Devenu un véritable phénomène depuis quelques années, le cosplay est souvent connoté comme un loisir puéril. Et s’il suffisait de rencontrer ses pratiquants pour changer d’avis ?
Bâillements, étirements, regards sur un paysage embrumé qui défile par la fenêtre. Nous sommes le 24 novembre, nos téléphones indiquent 9h. Il en faut beaucoup pour réussir à réveiller des étudiants en journalisme aussi tôt un samedi. Mais voilà : cela fait déjà 20 minutes que nous sommes coincés sur des strapontins au milieu du TER qui relie Metz à Nancy, les genoux encombrés par du matériel audiovisuel. En face de nous, un jeune homme porte un costume une-pièce de panda. À notre droite, un groupe de filles aux cheveux de couleurs vives affublées de serres-têtes lapins. Plus loin, Pikachu se dirige vers les toilettes.
Un touriste pourrait vite être dérouté. De notre côté, nous savons pertinemment ce que signifie cette étrange transhumance. Embarqués par le flux à la sortie du train, nous nous retrouvons rapidement devant une foule qui patiente devant les portes du centre des Congrès. Un panneau lumineux attire l’œil. On peut y lire « Anim’ Est 2018″. C’est confirmé, nous sommes au bon endroit.
Joséphine, Princesse Célestia
Un passage par l’entrée VIP plus tard, les badges fièrement épinglés sur nos vestes, nous profitons de quelques minutes de répit pour repérer les lieux. Sur quatre étages, la convention tente de couvrir tous les aspects de la culture japonaise. Un espace jeux vidéo côtoie un hall où vendeurs de peluches et de mangas se font la guerre en diffusant à haut volume de la j-pop. Au dessus, des joueurs de Mahjong déplacent leurs pions dans les odeurs de pâtisserie du Maid Café. Dans les amphithéâtres s’enchaînent conférences, concerts et rencontres.
Rapidement, nous réalisons qu’il devient compliqué de se déplacer dans les allées de la convention. Certains costumes sont particulièrement encombrants et les cosplayers n’hésitent pas à s’arrêter en plein milieu pour des photos. C’est ainsi, qu’au détour d’un stand, nous tombons sur Joséphine.
Il faut dire qu’on peut difficilement passer à côté de son costume représentant le personnage de Princesse Célestia dans My Little Pony. Gérante de l’atelier Little Taylor Cat, elle est une habituée des conventions : « j’ai fait Jessica Rabbit, la marionnette de Saw, Zelda, … ». Pour montrer son travail, elle n’hésite pas à avaler les kilomètres, de Strasbourg à Épinal en passant par Belfort. Elle avoue que ce qui lui plaît dans le cosplay c’est le fait « de devenir quelque chose [qu’elle n’est] pas tous les jours, d’être un peu magique ».
Alexia, Link
Le plus compliqué pour nous ? Parvenir à choisir le bon interlocuteur. Submergés par les dizaines de cosplayers qui nous entourent, nous avançons, changeons de direction, retournons sur nos pas. Finalement, nous choisissons la facilité en nous dirigeant vers un personnage connu : Link des jeux vidéo Legend of Zelda. C’est Alexia qui porte ce costume. D’une voix fluette mais assurée elle insiste pour dire que dans le cosplay, elle « aime tout, la conception, la peinture, se présenter en convention, faire des photos ». S’il s’agit pour l’instant, du seul qu’elle possède, elle prévoit déjà de s’habiller en Jinx, de League of Legends, pour la Japan Expo. « Là il sera entièrement fait maison avec de la lumière et du son, il y aura tout ! ».
Erwan, Eustass « Captain » Kid
Torse nu, cheveux rouges ébouriffés sur le crâne et un bras métallique pour fendre la foule. Si c’est la sortie inaugurale de ce cosplay, Erwan, 24 ans n’en est pas à sa première convention. Il aime se déplacer jusqu’à Paris pour la Japan Expo, mais ne peut pas y aller tous les ans « parce que c’est loin et surtout c’est cher ». Habitant à Nancy, il profite alors d’Anim Est : « même si c’est assez petit y’a pas mal de monde, on s’amuse bien. Et puis c’est toujours sympa de se faire prendre en photos. » Dans quelques heures, il paradera fièrement sur la grande scène pour le concours de cosplay.
« Je ferai tout pour être vainqueur »
Moment de communion. Il est 17h30, 850 personnes entament, debout, le générique de Pokémon. C’est ce karaoké qui ouvre la première phase du concours. 25 concurrents, dont 22 filles, et une chance de participer au championnat de France à la clé. Les démonstrations, sortes de petites saynètes avec des dialogues et de la musique, s’enchaînent. Quelle que soit leur qualité, chaque candidat est acclamé et applaudi par le public.
Les cosplayers ne s’en vantent jamais, mais vus de l’extérieur, ils semblent faire preuve d’une réelle bienveillance. Tout au fil de la journée, tous discutent avec plaisir, paradent devant notre caméra ou se prêtent au jeu des photos avec les visiteurs. Si cette communauté peut paraître obscure, auto-centrée et excentrique, il faut peu de temps pour se rendre compte qu’elle prône au contraire de véritables valeurs de tolérance et d’ouverture.
Rémy Chanteloup
Propos recueillis avec Quentin Saby
Photo de couverture par Clément Agnes