Il y a 17 ans, Julie Lambert a connu les bancs d’un petit village des Ardennes, qui ont fait office de lit improvisé. Accompagnante d’élèves en situation de handicap à l’école maternelle, elle vient aussi en aide aux sans domiciles fixes avec le Secours Catholique de Metz, chaque lundi soir. Retour sur le lien étroit et particulier que Julie a avec la rue, en tant que bénévole au Secours Catholique.
« Vous voulez peut-être un café ou une soupe ? », demande Julie. C’est toujours un avec grand sourire, les yeux plissés et en hochant la tête que cette dernière pose cette question aux oubliés de la rue. Vêtue d’un anorak mi- long kaki, ses deux mains qui tiennent fermement les bretelles du sac du Secours Catholique, Julie est happée par les récits des gens qu’elle rencontre. Presque hyperactive, souriante, celle-ci arpente d’un pas dynamique les rues de Metz. Il y a quelques années, c’est elle qui était à leurs places. Aujourd’hui, c’est elle qui se bat pour aider les sans-abris.
Maraudeuse dans l’âme
Julie ne pousse pas la porte des locaux du Secours Catholique par hasard. Elle obtient les coordonnées de l’association grâce à la sœur de sa voisine albanaise qu’elle aide pour faire ses papiers français. En poussant cette porte, Julie sait d’avance qu’elle se sentira utile, lorsqu’elle viendra en aide aux plus démunis.
Ce sentiment n’est pas récent. Agée d’à peine 19 ans, lorsqu’elle travaillait en bijouterie de luxe, celle-ci se rappelle d’un souvenir marquant. « Lorsque je me rendais ou repartais du travail, j’attendais le bus à mon arrêt. Je voyais toujours cet homme assis sur le trottoir avec deux chats roux. L’homme était aussi roux. Je trouvais ça drôle. Je lui parlais et il me racontait sa vie. Je lui demandais ce qu’il aimait manger. Il me répondait qu’il adorait les bonbons. Alors, je lui en achetais ou bien je lui faisais des [récipients en verre] que je lui apportais tous les jours, avec les restes de mes repas. Je me disais que ce genre de gestes valaient le coup », confie-t-elle. Lorsqu’on demande à Julie s’il y a une différence entre marauder à son compte et le faire dans un cadre associatif, elle répond qu’elle a pu « rencontrer des profils de bénévoles différents et supers intéressants et que marauder individuellement et en tant que femme reste dangereux ».
Faire des maraudes pour Julie lui permet aussi de « promener sa bête ». Sa bête, elle l’a personnifiée et lui rappelle le « côté instable de la rue » qu’elle a vécu. Cette expérience associative la force à ne pas rester dans le déni pour avancer dans sa vie.
Fouettée en plein visage par la rue
Dix-sept ans plus tôt, dans la région des Ardennes, Julie a 21 ans mais n’a pas la chance de dormir sur un matelas. En guise de lit improvisé, un banc, sans couverture, en plein mois de février. Comme tous les soirs, elle ne trouve pas le sommeil. Mais elle a la « chance » de vivre dans les Ardennes, un coin calme, où elle ne s’est jamais faite agressée.
Julie est victime du sort que lui a jeté Samia, sa mère, qui tourne régulièrement aux antidépresseurs et au Xanax. Le tout avec un joyeux cocktail d’alcool. Lorsque le compagnon de Samia qui la frappe jusqu’au sang et lui demande de choisir entre lui ou sa fille, cette dernière sacrifie Julie et la met à la porte. « Tu as 24 heures pour trouver une solution », déclare Samia à sa propre fille.
Par « fierté », Julie ne raconte rien à ses amis. Pourtant, elle reprend le lycée le lendemain. Un lieu qu’elle avait abandonné à ses 18 ans, pour travailler dans une bijouterie de luxe à Metz. « Oui, j’étais triste, j’avais tellement de colère renfrognée en moi. J’ai ressenti de l’injustice. Mais j’ai remis ma sidération du moment à plus tard. Je me disais que, si j’avais mon examen, je pourrai rentrer en fac de philo. J’aurais mon appartement et mes bourses universitaires », explique-t-elle.
Pour manger, Julie se met à voler. Cette dernière n’a pas non plus la possibilité de se laver et opte pour des lingettes de bébé. Julie vit deux semaines, dans la rue.
Elle appelle ensuite son père Hugues, qui la dépanne et lui paye une chambre d’hôtel de six mètres carrés, pendant un mois seulement. Hugues, ardennais de naissance était gendarme. Il a ensuite travaillé dans une usine d’automobile. En 2001-2002, il divorce de Samia, qui le met lui aussi à la porte. Pour Hugues, tout dégringole. A cette époque, celui-ci est licencié et ne reçoit pas d’indemnité de son entreprise, qui est en procès. Durant un mois, il vit dans sa voiture, avant de prendre un appartement en cité. Il est à court de garanties financières. Ce dernier ne prend plus la peine de retrouver un logement et vit dans un squat avec des amis.
Les services sociaux viennent ensuite à la rescousse de Julie, en lui attribuant un logement proche du lycée. Un ancien squat dans lequel son lit abrite des seringues et où l’on trouve des bouts de viande dans la douche.
A la fin de l’année scolaire, Julie valide son bac STG, mention assez bien. Elle commence sa rentrée en fac de philosophie, sur le campus du Saulcy, à Metz. Mais Julie abandonne cette licence en cours de route pour se réorienter en art du spectacle. Finalement, elle ne poursuit pas de cursus universitaire.
Se reconstruire hors des ruines
Plus tard, Julie fait la rencontre de Stella et se rend compte qu’elle est amoureuse de celle-ci et qu’elle a envie de faire sa vie avec celle-ci. Ensemble, elles élèvent leurs fils Raphael, qui verra le jour le 6 août 2015. En 2019, cette dernière divorce de Stella et part vivre à Amnéville avec son fils. Là-bas, elle est employée comme animatrice et encadrante scolaire dans une école maternelle. Trois ans plus tard, Julie revient vivre à Metz et continue sa profession d’animatrice dans trois écoles maternelles. Aujourd’hui, elle a changé de métier et est accompagnante d’élèves en situation de handicap à l’école primaire des Hauts de Vallières, à Vallières.
Julie, la « super-héroïne de la nuit » ?
Le fils de Julie lui demande si elle a « vu beaucoup de gens, si le peu de monde [qu’elle] a vu étaient contents d’avoir un café ou une soupe », précise-t-elle. Elle n’ose pas emmener son fils, encore trop jeune, en maraude. Les maraudes, c’est « psychologiquement éprouvant », ajoute-t-elle. Pour l’heure, Raphael n’est pas au courant de ce que sa mère a vécu. Celui-ci voit la voit tous les lundi soirs partir marauder et l’a surnommée le « super héros de la nuit ». Mais pour Julie, cette mission n’a rien d’exceptionnelle, elle se sent comme « tout ce que les gens devraient faire ».
« Ancrer », un beau message de résilience
Entre un métier prenant, des activités associatives éprouvantes, un fils à élever, Julie trouve le temps d’écrire un livre. Elle l’a commencé en mars dernier, encouragée par Anthony, son compagnon avec qui elle vit actuellement.
« Ancrer ». Un titre qui tient en un mot et qui a été déjà trouvé en 2014, de manière spontanée, lorsqu’elle était dans un bar avec des amis à Angers. Un verbe qui fait écho à un ressenti permanent : celui de ne jamais se sentir réellement ancrée quelque part. Un ouvrage de vingt chapitres qui retrace ce qu’elle a vécu depuis son enfance baigné dans un contexte familial compliqué, son expérience à la rue et sa vie actuelle.
A travers ses écrits, Julie souhaite faire passer « un message de résilience ». L’objectif c’est « d’aider des gens et de leurs montrer qu’il est possible de se relever [de son expérience à la rue et de l’environnement familial dysfonctionnel dans lequel Julie vivait]. Tout le monde peut le faire. J’ai pu le faire, et pourtant, je suis une personne lambda », ajoute-t-elle. Pour l’instant, Julie est en train d’écrire le septième chapitre et ne se fixe pas de dates butoirs pour le terminer.
Accompagnante d’élèves en situation de handicap le jour, « super-héroïne de la rue » de 18h à 20h le lundi, Julie ne quitte jamais réellement son costume de maraudeuse. Une mission qui fait bien plus que de lui coller à la peau : elle est ancrée en elle.
Marie Luthringer