Les Artilleurs de Metz, formation fraîchement promue en D3, entends poursuivre sur sa lancée. Tom, l’un des « anciens » du groupe, incarne l’amour du beau jeu et l’allégeance au club, des valeurs chères aux yeux du Messin.
Crâne rasé, chaînette autour du cou et carrure proche du quadrilatère, Thomas est le running back des Artilleurs de Metz, le club de football américain de la ville. Décrit comme franc parleur et bon causeur, il entame sa cinquième année dans les rangs de l’armada.
« La NFL ? Je ne regarde pas de match les week-ends. C’est un sport de valeurs, esprit auquel je m’identifie plus chez les Artilleurs. Si je ne trouvais pas ça ici, je serais parti depuis longtemps ».
Son club fétiche ? Il n’en a qu’un : les Packers de Green Bay, la plus vieille équipe du championnat américain, fondée un an avant la National Football League (NFL) dans laquelle elle évolue toujours. L’une des seules franchises dont le club appartient encore aux supporters et où le terrain est encore en gazon organique. Une histoire de symboles donc.
Sportif incurable, Tom a connu pas mal de clubs. D’abord handballeur pendant de nombreuses années, il stoppe sa carrière pour le football américain à l’âge de 27 ans. Conscient de ses lacunes pour intégrer le niveau professionnel, le club ne lui convenait plus. « L’ambiance n’était plus là, ça se tirait dans les pattes. Certains de mes potes sont partis, je ne me sentais plus à ma place. »
Plus jeune, vissé à la télé de ses grands-parents devant les matchs de NFL, il savait qu’un jour il enfilerait à son tour un casque et des épaulières. « Quand j’ai commencé, je voulais jouer en défense. J’en avais rien à faire de la balle, moi ce que je voulais, c’était choper le quaterback ! »
Pour étancher sa soif de contact, le coach positionne Tom à plusieurs postes : linebacker, defensive lineman, offensive tackle, tight end. Aujourd’hui reconduit dans un rôle offensif en tant que running back, il explique le choix de son entraîneur : « On m’a proposé le poste car je suis quelqu’un d’agressif… dans le jeu » précise-t-il avec un sourire.
-Les joueurs appelés Running backs se placent derrière la ligne offensive. Coureurs vifs, et agiles, ils reçoivent le ballon du quaterback pour exécuter un jeu de course vers l’avant. Le joueur est autorisé d’utiliser un, deux, ou trois coureurs (voire aucun en situation de empty backfield) pour repousser les joueurs adverses et ainsi lui faciliter le passage.–
Car oui, il ne faut pas s’y méprendre, c’est avant tout un jeu de stratégie, le nerf de la guerre selon l’Artilleur : « Quand tu commences à creuser, tu te rends compte que c’est un jeu d’échec et pas seulement un sport de gros bourrins. Quand tu commences à gratter avec des analyses vidéos, ça devient passionnant !». La tactique et les relations qu’il tisse avec le reste de l’équipe constituent les pierres angulaires de son bien-être au club. Évoluant parmi des profils sociaux, générationnels et ethniques disparates, il apprécie l’alchimie du groupe. Le running back se décrit lui-même comme une grande gueule « pour les bonnes raisons. » « Ça ne me gêne pas de perdre, mais il y a des conditions de défaite. Perdre en sachant qu’il ne s’est rien passé, ça me frustre. »
Tom se souvient d’un match référence contre leur bête noire de l’époque, les Steelers de Dudelange, en premier tour des play-offs. « Tu voyais que toute la semaine on s’était entraîné au diapason. Le match commençait à 14h, à 10h30 on était tous sur le terrain pour répéter les gestes. » Preuve de cohésion et de détermination exemplaire, la rencontre se solde par une large victoire des Messins. « On leur a roulé dessus, notre mental les a fatigué. »
La passion et l’amour du club comme lignes directrices. Les clubs amateurs de football américain vivotent. En manque de reconnaissance, ils se contentent de ce qu’on leur propose. Ce soir d’entraînement, les artilleurs partagent la pelouse du Stade Yacine Cherradi (non loin de la Foire Expo) avec un club de football (ou plutôt soccer) local. Tom part s’équiper dans le conteneur à l’écart du terrain qui leur sert de local « Voilà, je te présente le club des Artilleurs. »
Peu démocratisé en France, le football américain peine à se rependre. Sport très centralisé à Paris, les clubs de provinces ne peuvent rivaliser avec les équipes de la Capitale. En manque de moyens, d’effectifs, d’infrastructures et de visibilité pour sûr, mais pas de motivation.
Pianotant sur un digicode récalcitrant, la porte finie par s’ouvrir. « Tu peux me prêter ton portable pour éclairer s’il te plaît, la lumière ne marche pas. » A la recherche d’une paire d’épaulières, Tom choisit une taille inférieure, pour gagner en liberté de mouvement.
De retour aux vestiaires, « Je vais juste avoir besoin de toi pour passer le maillot par-dessus les épaulières. » Alors en pleine anecdote, il s’interrompt « ah ouais ça va jamais tenir » en regardant le flanc de sa chaussure droite. « Parce qu’en fait lundi, un joueur m’a coupé la cheville dans un gros choc. Il m’a sectionné la chaussure avec ses crampons. J’ai failli aller à l’hôpital en urgence, bref je vais devoir changer de pompes…»
Son implication va au-delà des barrières du stade. Des séances à la salle et pas mal de cardio. Il se reprend vite en évoquant sa vie familiale. « Je ne veux pas que mes enfants m’appellent monsieur ». Consacrer du temps à sa femme et ses deux enfants est une priorité. Ironiquement, sa moitié ne partage pas sa passion pour le ballon ovale. « Elle ne vient pas me voir jouer, elle a peur pour moi, heureusement je touche du bois, je n’ai jamais rencontré de grosse blessure, ni de commotion ».
Il arbore symboliquement les initiales de ses rejetons, R et L, tatouées sur le dos de son auriculaire et de son majeur. L’annulaire est réservé à sa numérologie mêlée à celle de sa femme, un 7 et un 2.
Il voue maintenant ses capacités physiques au club. « À 35 ans, j’ai passé l’âge d’avoir des rêves. En termes d’objectifs pour le football, c’est d’apporter le plus que je peux à mon niveau. Le rêve c’est d’amener le club le plus loin possible ».
En retrouvant le terrain juste après l’interview, il est accueilli par ses coéquipiers moqueurs. « Ah la star est revenue ! » « Ça y est on me vanne déjà ! » rétorque-t-il.
Antonin UTZ