La proposition faite par François Hollande, le 23 décembre 2015, d’étendre la déchéance de nationalité aux terroristes plurinationaux nés en France fait l’effet d’une bombe. Le débat sur cette disposition fait rage dans le paysage politique. À tour de rôle, gauche et droite critiquent ce projet de réforme constitutionnelle qui sera discuté à l’Assemblée nationale à partir du 3 février 2016. Le président de la République défend tant bien que mal son pré carré, tout en semblant davantage donner un coup d’épée dans l’eau que d’agir efficacement contre le terrorisme.
Un président à contre-courant…
Trois jours après les attentats du 13 novembre 2015, le président de la République fait part devant le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, de son choix d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français ayant commis des actes terroristes. C’est un électrochoc. Surprise et colère enivrent la gauche. En voulant inscrire ce projet de loi dans la Constitution, le président « du changement » reprend une mesure de droite déjà défendue par Nicolas Sarkozy cinq ans plus tôt. Sur fond de tensions identitaires et après la montée en puissance du Front national au premier tour des élections régionales, la famille politique du chef de l’État ne comprend pas ce changement de cap. Une majorité du Parti socialiste qualifie cette mesure « d’abstraite » et « d’inutile ». Christiane Taubira, Martine Aubry, Anne Hidalgo ou encore Jean-Christophe Cambadélis se sont manifestés contre l’extension de la déchéance de nationalité. Même le Premier ministre, aujourd’hui compagnon de route du président dans cette aventure, avait dénoncé une « gauche qui s’égare ». La pagaille est semée. La gauche grince des dents et la droite n’adhère pas non plus à l’unisson. Mais la proposition a été maintenue dans le projet de loi constitutionnelle sur « la protection de la nation ». Autant dire que pour François Hollande, la galère c’est maintenant ! Car pour que cette loi soit adoptée, elle doit être approuvée au préalable par les trois cinquièmes des parlementaires (députés et sénateurs).
Manuel Valls soutient qu’il s’agit davantage d’un « acte symbolique que d’une lutte contre le terrorisme ». Mais en quoi cet acte symbolique entraverait-il la survenue d’autres attentats ? Quel terroriste se raisonnerait pour ne pas mourir en martyr sous peine de perdre sa nationalité ? L’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux français s’avère sans vertu dissuasive. Au regard de la loi, deux catégories de citoyens se dessinent déjà : ceux qui obtiennent la nationalité française de naissance (droit du sang) et ceux qui l’acquièrent selon des critères spécifiques (droit du sol). La déchéance de nationalité existe depuis l’abolition de l’esclavage en France, et depuis 1996 pour les binationaux naturalisés depuis moins de quinze ans et ayant commis un acte terroriste. Selon l’article 25 du Code civil, les Français de naissance ne peuvent pas être déchus de leur nationalité. Pour se voir retirer sa nationalité, il faut l’avoir acquise sous des conditions précises. Si cette loi est votée, au delà de son inefficacité, elle pourrait engendrer le risque de diviser la France : cette mesure sous-entendrait l’idée selon laquelle il y aurait des Français moins français que d’autres. Cela relancerait le débat houleux sur la question identitaire : qu’est ce qu’être un bon Français ? Le président s’avance sur un terrain miné. Cette disposition exclurait plus qu’elle n’inclurait, or la France a aujourd’hui besoin d’affirmer sa cohésion.
… qui met Marianne à la trappe
La proposition défendue par François Hollande, bien qu’à l’opposé des convictions de gauche, touche surtout aux principes fondateurs de la République. Si ce projet de loi est adopté, il y aurait donc deux sortes de nationalités. La République serait divisible et non plus « indivisible », comme le stipule l’article 1 de la Constitution de 1958 : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Avec l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux français, le président de la République s’attaque avec ambition et irresponsabilité au concept fondamental qu’est celui de la nationalité. En plus de s’embourber dans des difficultés politiques, François Hollande se heurtera aux conventions internationales. Car la France ne peut pas produire d’apatride, sans avoir déchu un sujet au préalable. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 déclare ainsi dans l’article 15 que « tout individu a droit à une nationalité », et la convention du Conseil de l’Europe sur la nationalité de 1997 vise à « empêcher l’apparition de cas d’apatridie ». Seule la déchéance de nationalité permet l’expulsion d’un citoyen français. Suite aux attentats de 2015, « la loi sur la déchéance de nationalité n’est plus assez efficace » selon François Hollande, « elle doit donc être renforcée ».
Mais ce que le président semble ignorer, c’est que déchoir un terroriste de sa nationalité n’est pas évident. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) peut refuser la décision de renvoyer un terroriste vers son pays d’origine. Il encourrait le risque d’y être mal traité. Or, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Ce qui peut être incontestablement le cas si des Français binationaux accusés de terrorisme se voient obligés de retourner en Syrie, par exemple. Et même si l’auteur du crime est déchu puis expulsé, une des questions principales reste : le pays d’origine accepterait-il d’accueillir un lot de criminels ? Peut-être le président de la République a-t-il pensé à créer un pays spécial pour les terroristes, une sorte d’État islamique à la française ? Si le gouvernement et François Hollande se trouvent dans une impasse quant à la question de l’extension de la déchéance de nationalité, ils ne cèdent pas pour autant sur la mesure d’état d’urgence, qui devrait bientôt être intégrée à la Constitution.