Leur vie marginale, rude, effraie autant qu’elle attire. Alors que le citoyen lambda rentre chez lui, il ignore ces corps allongés sur le sol car après tout, qui se soucie de savoir où les pauvres dorment le soir ?
Il est 9h30 quand Steeve arrive à la gare, l’heure exacte à laquelle nous lui avions donné rendez-vous.
Steeve a 31 ans, il a passé presque la moitié de sa vie dans la rue. Originaire de Forbach, il a construit sa vie aux hasards des rencontres féminines qui ont influencé ses choix de vie. Il a ainsi roulé sa bosse de jeune clochard dans quelques grandes villes de France (Paris, Rouen, Nantes… ndlr) avant de revenir sur Metz, sans raisons particulières.
La fondation Abbé Pierre, routine matinale
Après une poignée de main et un sourire,sans tergiverser, il nous emmène à l’association Abbé Pierre, située à deux pas de là. C’est sa routine du matin : « On peut prendre un café, discuter, et se doucher », explique-t-il. Il semble gêné quand l’un des encadrants de l’association lui tend les clés pour nous faire visiter les lieux. Il nous guide vers les douches: « L’hygiène c’est très important. Avant de respecter les autres, il faut commencer par se respecter soi. Pour les habits c’est différent, mais au moins nettoyer la peau. Je connais des autres pauvres qui voient leur crasse comme une armure. » Nous confie-t-il. L’endroit est propre, bien qu’un peu exigu, puisqu’on pourrait aisément y déféquer tout en se lavant les pieds : « Si on leur demande, il nous passe de la javel pour nettoyer » affirme Steeve, qui énumère le contenu du nécessaire de toilette mis à sa disposition. A l’entrée des cabines, un bac pour le linge sale, afin d’être propre des pieds à la tête pour qui le souhaite.
Au restaurant solidaire, Steeve prend la plupart de ses repas de midi, quand il arrive à se dégoter un peu d’argent : « C’est trois euros par personne pour un repas chaud », précise-t-il.
Le squat, un toit et un matelas.
Dehors, on rejoint Titeuf, son principal compagnon depuis trois ans, si on met de côté Sultan, un beauceron plein d’entrain aux couleurs noir et feu. Direction le squat qu’ils occupent depuis un mois. Sur le chemin, ils semblent hésitants : « Ça ne nous gêne pas, mais il y a deux autres personnes qui y dorment et on ne sait pas si elles seraient d’accord », souligne le jeune homme.
Titeuf part en repérage. Il rappelle Steeve quelques minutes plus tard pour lui confirmer que tout est ok. Lui, est visiblement inquiet : « Pas de photos et oubliez le numéro de la maison », nous fait-il remarquer. Pour accéder à la bâtisse, le chemin est étroit et boueux, parsemé de ronces. A l’intérieur, pas d’électricité évidemment.Une forte odeur d’humidité, comme si la maison transpirait d’une chaleur moite. Le bois est poreux, le papier peint se décolle des murs. Dans ce marasme, ils ont aménagé une pièce au confort sommaire. Un matelas humide mais surélevé, recouvert de deux duvets, fait office de lit. Dans un coin, un rangement pour entreposer leur nourriture et celle de leurs chiens. Le sol lui, est immaculé : « On essaye de garder l’endroit propre », souligne Steeve. Cette intrusion l’embarrasse, mais il la considère comme nécessaire : « C’est important de montrer aux gens comment c’est vraiment ». Pour autant, on ne s’éternise pas, il ne faudrait pas risquer de croiser les autres occupants.
La rue, sa philosophie de vie
Nous voilà de retour dehors, là ou Steeve se sent bien, là où il est toujours retourné, mût par le désir de ne pas se soumettre au diktat de la société, loin de cet égoïsme qui le dégoûte. Même après quelques périodes de stabilité, et alors même qu’il a un diplôme de carreleur et une formation en entretien des espaces verts à son actif, le jeune homme vit le fait d’être sans domicile comme une philosophie de vie : « Travailler pour soi, c’est égoïste, quand t’as personne à t’occuper, tu travailles, tu rentres chez toi, puis tu retournes travailler. Ta vie c’est des allers retours en fait. Je vis au jour le jour, en fonction des rencontres », avoue-t-il.
Si la dialectique de la vie du clochard prend racine dans l’errance, elle se situe aussi dans ces lieux que personne ne voient ou ne veut voir. Des lieux pour mieux comprendre leurs différences et leur vision de la vie : « Dans la vie, y’en a qui veulent une Porsche et d’autres qui cherchent un porche » conclut Steeve, qui se dirige vers le centre pour se réchauffer une dernière fois , avant de retrouver la froideur de la rue.