Durant trois semaines, des agriculteurs venus de tout le Grand Est se sont réunis pour exprimer leur colère. En cause, un nouveau mal qui selon eux, se propage à travers la France : l’agribashing. Encouragé selon eux par les médias et les réseaux sociaux, il est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien rempli.
Leurs conditions de travail difficiles poussent régulièrement les agriculteurs à sortir dans la rue. Cette fois, il n’en était rien. Même si elles restent dans toutes les têtes. Un autre problème est désormais au cœur du débat : l’agribashing. Majoritairement le fait des médias et de certains politiques selon les premiers concernés, il s’agit d’un dénigrement régulier du monde agricole qui pousserait le grand public à la méfiance.
Le mot inventé il y a quelques années par la FNSEA a été rapidement adopté par le monde agricole. Eddy Fougier, politologue et spécialiste des mouvements protestataires explique que « la profession agricole a commencé à en parler en 2015, la presse nationale en 2018 ». Derrière cet anglicisme, se cache un vrai malaise. Certains agriculteurs parlant même de fracture entre eux et le reste de la population. Une fracture relayée en masse sur les réseaux sociaux avec le hashtag agribashing et dans les manifestations avec le slogan, « France veux-tu encore de tes paysans ? »
Des causes multiples
De nombreux facteurs peuvent expliquer cette méfiance. Les changements de mentalité de notre société en font partie. Qu’il s’agisse de prise de conscience écologique ou de souffrance animale, elles ont comme bouc émissaire commun l’agriculture. L’augmentation des affaires tel que celle du glyphosate, ou encore des dossiers de maltraitance animale dans les exploitations dénoncées par des associations, encourage elle aussi à cette méfiance. Une situation regrettable pour de nombreux agriculteurs déplorant les amalgames et le manque de discernement à propos de leur métier. « La France est connue pour avoir une des meilleures agricultures au monde. Donc on ne comprend pas les discours de certains médias sur notre travail » explique Daniel Dellenbach, vice-président de la FDSEA de Meuse.
Si la pénibilité du travail des agriculteurs n’est plus à démontrer, ce nouveau mal vient y ajouter une difficulté supplémentaire, la méfiance du grand public. « Avant, les gens nous admiraient. Aujourd’hui, on sent un malaisen qui s’installe entre la société et l’agriculture. Il y a beaucoup d’inquiétude de la part de nos voisins. Les gens nous regardent différemment ». Dépité, il souhaite une chose: « On veut que Macron s’exprime sur l’agriculture. Il ne l’a quasiment jamais fait depuis sa prise de fonction. On veut des réponses concrètes à nos revendications ».
Des actions pour lutter
Le gouvernement commence à mettre en place des outils pour lutter contre l’agribashing. Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume lance un observatoire de l’agribashing dans la Drome. Son but est de recenser les actes de malveillance envers les agriculteurs et de faciliter leur cohabitation avec les riverains. Pour les cas plus graves, une cellule de gendarmerie spécifique a aussi été créée. Nommée Déméter, elle consiste à identifier et poursuivre les auteurs d’intrusions ou d’agressions chez les agriculteurs. Une cellule qui se doit aussi d’intervenir en amont. « J’ai demandé aux services, de considérer que la préparation de ces menaces d’invasion relève aussi de troubles importants à l’ordre public sur lesquels nous portons une attention particulière » a expliqué Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, à l’initiative du projet.
Des mesures fortes critiquées par une partie du public. D’une part, certains voient en celles-ci de fausses mesures puisqu’il existait déjà un dispositif de gendarmerie nommé Vigi Agri qui œuvrait dans le même but. D’autre part, beaucoup réfutent l’existence même de l’agribashing.
Un terme contesté
De nombreuses associations réfutent ce terme. En majorité défenseurs de l’environnement ou de la cause animale, elles voient en cette accusation une tentative pour éviter toute critique. « L’agribashing est un concept inventé par la FNSEA pour assimiler toute critique des pesticides à la critique des agriculteurs. Alors que les agriculteurs sont les premières victimes de ces poisons. » explique Raphael Pradeau, porte-parole d’Attac. Un discours largement partagé notamment sur les réseaux sociaux.
Au sein même des syndicats agricoles, le terme ne fait pas l’unanimité. La Confédération rurale et la Confédération paysanne, s’ils sont d’accord sur le fond du problème, regrettent son omniprésence. « L’agribashing est devenu l’arbre qui cache la forêt et les vrais problèmes des agriculteurs, explique Bernard Lannes. La FNSEA masque son absence de programme et ses divisions internes en évitant de parler de ces vrais problèmes. »
Une surmédiatisation qui empêche d’ouvrir le débat sur le système économique en place, la surtransposition des normes ou le CETA qui impactent concrètement la pratique du métier d’agriculteurs.