Webullition est toute la semaine du 28 au 31 mars 2023 aux Assises internationales du journalisme de Tours. À cette occasion, apprenons en plus sur la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, qui est au cœur de plusieurs conférences durant l’après-midi du mardi 28 mars. Missions du collectif, leur vision de la didactique, conséquences sur les médias, plongée au cœur des assises.
A 14h dans l’auditorium, discussion entre Anne Sophie Novel, Steven Jambot et Alexandre Kouchner, rédacteur en chef au média L’ADN-Le Shift. Le tout animé Sidonie Watrigant.
« Enquêter sur les origines des bouleversements en cours », « Consolider l’indépendance des rédactions », « Pratiquer un journalisme bas carbone » sont trois points des treize composants la charte créée par le média Vert.eco. Les conférenciers font remarquer que depuis 2018, la situation climatique est oblitérée dans les médias par des événements d’une toute autre nature : Coupe du Monde polluante au Qatar, signature de Messi au PSG… C’est pour cela qu’en mars 2022, Vert.eco décide de lancer l’idée d’un « manifeste pour une écologie médiatique ». Ce premier texte a été propulsée par Anne Sophie Novel, journaliste, réalisatrice et co-autrice de ladite charte, aux yeux et aux oreilles de grands noms des médias et de personnalités comme Jean-Marc Jancovici, président de The Shift Project, ou Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue.
En avril, ils décident de réunir des journalistes venus de tous horizons afin de « ne pas avoir un texte moralisateur, mais d’être à l’écoute des attentes de la société et de rassembler le plus de monde possible ». Lors de la signature de la charte, 1800 journalistes l’ont approuvé et signé et près de 200 rédactions ont fait de même. Sa publication s’est faite en septembre 2022.
Une philosophie didactique
« On est là pour éclairer un cap » souligne Anne Sophie Novel lors de la conférence. Pour cette journaliste, le terme de « militant » n’est pas représentatif de leur travail, elle préfère le principe d’engagement. C’est-à-dire être là pour prodiguer des conseils et des manières plus saines d’exercer la profession auprès des groupes de presse. L’adaptation à chaque acteur est d’ailleurs une des clés de la réussite de ce projet. Au cours de la conférence Steven Jambot, journaliste à RFI et signataire de la charte, précise que des rédactions comme la sienne, dont les journalistes voyagent souvent à l’étranger, ne vont pas se priver d’avion pour se rendre sur place mais plutôt rester une semaine de plus sur les lieux pour sensibiliser, informer, trouver des acteurs pertinents. La finalité est l’optimisation de leur empreinte carbone.
Sidonie Watrigant, directrice de l’ESJ Pro, exprime une remarque sur la pertinence de l’adaptation en affirmant « qu’on ne peut pas tous être Médiapart ». En effet, informer d’avantage sur les désastres écologiques provoqués par les lobbys peut conséquemment faire fuir certains actionnaires vitaux à un organisme de presse, rebutant certains journaliste à l’idée d’écrire à ce sujet. Cependant, à la manière de la charte qui « ne nous appartient plus » pour Steven Jambot, les articles mettant à jour des sujets écologiques sensibles sont les propriétés de la communauté journalistique. Il est possible de faire passer son message en le publiant dans un autre média, moins contraint par des actionnaires stricts. Le messager change mais le message subsiste.
Steven Jambot, journaliste de RFI, revient sur le lien entre rédactions et écologie. Pour lui, cette nouvelle charte est une « boussole » désormais essentielle pour les médias. Elle pourrait guider les journalistes français et étrangers.
L’impact concret de la charte
Vincent Giret, Jean-Pierre Dorian, Violaine Chaurand et Edouard Reis Corona ont ensuite débattu sur les impacts de cette charte au sein des rédactions, et sur la pratique journalistique en elle-même. Fort est de constater que la signature de cette dernière a induit, chez de nombreux professionnels de l’information, un profond changement de paradigme sur le traitement de cette thématique.
« On peut écrire des textes, signer des chartes, promettre de belles choses. Si nous ne sommes pas dans l’action, dans le concret, notre éditorialité et notre engagement perd toute sa légitimité » explique Vincent Giret, directeur de l’information chez Radio France. Des propos qui illustrent assez bien le plan d’action qu’il a, en lien avec direction, mis en place. Un plan de formation sur l’écologie, ainsi que des masterclass trimestrielles, qu’une grande partie des salariés s’engagent à suivre. Pour s’approprier davantage le sujet, d’une part. Pour qu’en résultent des réflexions transversales, de l’autre. Pour Edouard Reis Corona, rédacteur en chef de Ouest-France, avait la volonté que sa rédaction réhabilite ce champ, en la vulgarisant de manière simplifiée pour les lecteurs. Infographie, podcast ou vidéo, la signature de cette charge a entraîné un traitement multi-support, qui a trouvé son public. Ainsi, les audiences ont sextuplé en moins de 6 mois. « Si on veut faire de l’audience, il faut tout faire, sauf de l’environnement. Mais c’est ici qu’intervient la responsabilité des médias. Preuve en est, la prise de conscience des lecteurs s’amorce petit à petit ».
Des lecteurs qui, justement, sont également artisans de ce changement de paradigme éditorial, comme l’énonce Jean Pierre Dorian, directeur de la rédaction de Sud-Ouest : « les lecteurs ont une réelle influence sur les choix éditoriaux. Cet été, au vu des événements climatiques qui ont frappé le pays, l’intérêt général s’est amplifié. Parallèlement à la charte, on comprend la demande à laquelle il faut répondre ». Mais l’engagement des médias ne se cantonne nullement à l’aspect éditorial. Violaine Chaurand, directrice RSE du groupe Bayard, énonce d’ailleurs que de plus en plus de groupes de presse, consommateurs importants de papier, producteurs de mails et dont les journalistes se déplacent énormément, s’engagent petit à petit dans une transition écologique de praticité. Ainsi, tant sur l’empreinte carbone, que sur la sobriété énergétique, ces acteurs ont pour objectif de réduire leurs impacts environnementaux. « La création, mais surtout le fait de devenir signataire de cette charte a agit comme un déclic profond pour les médias et les membres des rédactions » conclue-t-elle.
A raison de 650 000 exemplaires publiés chaque jour, le quotidien Ouest France est le plus diffusé dans l’hexagone. C’est aussi le premier journal francophone au monde. En qualité de rédacteur en chef, Edouard Reis Corona donne un éclairage sur les choix éditoriaux du journal quant à la prise en compte de la question du traitement de la crise climatique.
Rédacteurs : Simon Iung & Kevin Ferry
Interviews et montages audio : Elie Polselli & Manon Delassus