il en a amené d’autres à s’en sortir.
L’alcoolisme, une maladie d’orgueil
Les témoignages autour du thème se succèdent. Daniel explique comment son orgueil l’a mené à boire, mais aussi à dire non à l’alcool. « Je me suis retrouvé seul les week-end pour gérer un enfant de 4 mois. Je ne savais pas comment faire. » D’un verre de vin cuit, « c’est ce qu’il y avait chez moi à ce moment-là », à trois ou quatre par soir, jusqu’à boire plusieurs bouteilles quotidiennement, l’homme a sombré. « J’étais incapable de demander de l’aide ». Ce n’est qu’après une « cuite » dont il a eu particulièrement honte que Daniel décidera de se soigner, d’abord en cure de désintoxication, puis ensuite avec les AA.
Ce soir-là, il y a aussi plusieurs nouveaux autour de la table. A leur tour, ils prennent la parole. Ce qui se dit dans la salle est soumis à la discrétion de chacun, c’est écrit dans le code des alcooliques anonymes. Ils se savent protégés et se livrent. Régis*, lui, racontera comment il est passé d’un alcoolisme mondain, uniquement dans les soirées, à un alcoolisme plus profond, seul, jusqu’à perdre le contrôle et à être placé sous curatelle. Pour Alfred*, les mots ont plus de mal à sortir. « Je suis venu parce qu’il y avait des bonbons… et j’aime les bonbons. » Il avouera finalement, après quelques regards encourageants qu’il n’a pas bu depuis deux semaines.
Courage et sagesse contre l’alcoolisme
Il est 22h, la réunion s’achève. Mais avant que chacun reparte de son côté, les AA ont une tradition. « Pour ceux qui le souhaitent, nous allons réciter la prière de la sérénité. » En quelques mots, les malades alcooliques prient, on ne sait quel dieu, pour avoir le « courage » et la « sagesse ».
Une autre tradition suit alors. La quête. L’association a besoin de dons pour continuer de fonctionner. Pour pouvoir acheter du thé, du café pour les réunions. Pour que les malades tiennent un jour, une semaine de plus, sans alcool, sans produit.
*Les prénoms ont été modifiés.