En 2005, Kamel Belkadi est condamné pour l’incendie volontaire de l’usine Daewoo-Orion à Mont Saint Martin survenu le 23 janvier 2003. Malgré tout, il continue de clamer son innocence. Sept ans après le crime, certaines zones d’ombre demeurent.



 

Dès le début de l’affaire, les enquêteurs retiennent la piste d’un salarié qui aurait « pété les plombs ». 23 janvier 2003, alors que les ouvriers de l’usine Daewoo-Orion de Mont Saint Martin sont en grève depuis quelques semaines pour sauver leur emploi, un incendie volontaire ravage l’usine qu’ils occupent.

Aujourd’hui encore, l’affaire Daewoo suscite de violentes réactions au sein des anciens salariés. Beaucoup restent persuadés que Kamel a été condamné à tort. C’est le cas d’Albert Falcetta, syndicaliste CGT qui a suivi l’affaire de près : « Lorsqu’on regarde les éléments de l’affaire, on se rend compte qu’il y a beaucoup d’invraisemblances et de contradictions. L’enquête devait aboutir rapidement et il fallait trouver un coupable, et vite ».

Lors de la garde à vue, l’un des quatre salariés mis en examen, accuse Kamel d’être l’auteur de l’incendie. Ce témoin va pourtant se contredire à plusieurs reprises devant la cour. Il prétend que Kamel l’a menacé pour qu’il donne la même version que lui, mais reste incapable de dire quelle était cette version. Il affirme également que ce dernier est passé avec un engin de manœuvre par une porte rouge avant de mettre le feu, alors que trois autres témoins affirment que cette porte était bloquée depuis plusieurs semaines et qu’elle ne permettait pas le passage d’un tel engin. Ces témoignages ne sont pas pris en compte par l’accusation. Le Procureur reste inflexible, encore aujourd’hui : « M. Belkadi a été mis en cause par une des personnes avec qui il a agi. Même s’il y avait un certain bazar qui régnait à cause de la grève, certains éléments formels ont prouvé sa culpabilité ».

Me Behr, l’avocat de Kamel Belkadi démontrera que les extincteurs ont été vidés, l’alarme ne s’est pas déclenchée et les lances à incendie n’avaient plus de pression. Les sprinklers, censés se déclencher en cas de flammes n’ont pas fonctionné à l’endroit ou le feu s’est déclaré, ils ont pourtant fonctionné aux autres endroits.

Certaines incohérences demeurent en ce qui concerne le moment durant lequel l’accusé aurait pu commettre le crime. L’unique témoin à charge a affirmé que Kamel serait sorti à 20h du poste de garde où il jouait aux cartes avec ses amis. Il serait revenu à 20h15 pour demander un briquet au témoin pour repartir ensuite. Durant ce laps de temps il aurait réchauffé son repas, récupéré un engin élévateur pour manipuler les palettes qui lui auraient servi à déclencher le feu. A 20h20, des témoins affirment que les palettes ayant servi de départ au feu n’étaient pas encore en place. Six d’entre eux attesteront la présence de Kamel au poste de garde à partir de 20h15. Selon Me Behr, cette chronologie ne tient pas : « Ces allées et venues se seraient déroulées en seulement quinze minutes, c’est impossible. Il a été accusé d’avoir mis le feu à 20h35, or, vers 20h39, les premiers témoins de l’incendie ont dit avoir vu des flammes de plus de six mètres de hauteur. Les experts ont été formels, il faut au moins cinq minutes pour que les flammes atteignent cette taille ».


« Suivez la Mégane grise »

 

Selon la CGT, un autre élément prête à confusion. Deux témoins ont affirmé avoir vu une Mégane grise démarrer en trombe sur le parking de l’usine, peu de temps après le début de l’incendie. Mais ces témoignages divergent ensuite. Certains affirment avoir vu un ouvrier de l’usine au volant alors qu’il n’était pas censé travailler ce jour là. Un autre témoignage, parle de deux femmes qui auraient fini de travailler tard. Pourtant, la production avait été arrêtée et l’usine était occupée uniquement par les grévistes. « Cette thèse est irrecevable. A l’époque, il y avait toujours beaucoup d’allers et venues dans l’usine, y compris de personnes extérieures au personnel. Les caméras de vidéosurveillance ne fonctionnaient plus. Mais il y avait beaucoup de monde. Donc il me parait difficile d’imaginer que quelqu’un se serait introduit sans être vu pour agir. De plus aucune plaque d’immatriculation n’a été relevée. A partir de là nous ne pouvons rien faire » nous a précisé le procureur.

 

Une affaire politique ?

 

Pendant le conflit, certains salariés découvrent des fichiers laissant apparaître que des comptes ont été ouverts au nom des salariés de l’entreprise dans des banques à Anvers et au Luxembourg, sans que ces derniers en aient été informés. Après coup, il ne reste aucune trace de l’argent versé. Cette thèse défendue par la CGT reste pourtant sans preuve. Les salariés se défendent en expliquant que naïvement ils ont noté ces informations sur des feuilles volantes. Le lendemain, les ordinateurs avaient été enlevés par la direction. Il ne reste donc aucun élément matériel pour corroborer ces allégations.

 

. Les comptes de l’entreprise sont saisis : l’entreprise ne payait plus ses cotisations à l’URSAF depuis 18 mois. Les salaires risquent de ne plus être assurés. Commence alors les négociations pour empêcher la fermeture de l’usine et obtenir un plan social. Cet incendie mettra fin à quatre semaines de conflit. Yves Meloni, délégué CGT pense que le crime aurait profité à l’entreprise : « Avec la destruction des locaux, les salariés ont perdu leur trésor de guerre, les tubes cathodiques qui devaient servir de garantie dans le cadre des négociations sociales. Ils n’avaient plus de moyen de pression auprès de l’entreprise et des pouvoir publics et cela mettait fin à l’occupation de l’usine. Il est certain que personne, et surtout pas Kamel Belkadi n’aurait trouvé un quelconque intérêt à voir partir l’usine en fumée ». Selon le syndicat, l’incendie aurait précipité la liquidation judiciaire, permettant à Daewoo de faire l’économie d’un plan social. La direction a fait déménager toute la comptabilité le matin même de l’incendie et a renvoyé les ouvriers sensés travailler de 14h à 22h. Quant aux cadres censés rester présents, ils étaient introuvables lors du départ du feu. Les gardes avaient reçu l’ordre de ne plus faire de ronde à l’intérieur de l’usine et le nombre de gardien avait été réduit. Autant d’éléments qui n’ont pas été pris en compte lors du procès.

Le Procureur en charge de l’affaire, M. Mirat, réfute cette thèse qu’il juge rocambolesque : « Nous ne sommes pas dans un roman d’Agatha Christie, il y a des faits et il y a des preuves. Aucun des éléments portés au dossier ne confirment la culpabilité éventuelle de la société. Cela a été nourri par le contexte, c’était l’époque des patrons voyous ». Daewoo avait arrêté de payer son assurance. Selon le procureur, l’entreprise n’avait donc aucun intérêt à mettre le feu à l’usine puisque qu’il lui aurait été impossible de récupérer l’argent de cette assurance.

 

Actuellement, Kamel Belkadi est toujours déclaré coupable mais son avocat a porté l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il clame toujours son innocence et tente de se reconstruire et d’oublier la prison. En revanche, le Procureur en charge de l’affaire reste sur sa position : « A l’époque où l’affaire est passée en jugement, et encore aujourd’hui, je reste persuadé de la culpabilité de Kamel Belkadi même s’il sera toujours soutenu malgré sa condamnation pour des raisons idéologiques. Il y a des preuves irréfutables apportées au dossier ».