Plus que jamais, la chaîne Nolife est en danger. Après cinq ans de difficultés financières chroniques, cette télévision spécialisée a annoncé arrêter d’émettre pour la fin d’année. La conclusion annoncée d’un modèle économique balbutiant, se reposant fortement sur les contributions des fans – une extension du crowdfunding, mêlé à beaucoup de débrouillardise et d’abnégation.
Qu’est-ce qui provoque cette fidélité chez les spectateurs de Nolife ? Sa thématique : elle vise tous les fans de jeux vidéo et de culture pop japonaise. Créé le premier juin 2007, cette chaîne musicale est destinée à une cible qui n’attend que des programmes de ce genre, déjà fédérée par des médias spécialisée dont la chaîne Game One. La réputation de cette dernière, toujours active en 2015, est alors depuis plusieurs années ternie par une collusion avérée avec Infogrammes, éditeur de jeux vidéo. Nolife fait preuve de fraîcheur avec ses animateurs passionnés et sa ligne éditoriale transparente, mais la chaîne accumule les trous financiers et est sauvée une première fois par un investissement de la société Ankama. En 2009, elle lance un service de vidéo à la demande qui fait office d’appel aux dons, appel répété à maintes reprises jusqu’à aujourd’hui. La chaîne vit au gré des quelques espoirs fournis par les revenus publicitaires, fluctuants. En effet, Nolife n’est inscrite qu’aux offres de bouquets Internet comme Orange et Free. « On aurait du intégrer la TNT quand on avait l’occasion », regrette le président de la chaîne, Sébastien Ruchet. Les spectateurs sont contrits ; la chaîne et ses acteurs entretiennent une relation privilégiée avec ses proches, de conventions en conventions où on peut régulièrement les alpaguer entre deux T-Shirts.
Paradoxalement, le futur Game Over de Nolife est dû à une évolution. Au commencement était le hertzien, puis apparaît le modèle payant, avec les boxs, le câble ou le satellite. Les opérateurs soutiennent financièrement les chaînes parce qu’ils veulent acquérir de nouveaux abonnés.
Sébastien Ruchet explique :
« Ce n’est pas vraiment le cas sur le câble et l’ADSL. Faire de l’audiovisuel est assez couteux, à notre échelle on a tous plusieurs casquettes. C’est très difficile et nous sommes soumis aux fluctuations du marché publicitaire, avec des audiences stables. C’est la crise, des annonceurs se désengagent pour se concentrer uniquement sur la TNT. L’arrivée de chaînes gratuites à renforcé la position de cette plateforme de distribution. Ici, les chaînes thématiques sont en train d’être asséchées en publicité. La plupart des chaînes appartiennent à de grands groupes en train d’être épongées, qui fusionneront… mais pas de porte de sortie pour les indépendants. Pas de porte de sortie et c’est difficile. »
Sébastien Ruchet a donc fondé une plate-forme de VOD au contenu qui ne se limite pas au programme de la chaîne. Sur Noco, on peut trouver des dessins animés japonais, « plus de 10.000 émissions, une HD de haute qualité, une interface moderne ». Un biais qui permet à tout un chacun de soutenir financièrement la chaîne. Mais cette dernière accumule les bricolage : optimiser les postes, arrêter certaines émissions, faire eux-mêmes la logistique et les serveurs. Les fêtes de fin d’année redonnent de l’espoir mais des dégradations massives du nombre d’abonnés en 2014 et 2015, ainsi qu’une chute du chiffre d’affaire publicitaire achève la chaîne. « Le début d’année est très maigre mais on vit au mois le mois. On a jamais vécu avec une trésorerie qui permettrais d’amortir les aléas, imprévisibles à gérer. », explique Sébastien Ruchet.
Le personnel est désabusé sur la situation du PAF. La même vision revient toujours : la télé n’est pas un monde de tendres, où on encourage la création et le contenu mais pas les chaînes elles-même. Les débuts de la chaîne en 2007, en plein carrefour technologique, compétitif et abordable est bien loin. Les jeunes regardent bien plus de vidéos sur Internet que la télévision et aucune étude sur le sujet n’est financée. De nouveaux acteurs apparaissent, dont Netflix, son optimisation fiscale, et sa nouvelle chronologie des médias. Le cabinet d’études Deloitte minimise tout de même l’impact des services de streaming sur la télévision payante. Comme manœuvre de dernier recours, Sébastien Ruchet mise ses derniers deniers sur Molotov, la future plate-forme de Pierre Lescure. « Une manière de faire qui propose de s’abonner à des émissions, de pouvoir les revoir, ça se passe dans la manière de présenter les choses. C’est un accès plus façile aux émissions. La coexistence avec Netflix me semble possible. »
Mais quand on lui demande comment est la situation aujourd’hui, Sébastien Ruchet a du mal à cacher son pessimisme. « Difficile », répond-il. Pour lui, la télé restera au milieu du salon, mais se verra fournie de plus en plus de compléments. « Il faut aller regarder dans les milieux en ébullition où les solutions techniques sont déjà en place, par des gens qui sont peut être en train de révolutionner le monde sans le savoir. C’est au niveau des mesures et de la connaissance du public où il va y avoir des choses à changer. » Il conclut avec un clin d’oeil destiné aux médias à la Buzzfeed : « Un abonnement, c’est une conviction profonde, basé sur du respect et de l’amour. Par sur du volume. » C’est donc le volume qui a tué Nolife.