Chaque lundi et jeudi, le Secours Catholique de Metz organise une maraude de 18h à 20h. Le but : apporter des repas et des boissons chaudes aux sans-abris. Pour comprendre ce milieu, j’ai intégré une équipe le temps d’une nuit. L’occasion pour moi de vous retranscrire le quotidien des maraudeurs.
18h00 : Jeudi 8 février, la nuit est déjà tombée dans la rue des Allemands. Nous sommes plusieurs à attendre devant le centre du Secours Catholique, nous en profitons pour apprendre à nous connaître. La plupart sont des personnes effectuant des maraudes régulièrement. Quelques minutes plus tard, le centre ouvre, c’est le branle-bas de combat. L’eau chaude et le café sont en préparation. Les sacs se remplissent de sucres, de chocolats et de madeleines. Et les thermos se remplissent pour rejoindre les sacs de condiment. Ce soir, nous sommes 4 à faire la maraude.
18h23 : L’équipe est prête à partir. Nous commençons par nous diriger vers la place Coislin. Une place stratégique car elle est connue pour être un lieu où l’on retrouve beaucoup de sans-abris. « Il y a toujours les mêmes personnes aux mêmes endroits » m’explique un membre de l’équipe. Sur le chemin, l’ambiance est sympa. Pour les nouveaux, on apprend à se connaître. Pour les habituer, c’est l’occasion de se retrouver.
18h30 : Nous arrivons sur place. Malheureusement, personne n’est présent. Un membre de l’équipe se questionne sur ce qu’il arrivera à la nourriture si nous ne croisons personne : « C’est pas évident car si tu croises personne ça te fais du gâchis ». Nous rebroussons donc chemin vers la rue la plus proche en quête d’un sans-abri à aider.
18h36 : Nous croisons une première personne, Salomon, un sans-abri d’origine Turc. En nous voyant, il nous prend dans les bras. Malgré la barrière de la langue, nous tentons de dialoguer avec lui. Il nous explique ses problèmes de papiers et de carte vitale, ses origines, son enfance… Pendant ce temps, l’équipe lui prépare un thé. Au moment où nous le lui donnons, il le tient fermement dans ses mains pour se réchauffer. Pendant ce moment d’échange, une personne arrive et manque de faire tomber son verre d’argent posé au sol. Salomon demande donc à la personne de faire attention. La personne se retourne en continuant sa marche, fusille Salomon du regard et ne lui lâche aucun mot.
18h52 : Nous décidons de reprendre la route. Avant de partir, Salomon tient à nous reprendre dans ses bras et nous indique la route où 2 sans-abris, un couple semble-t-il, est installé. Après quelques minutes, nous les trouvons sous un porche. Matelas, duvets, oreillers, on aurait dit un vrai foyer. Yildis, d’origine roumaine, nous accueil pendant que son copain, Alain, reste allongé sur son matelas. Pendant qu’une soupe et un café sont en préparation, nous commençons la conversation. Peu de temps après, nous recroisons Salomon sous le porche. Il nous a été rapide de comprendre que le deuxième matelas, présent sous le porche, était le sien.
19h04 : Nous quittons Yildis, Alain et Salomon après l’arrivée d’un passant venu apporter des boissons. Nous remontons la rue jusqu’à croiser Biore, installé dans le renfoncement d’une entrée d’un magasin fermé. Musique, casquette à l’envers, jeune et sympa, il commence à discuter. Il nous parle de sa copine, des animés, de sa vie… en bref, tout ce qu’il aime. Pour Biore, ce renfoncement est son « territoire », nous sommes tenus de rester à l’extérieur. Mais lorsque nous lui proposons un café, la porte est grande ouverte. Pendant que le breuvage est servi, il me demande une touillette pour « éviter d’utiliser la branche de ses lunettes ». Branche qu’il utilise par la suite pour tasser le tabac de sa cigarette. Sans filtre, il me dévoile sa vie, avec une grande confiance, comme si nous étions amis. Cette relation se confirme quelques minutes plus tard, lorsqu’il me demande de surveiller son « territoire » pendant qu’il va aux toilettes.
19h23 : Deux filles arrivent pour lui parler, on dirait qu’ils se connaissent bien. Nous les laissons entre eux et reprenons notre maraude en direction de rue du Palais. La raison : une personne récurrente est souvent là-bas.
Les « maraudeurs » n’ont pas d’itinéraire précis. À force, ils connaissent les lieux où se rejoignent régulièrement les sans-abris. Ils vont en direction de ces derniers et si, sur le chemin, ils croisent quelqu’un, ils s’arrêtent pour lui apporter de l’aide. Un membre de l’équipe effectue des maraudes depuis mai 2023. Dès qu’elle a pu aider, elle s’est lancée : « Je trouve ça injuste qu’il y ait, encore, des personnes mendiantes dans la rue en 2024 ». Elle s’est donc mise en tête de faire le plus de maraude possible.
19h28 : Nous tombons sur cette personne, son surnom : le Père Noël, en raison de sa grande barbe blanche. Malheureusement, ce soir, un café et une soupe ne lui plaisent pas. Un membre de l’équipe propose donc de lui payer à manger. Nous le laissons dans l’enseigne après lui avoir offert ce repas, l’occasion pour lui de se réchauffer un petit peu.
En face, un sans-abri est assis à côté d’un bar : Patrick. Avec son bonnet, sa moustache bien taillée et sa grosse doudoune, il nous explique ses besoins avec une gentillesse des plus rares. Nous lui proposons donc un café et une soupe pendant qu’il nous explique son séjour à l’hôpital, dont il vient de sortir pour cause de brûlure. Il revient avec nous sur sa vie d’avant. À la base, Patrick était soudeur. Dans son milieu, il savait tout faire, au point où on le surnommait le « Vulcain Lorrain ». Plus tard, on lui diagnostique un cancer de la peau et de la prostate. Ne pouvant plus travailler et n’étant reconnu malade qu’à 59%, il s’est retrouvé à la rue.
Après 3 années à vivre dehors, ce dernier se méfie : « je me permets pas d’avoir de téléphone car on me le vole, et mes papiers sont chez mon ex. Ils me font les poches quand je dors dehors ». Discuter lui fait beaucoup de bien. En nous expliquant sa solitude, on sent une émotion se dégager avec des larmes aux coins des yeux. Le temps de quelques minutes, il nous exprime sa vision de la vie. Il explique avoir l’envie d’aider les autres avant de s’occuper de lui. Notre venue est considérée pour lui comme un juste retour des choses. « Pour moi il y a un Dieu, je crois en ma bonne étoile ».
19h50 : Il est l’heure pour nous de quitter Patrick. Du coin de l’œil nous apercevons une nouvelle personne. En arrivant, la barrière de la langue nous fait encore défaut, il vient de Poland. Son nom : Sébastien. Après lui avoir servi à boire, nous remarquons que les thermos commencent à être vides. Nous restons un peu discuter, Biore passe derrière nous et en profite pour nous remercier.
19h54 : La maraude commence à toucher à sa fin, nous nous dirigeons vers le local. Sur la route du retour, on me demande si psychologiquement, la nuit s’est bien passée. Pour moi oui, mais la question ne parait pas anodine. On m’explique que certaines personnes arrêtent les maraudes après leur première nuit. Pour eux, voir les conditions de ces personnes est trop éprouvante, et psychologiquement, c’est dure de tenir.
20h11 : À quelques pas du local, nous trouvons 2 personnes place Saint Louis. Assises au sol, un parapluie pour les couvrir et un plaid pour les chauffer. Pendant que les boissons sont en préparation, nous leur tendons une main remplie de chocolat. Leurs yeux se sont ouverts accompagnés d’un grand sourire. Ce genre de sourire qui exprime plus de choses qu’un simple mot. Heureusement, il nous restait assez de boisson pour les servir, mais nous nous retrouvons à court de breuvage. La maraude est donc officiellement terminée.
20h26 : nous arrivons au local. Un membre de l’équipe vient me voir et me dit : « on a jamais fini une maraude aussi tard mais c’était sympa ». Nous nettoyons les thermos, rangeons les sacs et débriefons de la soirée. Pendant ce temps d’échange, on m’explique que que la force des maraudes, ne réside pas seulement dans le côté « alimentaire ». « L’idée c’est de créer de l’échange, pas juste donner à manger. Si la personne veut parler de ses problèmes elle peut le faire et si tu vois que tu peux l’aider à compléter une information c’est génial ».
20h38 : La lumière s’éteint, le rideau est baissé et nous rentrons chez nous.
En intégrant ce milieu le temps d’une nuit, je ne savais pas à quoi m’attendre. Comment allaient être ces personnes ? Vont-elles dialoguer et m’accepter ? Mais après cet essai, je peux dire que c’est « magique ». Ce qui était à la base une simple nuit, risque de se transformer en une routine. Je ne dis pas que je l’appliquerais chaque semaine, mais au minimum une fois par mois. Alors si vous souhaitez aider et que vous hésitez, tentez et vous ressentirez ce que j’ai vécu.
20h38 : La lumière s’éteint, le rideau est baissé et nous rentrons chez nous. En intégrant ce milieu le temps d’une nuit, je ne savais pas à quoi m’attendre. Comment allaient être ces personnes ? Vont-elles dialoguer et m’accepter ? Mais après cet essai, je peux dire que c’est « magique ». Ce qui était à la base une simple nuit, risque de se transformer en une routine. Je ne dis pas que je l’appliquerais chaque semaine, mais au minimum une fois par mois. Alors si vous souhaitez aider et que vous hésitez, tentez et vous ressentirez ce que j’ai vécu.
Bastien Baehr