« Ont-ils l’intention d’arrêter l’accueil des migrants ? Certainement pas ! On sait pourtant avec certitude que plusieurs des terroristes sont entrés dans l’espace Schengen avec les migrants » a vociféré Marine Le Pen lors de son meeting à Hayange, devant 700 militants, le 25 novembre 2015. Suite au premier tour des élections régionales du dimanche 6 décembre, le Front National est arrivé en tête dans 6 grandes régions. En cas de victoire au second tour, la ligne politique du parti est claire : les élus supprimeront toutes les aides aux réfugiés et aux associations humanitaires les soutenant dès janvier 2016. L’extrême-droite justifie sa ligne en dénonçant la présence de terroristes parmi les réfugiés.
« La première des urgences c’est de tout faire pour arrêter l’afflux des migrants dans nos régions » renchérissait Florian Philippot. Avant de poursuivre : « Ils sont en train de les repartir dans nos villes et nos villages sans nous demander notre avis ». Le vice-président ne cache pas ses objectifs en cas de victoire au second tour en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine. « Ma première mesure en janvier, si nous sommes élus, sera d’annuler les subventions régionales à l’accueil des migrants. 200 000 euros par an ». Les associations humanitaires sont également dans la ligne de mire du Front National.
Calais: « Je supprimerai toutes les subventions aux associations qui viennent en aide aux migrants » #BourdinDirect pic.twitter.com/DZy9uW11UF
— RMC (@RMCinfo) 10 Décembre 2015
Le Front National et les réfugiés syriens, « une large et manifeste hypocrisie »
La question des réfugiés syriens, Raphaël Pitti la connait. Ce conseiller municipal délégué aux urgences sociales humanitaires et sanitaires à la mairie de Metz est également professeur de médecine d’urgence et de catastrophe. Depuis 3ans, il forme sur place les soignants syriens à la médecine de guerre. À Metz, il a créé l’association Comsyr (Comité d’Aide humanitaire au Peuple syrien) pour venir en aide aux réfugiés. Les annonces du Front National ne sont pour lui que de la poudre aux yeux : « Nous ne recevons pratiquement pas d’aide, les aides que Comsyr parvient à obtenir proviennent des collectes que nous faisons et des dons que nous recevons. Il y a très peu d’aide sur le plan national. Il est vrai que nous avons reçu de l’argent non pas pour les migrants mais pour le centre de formation qui existe en Syrie. La cellule de crise des affaires étrangères nous avait donné 250 000 euros qui nous ont permis de structurer ce centre pour former des soignants. Aujourd’hui nous avons formé plus de 4000 personnes en Syrie ».
Pour le docteur Pitti, ces formations sont importantes en Syrie à cause de la fuite des élites du pays. Les chirurgiens, médecins, spécialistes, sages-femmes, gynécologues ont pour la plupart quitté les zones de guerre. La situation sanitaire est catastrophique et des aides locales sont nécessaires. Sa vision du Front National est simple, pour lui ce parti est un non-sens : « Mr Philippot pourra prendre ce qu’il voudra comme mesure, de toute façon il n’y a pas d’argent qui est véritablement donné dans la région. Cet égoïsme est insupportable. On peut difficilement s’appuyer sur les valeurs chrétiennes qui sont celles de notre pays et les mettre en avant pour exclure les musulmans alors que ces valeurs sont le partage, l’accueil, la compassion et la charité. C’est inacceptable et c’est une large et manifeste hypocrisie ».
Des solutions possibles sur place pour limiter l’afflux des réfugiés syriens
Raphaël Pitti le rappelle, le véritable problème n’est pas d’accueillir les réfugiés syriens comme le souligne le Front National mais de gérer la situation sur place. « Les solutions humanitaires proposées à l’ONU ont été refusées par la Russie et la Chine. Les solutions humanitaire eurent été de créer une zone de non survol aérien pour protéger ces populations et leur permettre de rester en Syrie. D’autoriser les ONG à venir dans ces zones non contrôlées par le régime pour assister ces populations. Des corridors humanitaires auraient permis d’assurer l’approvisionnement ». Le médecin explique que ces dispositifs sont aujourd’hui impossibles car la Russie bombarde les postes aux frontières où passe l’aide humanitaire. Tel est le prix pour maintenir Bachar El Assad en place. Côté FN, Marine Le Pen déclarait lors de son meeting à Hayange qu’il fallait faire de la Russie un allié contre l’État Islamique. Pour Raphaël Pitti, la résolution du problème viendra en sécurisant des zones sur place, en collaboration avec les pays frontaliers comme la Turquie. « La France veut participer aux bombardements des zones contrôlés par Daech. Est-ce la seule réponse à avoir par rapport aux populations civiles qui s’y trouvent ? Il faut aussi des actions humanitaires ». À l’heure ou les relations entre la Russie et la Turquie sont troublées par la récente destruction d’un avion russe par les forces turques, la coalition internationale continue de s’embourber dans la guerre contre Daech.
Raphaël Pitti dans un camp de réfugiés en Syrie (photo Comsyr) :
Le danger du terrorisme lié à l’accueil des réfugiés syriens
François-Bernard Huyghe est docteur d’État en Sciences Politique et est directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Pour lui, Daech a mis à exécution ses menaces : « Il est probable que les terroristes s’infiltrent à certaines étapes du parcours et se fondent dans la masse. Ils peuvent voler des affaires et des passeports syriens sur des cadavres ». Daech peut ainsi s’infiltrer dans les pays occidentaux. François-Bernard Huyghe fait le lien avec la Seconde Guerre mondiale où des espions allemands se faufilaient dans la masse des réfugiés d’Europe continentale pour infiltrer les États-Unis ou le Royaume-Uni. « Pour les détecter, il faudrait vérifier la légende (ndlr : le passif) de chaque réfugié, vérifier si la personne peut répondre à des questions personnelles la concernant. Le problème c’est que nous n’avons pas les moyens de placer un analyste devant chaque réfugié. Certaines ONG constatent que des personnes louches se glissent dans les flots de réfugiés comme certains syriens qui au final ne parlent pas l’arabe ». « Il est difficile de vérifier le passif des réfugiés » explique le chercheur car « les données deviennent parcellaires avec le chaos que connait la Syrie ». Concernant les propositions du FN, François-Bernard Huyghe prend de la distance : « Daech recherche la radicalisation du conflit. Plus il y a d’islamophobie et plus l’État Islamique se frotte les mains ».
Adrien Farese
Uranie Tosic