Le soir du 7 mai, « l’abstention n’a jamais été aussi haute lors d’un second tour d’élection présidentielle depuis les 31,1% de 1969 ». Ce refus de se rendre aux urnes vient s’ajouter à un nombre important de votes blancs et nuls. Comment traduire cette dénégation à donner sa voix à un candidat ? Est-ce un vote contestataire ?
Phénomène inédit sous la Ve République. La course à la présidence de la République a débuté le 23 novembre 2016 avec le premier tour de la primaire des Républicains. Cette pré-élection présidentielle a vu François Fillon battre à plate couture Alain Juppé, tandis que Benoît Hamon a été élu candidat du Parti Socialiste le 29 janvier. Le calendrier s’est poursuivi avec l’élection présidentielle les 23 avril et 7 mai, et enfin les législatives les 10 et 17 juin.
Cette accumulation d’échéances pour Étienne Criqui, directeur du Centre Européen Universitaire de Nancy et chercheur en droit, a permis « un regain d’abstention », qui est le deuxième phénomène marquant de ces élections de l’année 2017. « Il faut également ajouter que, les partis traditionnels, le Parti socialiste et Les Républicains, ayant été éliminés dès le 1er tour, le second tour aura été encore moins mobilisateur. » Dans le Grand Est, cela se traduit par une abstention de 24,70%, avec des hauts taux dans les grand pôles urbains, comme Strasbourg, Mulhouse.
La carte suivante représente l’abstention le soir du 7 mai 2017 pour les circonscriptions législatives du Grand Est :
S’abstenir, un acte volontaire ?
Pour le professeur de science politique, la situation du Grand Est est différente car il faut en effet « synthétiser des réalités différentes d’un département à l’autre. » Le chercheur note qu’historiquement; l’ensemble de la région, particulièrement la Lorraine et le département de Moselle, « a une participation électorale plus faible que la moyenne nationale. » Un aspect qu’il lie à la sociologie du terrain : un électorat populaire, ouvrier, « avec un niveau d’éducation inférieur à la moyenne nationale, et donc des compétences politiques beaucoup plus faibles. »
La forte abstention serait donc avant tout liée à un terrain sociologique et historique. L’emploi joue aussi beaucoup dans la perception de la politique par les habitants d’une région. « Le chômage et la précarité n’incitent pas à se mobiliser. » précise-t-il.
Qu’est-ce qui se cache derrière le fait de s’abstenir ? « Ce n’est pas simplement le fait de se désintéresser », estime Étienne Criqui. «Chez certains, il s’agit d’un acte volontaire : ne pas participer à une élection.» Pour expliquer le phénomène, il existe d’autres éléments, par exemple un refus de tous les candidats lors des seconds tours. La diversité d’opinions représentée par le nombre de candidats au premier tour d’une élection facilite le vote par conviction. Il est donc logique que lorsque les représentants éligibles sont réduits au nombre de deux lors du second tour, des votants du premier tour n’y trouvent pas leur compte. Ils se tournent donc plus facilement vers l’abstention, un vote blanc ou nul, ou encore un vote contraint pour former un « front républicain ».
Il existe une autre façon de marquer son refus d’un choix politique, à savoir le vote nul. « Si ce sont parfois des erreurs, notamment par des gens qui préparent eux-mêmes leurs bulletins, des personnes le font volontairement. Elles refusent, au final, la confrontation qui leur est proposée. » Les bulletins peuvent être déchirés, raturés. Une forme d’abstention, « mais la personne se déplace, signifie qu’elle rejette les candidats. »
La carte suivante représente l’abstention le soir du 7 mai 2017, second tour de la présidentielle, pour les circonscriptions législatives du Grand Est :
Quid des travailleurs transfrontaliers ?
S’il n’existe pas de statistiques précises sur le vote transfrontalier, il est néanmoins possible de dégager quelques grands traits relatifs au vote des villes-frontières. C’est le cas en Moselle entre Thionville et Luxembourg. « C’est une zone prospère économiquement, où les frontaliers travaillent au Luxembourg. En habitant le Pays Haut, ils participent à la création de richesses dans la région. » Il y a donc une sensibilité qui est différente par rapport à l’est mosellan, « région sinistrée, où l’attractivité de la frontière et les échanges avec les pays voisins ne comptent pas énormément », précise le chercheur.
La forte abstention lors des législatives de 2017, à 57,4% au national, « est comparable à l’abstention lors des élections européennes », remet en cause le système en place. « Si les législatives étaient avant la présidentielle, le régime serait totalement parlementaire et la participation pour les législatives serait sans doute beaucoup plus importante. Elle serait plus faible pour la présidentielle, mais comme elle instaure le chef de l’État et qu’elle se joue au suffrage universel direct, elle serait néanmoins importante. »
L’absence de blocs homogènes, de fortes présences clivantes (que sont le Parti Socialiste et Les Républicains) est l’un des premiers facteurs de l’abstention importante lors du second tour de l’élection présidentielle. Il y a également le fait que la politique peut devenir, pour certains, un objet lointain, éloigné des réalités du quotidien auxquelles les habitants de certains territoires, pour la plupart reculés, font face. Avec un taux d’abstention proche de celui des élections européennes, les législatives « sont vidées de leur sens si elles sont placées après la présidentielle. » conclue Étienne Criqui.
Benjamin Jung, Théo Meurisse, Kévin Bressan, Lucas Hueber & Marine Schneider
Méthodologie:
– Nous avons cherché à identifier la nature du vote contestataire dans le Grand Est, qu’il soit blanc, nul ou représenté par l’abstention, que cela soit pour la présidentielle ou les législatives. C’est donc ce choix qui a orienté nos calculs et nos cartographies à l’échelle des circonscriptions électorales
– Nous avons analysé les résultats officiels des élections fournis par le ministère de l’Intérieur, pour la présidentielle et les législatives.
– Ces résultats ont été compulsés dans Highcharts pour créer une visualisation sous forme d’histogrammes dans un but d’observation et de comparaison par type de vote (blanc, nul et abstention)
– Pour les résultats du second tour de l’élection présidentielle, nous avons utilisé Google Fusion pour créer une carte par type de vote (blanc, nul et abstention).