En Lorraine, le vote RN aux municipales de 2008 est quasiment absent. Pour cause : seulement deux listes s’étaient présentées dans la région. En 2014, le nombre de listes est passé à 15, mais seulement deux candidats sont arrivés en tête à l’issue du premier tour. Il s’agit de Florian Philippot pour la ville de Forbach, et de Fabien Engelmann pour la ville d’Hayange. À l’issue du second tour, seule la mairie d’Hayange a été remportée par un candidat RN.
L’évolution entre les élections municipales de 2008 et 2014 est flagrante. Alors que l’on compte seulement deux listes FN dans toute la Lorraine en 2008 (Bouley-Moselle et Faulquemont), la formation d’extrême droite présente quinze listes en 2014 soit sept fois plus. Entre ces deux dates, Marine Le Pen a en effet réalisé un score historique à l’élection présidentielle (17,90% des voix au niveau national) et entrepris une stratégie de dédiabolisation. C’est dans les Vosges que le pourcentage est le plus élevé (20,21%) et au contraire en Meurthe-et-Moselle qu’il est le plus bas (12,7%). “Les terres ouvrières et les zones rurales de Lorraine sont devenues un terrain où le RN fait un très bon score, juge le politologue Thierry Choffat, spécialiste de l’extrême droite. Les élections municipales qui arrivent risquent d’être difficiles dans les grandes villes pour le RN. Ils vont donc probablement axer sur des villes moyennes et périphériques et des villages”.
Pour les prochaines municipales de 2020, il serait intéressant de connaître le nombre de listes RN présentes dans chaque département. Si un plus grand nombre de villes proposent une liste RN, cela pourrait se traduire par des pourcentages de votes plus élevés. Néanmoins, ces chiffres restent faibles et ne témoignent pas d’une réelle percée de l’extrême droite en Lorraine au niveau local, seule une ville ayant été glanée par le parti de Marine Le Pen.
Des différences avec les élections présidentielles
Pour les présidentielles, c’est une autre histoire. À l’inverse des municipales, un candidat RN était présent dans tous les bureaux de votes. Ce choix pouvait donc se faire dans toutes les communes puisqu’il ne dépendait pas des listes présentées localement. Contrairement au vote local, synonyme d’attachement et de soutien envers une personnalité, le vote national est un vote d’adhésion à un parti. Si nous analysons les résultats par parti des premiers tours des présidentielles de 2012 et de 2017, nous remarquons une augmentation générale du vote RN en Lorraine. Le département le moins tenté par ce vote est la Meurthe-et-Moselle, même si le score du parti passe de 21,17% à 25,86% entre 2012 et 2017. En Lorraine, le vote RN au premier tour des présidentielles passe de 23,66% à 28,90% entre 2012 et 2017, soit une augmentation de cinq points en cinq ans. En 2017, l’extrême droite était donc en tête dans les quatre départements de la région au premier tour, une première. Un vote qui se confirme dans les dix départements du Grand-Est. Marine Le Pen l’a emporté avec des scores dépassant 30% des suffrages dans cinq des dix départements.
Cette différence importante entre vote à l’échelle locale et vote à l’échelle nationale s’explique principalement par le comportement local qui est différent. “Le vote pour les municipales est souvent un vote apolitique et un vote qui est très lié à l’enracinement local”, explique Nonna Mayer, politologue et spécialiste de l’extrême droite. Ainsi, elle oppose le scrutin local et le scrutin national, le premier étant lié à une sorte d’attachement de l’électeur à une figure, une personne qu’il croise quotidiennement. Tandis que le second scrutin reflète plutôt une opinion politique ainsi que des préoccupations nationales. Durant les dernières élections présidentielles, le vote RN au premier tour était surtout encouragé par une division entre les grandes villes et les zones rurales. Une opposition qu’on ne retrouvait pas auparavant dans le paysage politique français. Cette dernière était surtout motivée par “l’idée qu’il n’y en a que pour les grandes villes et que ce sont elles qui ont l’argent, les ressources, les services publics, etc”, détaille Nonna Mayer. Un sentiment d’abandon à l’origine des scores élevés du RN à l’échelle nationale. Thierry Choffat va encore plus loin dans son analyse : “Il n’y a pas seulement un désespoir politique mais aussi social, de société. Les gens qui viennent de la ville veulent retrouver en campagne les mêmes services : Poste, Gendarmerie, accès à Internet, au réseau mobile… La disparition des cafés génèrent aussi moins de lien social. L’électeur se sent loin de tout, se retrouve un peu perdu et a tendance à voter plus facilement pour le RN”.
Afin de mieux comprendre ces habitudes de vote, nous avons comparé ces résultats aux catégories socio-professionnelles telles qu’elles sont définies par l’INSEE(*). Nous avons pris en compte pour chaque commune de la région, la CSP majoritaire, autrement dit la catégorie la plus présente au sein de la population de 15 ans ou plus. Ci-dessous une carte interactive représentant les différentes catégories socio-professionnelles avec, pour chaque commune, la CSP majoritaire en 2014.
En 2014, la catégorie “professions intermédiaires” est majoritaire dans 5,43% des communes, “ouvriers” dans 9,89% et “retraités” dans plus de 71% des villes lorraines. En sélectionnant uniquement les communes de plus de 3 500 habitants, nous remarquons que la catégorie “retraités” est majoritaire dans 90% des cas (contre 76,6% en 2008). Une masse votante non-négligeable.
Les graphiques ci-dessous montrent l’évolution des votes aux élections municipales entre 2008 et 2014 des trois catégories les plus majoritaires de la région : les employés, les retraités et les personnes appartenant à la catégorie “autres” (sans activité professionnelle). Les votes pour le RN sont représentés en bleu marine.
En 2008, les communes avec une majorité d’employés ont voté plus à droite qu’à gauche. À l’inverse, lorsqu’il y a une majorité de retraités dans une ville, les partis politiques en tête sont de gauche. Enfin, deux tiers des communes où les personnes sans activité professionnelle sont majoritaires, ont élu des politiciens de gauche. Aucune liste du Rassemblement National n’est gagnante aux municipales sur les communes de plus de 3 500 habitants cette année-là.
Des disparités selon les CSP
En 2014, les ouvriers élisent davantage des listes de gauche et les retraités des listes de droite. On voit apparaître l’élection des listes du Rassemblement National du côté des retraités et de ceux sans activité professionnelle, qui votent de plus en plus à droite. Passant de 76,6% à 90% entre les deux élections municipales, les retraités sont majoritairement représentés dans la région. La catégorie des personnes sans activité professionnelle est majoritaire dans 7,31% des communes en 2008 et diminue jusqu’à 3,93% en 2014. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, cette catégorie est majoritaire dans 18,54% des cas en 2008 puis seulement 8,06% en 2014. En suivant cette logique, le lien entre la CSP majoritaire et le vote RN semble possible. Une grande partie de la mouvance “vers la droite” des élections et du vote RN de plus en plus important proviendrait de la catégorie des retraités, qui a augmenté en nombre. Au contraire, les personnes sans activité professionnelle, étant moins représentées dans la région, leur vote RN pèse moins. Thierry Choffat note une évolution de l’électorat du RN : “Il a beaucoup évolué car le RN a lui-même évolué depuis quelques années. En 1981, après la défaite de la droite à la Présidentielle et aux Législatives, l’électorat du RN était politiquement plutôt de droite. Et sociologiquement, son terrain de prédilection était plutôt les catégories supérieures (artisans, commerçants, professions libérales). Mais à partir de 1995, il fait une percée chez les demandeurs d’emploi et a désormais une plus grande affluence dans les catégories populaires. Un constat que l’on retrouve aujourd’hui”.
Bien sûr, il est impossible de déduire que “90% des retraités ont voté à 51% pour les listes de droite et d’extrême-droite et 21% pour les listes de gauche” (selon le graphique de 2014 ci-dessus). Il s’agit bien de parler en “masse de votants”, à savoir quelle catégorie a le plus de pouvoir électoral dans chaque commune et qui elle a choisi d’élire. En revanche, l’augmentation impressionnante du nombre de villes à majorité de retraités se traduit par un vieillissement de la population, lui-même accompagné par un glissement électoral vers la droite. Néanmoins, une nuance est à relever. Selon Nonna Meyer, à l’échelle nationale, les personnes âgées voteraient davantage pour la droite plutôt que pour l’extrême droite,“Les personnes âgées se sont détournées du RN et préfèrent voter pour la droite conservatrice parce que le RN était sur une ligne trop anti-européenne, il faisait peur”.
Méthodologie
Nos données sont issues de data.gouv.fr et de l’INSEE.
Pour comprendre l’évolution du vote Rassemblement National en Lorraine, nous nous sommes intéressés aux catégories socio-professionnelles des individus. Nous avons donc utilisés la classification fournie par l’INSEE. Afin que les résultats soient plus représentatifs, nous avons privilégié les catégories majoritairement représentées dans la région.
Pour obtenir ces résultats, nous nous sommes basés sur les élections municipales de 2008 et de 2014 ainsi que les présidentielles de 2012 et 2017. Cela permet de mettre en exergue les listes proposées à l’échelle de chaque ville ainsi que de comparer le comportement sociologique qui s’applique durant l’élection locale et celle nationale. Les votes des municipales sont révélateurs de préoccupations locales tandis que les élections présidentielles illustrent des problématiques nationales.
Les résultats des élections municipales de 2008 n’étant pas disponibles de manière exhaustives que pour les villes de plus de 3 500 habitants, nous avons choisi de nous concentrer sur ces communes. Ce choix a été le même pour les élections municipales de 2014. En ce qui concerne les élections présidentielles de 2012 et de 2017, les données étant plus complètes, nous avons choisi de traiter les résultats de toutes les communes sans distinction du nombre d’habitants.
