Dans un amphithéâtre de l’université de Metz, la première Rencontre de Webullition a rendu hommage, mercredi 20 octobre 2010, à Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, journalistes-otages depuis le 29 décembre 2009 en Afghanistan. A cette occasion, Michel Anglade et Gwenaëlle Lenoir, respectivement journaliste reporter d’images et rédactrice à France 3, ont présenté quelques reportages et un documentaire réalisés avec leurs confrères, devant étudiants et professionnels.
Gwenaëlle Lenoir, Michel Anglade, journalistes à France 3, et Arnaud Mercier, directeur de la Licence Professionnelle de Journalisme de Metz lors de la Rencontre de Webullition.
Plus de 300 jours qu’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont été enlevés avec leurs accompagnateurs, Mohammed Reza, Ghulam et Satar, dans la plaine de Kapisa, en Afghanistan, par un groupe de talibans. Ils étaient en reportage pour l’émission « Pièce à conviction » de France 3. « Ils [Stéphane et Hervé] ne sont pas des inconscients, ne prennent pas des risques inconsidérés, ils font simplement leur boulot de journalistes » insiste Gwenaëlle Lenoir, spécialiste du Proche-Orient et de l’Afrique, en réponse aux propos officiels tenus au début de la prise d’otage.
Hommage à leurs réalisations
Les invités de cette rencontre, Gwenaëlle Lenoir et Michel Anglade, journalistes à France 3 et membres actifs du comité de soutien, ont échangé pendant plus de deux heures, sur le travail de leurs confrères, devant une soixantaine d’étudiants et plusieurs confrères. Gwenaëlle Lenoir a présenté différents sujets tournés avec Stéphane Taponier, dans la bande de Gaza. A cette occasion, la rédactrice de France 3 a souligné le professionnalisme de ce reporter, très soucieux d’un travail bien fait, même dans des situations périlleuses. Elle a ainsi confié que le gilet pare-balles gênait beaucoup Stéphane Taponier, l’empêchant de faire de bonnes prises d’images et qu’il lui était arrivé parfois de ne pas le mettre pour mieux tourner. Il savait aussi s’adapter à des sujets spécifiques comme un des reportages présentés, concernant les femmes de martyres palestiniens. Il a réussi à se faire accepter dans ce milieu très fermé, uniquement réservé aux femmes.
Michel Anglade a, lui, évoqué avec beaucoup d’émotion le travail effectué avec Hervé Ghesquière à propos d’un massacre qui fut peu médiatisé près de Vukovar, au tout début de la guerre en Bosnie. Le documentaire de 52 minutes projeté ce jour (« Vukovar, la cité des âmes perdues ») a été tourné en 2004 avec des images d’archives de 1991, celles qu’ils avaient tournées alors et celles de la télévision yougoslave. Ce documentaire relate le récit poignant d’environ 700 civils croates extraits de force de l’hôpital où ils avaient trouvé refuge, pour être enfermés dans une étable avant de finir lâchement exécutés non loin, dans une fosse commune. On y découvre aussi l’arrogance incroyable d’un major serbe qui assène des mensonges éhontés lors d’une conférence de presse de fortune. Il affirme que son armée a soigné les civils croates, alors que ceux qui étaient restés à l’hôpital furent au contraire assassinés sur place (environ 70 morts) et que les autres gisaient depuis quelques heures dans leur sépulture improvisée. La force de ce documentaire provient de la confrontation des images de l’époque avec le témoignage récent des mêmes acteurs, comme la directrice de l’hôpital ou l’envoyé du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) qui avait assisté impuissant à une violation caractérisée de la Convention de Genève, en subissant les menaces explicites, devant la caméra, du major serbe.
Un tel travail a été possible car les deux journalistes ont couvert ensemble pendant une dizaine d’années le conflit de l’ex-Yougoslavie et y ont construit des liens forts avec les acteurs concernés.
Après le film, Michel Anglade parle d’Hervé Ghesquière comme d’un journaliste « très professionnel, qui est tout sauf un aventurier. Il est très prudent mais très déterminé aussi ». Malgré la permanence du danger qui les a entouré lors de leurs missions sur place, Michel Anglade précise, en vrai passionné du métier, que « l’on a toujours envie d’y retourner ».
Dans l’amphitéâtre Reitel, un auditoire attentif pour un débat sur le journalisme en temps de guerre.
Journalisme en situation de guerre
Les deux confrères d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier se sont exprimés devant un auditoire très attentif aux risques du métier de journaliste en situation de guerre. Un échange émouvant s’est établi entre le public, les journalistes et leur travail. Lors d’une série de questions/réponses entre le public et les deux intervenants, un débat très instructif s’est fait jour autour du journalisme en temps de guerre. On apprend ainsi que la meilleure protection selon eux est de toujours clairement s’afficher comme journaliste, donc d’accepter de s’exposer. Ne surtout pas filmer en caméra plus ou moins cachée, car l’objectif peut être confondu avec l’extrémité d’une arme et les belligérants hésitent moins à tirer sur des journalistes quand ils ont l’excuse de ne pas être certain de leur statut. Gwenaëlle Lenoir indique également qu’il faut toujours s’arrêter à un check point, plutôt que d’essayer de fuir. Ils rappellent qu’un journaliste ne doit jamais avoir d’arme sur lui, ce qui est parfois un sujet de tensions avec les aides locales qui leur servent de fixeurs qui eux sont tentés d’en porter. Il est aussi possible pour des journalistes de sigler leur voiture aux couleurs de leur rédaction. Mais France 3 dût y renoncer en Palestine, lorsque l’équipe se rendit compte que, du coup, des belligérants usaient de ce stratagème pour essayer de s’infiltrer entre les lignes. En conclusion, l’un et l’autre affirment qu’il n’existe aucun manuel de survie en zone de guerre et que les journalistes n’ont que leur bon sens et leur expérience des terrains difficiles à mobiliser face aux risques du métier. Deux vertus dont étaient dotés S. Taponier et H. Ghesquière, ce qui ne les aura pas empêchés, hélas, d’être enlevés.
Pourquoi la promotion Ghesquière-Taponier
Le thème de cette première rencontre de Webullition – web’zine de la licence professionnelle Journalisme et Médias Numériques – est tout sauf le fruit du hasard. Les étudiants de cette licence ont en effet baptisé leur promotion du nom des deux journalistes-otages en Afghanistan. La promotion 2010 « Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier » tenait donc tout particulièrement à rendre hommage à leur travail. Il est important de souligner que la paix passe par la liberté de la presse et de l’information. Et c’est en faisant leur travail, celui d’informer, qu’ils ont été pris en otages. Il ne faut pas oublier les fixeurs et les traducteurs, qui accompagnent souvent les journalistes et qui prennent les mêmes risques qu’eux.