Le conflit en Ukraine a connu un regain de violence depuis début janvier. Pour Marie Mendras, politologue, professeur à Sciences Po et chercheuse au CNRS, aucune sortie de crise ne peut aboutir tant que la Russie voudra déstabiliser l’Est de l’Ukraine. 


Pensez-vous que le conflit a atteint son plus haut pic de violence ?

Non, il y a eu un pic de violence analogue en août dernier qui a fait de nombreuses victimes et un accord de cessez-le-feu avait été signé le 5 septembre 2014. Donc ce n’est pas la première fois qu’il y a un tel pic de violence autour de Donetsk. Est-ce que ça peut aller plus loin ? Oui. Si les Russes ne sont pas raisonnables et qu’ils continuent de soutenir les séparatistes. Des séparatistes qui n’ont plus rien à perdre car ils savent que dès que les Russes les lâcheront, ils n’auront plus qu’à fuir. Tout dépend vraiment de la décision de Moscou. C’est pour cela que les pays occidentaux sont obligés de négocier avec la Russie, tout en faisant pression, afin de s’assurer que les conflits ne dépassent pas ce niveau de violence. Mais rien n’est certain.


Une sortie de crise par la voie diplomatique est-elle envisageable?

Au bout du compte, une issue sera nécessairement trouvée. Kiev ne va pas déclarer la guerre à la Russie et cette dernière nie toujours l’agression de l’Ukraine. Il me parait peu probable que les Ukrainiens s’engagent dans un conflit généralisé et il me parait aussi peu probable que Moscou prenne de grands risques en agressant de manière encore plus considérable son voisin. La Russie sait que l’Ukraine est soutenue par tous les pays occidentaux et beaucoup d’autres Etats en dehors de la sphère occidentale. D’autant plus que l’Alliance atlantique est extrêmement vigilante car les pays de l’OTAN sont, pour une partie, des pays voisins de l’Ukraine et de la Russie (ex : Pologne, Bulgarie…). Pour une issue diplomatique, il faut que la volonté de Moscou de déstabiliser l’Etat ukrainien diminue. Sans ce changement de position, les Etats occidentaux auront énormément de mal à travailler sur un nouveau cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie.

 

Selon le président ukrainien, Petro Porochenko, 9.000 soldats russes participent directement au conflit en Ukraine. Cette information vous paraît-elle vraisemblable ?

Je pense que si le président avance ces informations, c’est qu’il a des informations fiables. Il ne fait aucun doute depuis l’été dernier que des militaires et mercenaires russes sont sur le territoire ukrainien et combattent. La seule interrogation est de savoir combien mais c’est certainement plusieurs milliers. Ces derniers jours il y a eu des renforts importants venu de Russie. Au début, ces hommes en armes ne portaient ni insigne ni uniforme, or ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Des militaires combattent ouvertement en qualité de soldats ou officiers de l’armée russe. La situation est évidemment difficile à gérer pour les autorités et l’armée ukrainienne.


On se rappelle, en mars 2014, de l’annexion de la Crimée très contestée. D’autres régions risquent-elles, elles aussi, de basculer dans la violence ?

Je ne pense pas. Dans les deux cas, la Crimée, au printemps dernier, et les provinces de l’Est de l’Ukraine depuis mai-juin, ce que l’on observe c’est une agression russe. Moscou a décidé de soutenir et d’armer, à l’Est de l’Ukraine, des groupes commandos. On n’est pas face à des violences entre Ukrainiens, mais face à une agression russe pour déstabiliser l’Est de l’Ukraine, pour l’empêcher de retrouver une situation normale sous l’autorité d’un président légitimement élu, Petro Porochenko, et d’un gouvernement qui a aussi la légitimité des législatives d’octobre dernier.

Le problème n’est pas une propagation de la violence en Ukraine mais plutôt de savoir si les autorités russes sont prêtes à aller encore plus loin pour grignoter encore plus de territoire à l’Est et au Sud-Est.


Justement, pensez-vous que la Russie est prête à grignoter plus de terrain ?

Le problème des autorités russes c’est qu’elles ne veulent pas lâcher les commandos rebelles à l’est de l’Ukraine parce que s’ils n’ont plus de soutien direct de la Russie ils ne tiendront pas. Au bout de quelques semaines, l’armée régulière ukrainienne pourrait rapidement reprendre le contrôle de cette zone et réinstaller son gouvernement. Les autorités russes sont donc plutôt décidées à continuer de soutenir ces rebelles parce que, clairement, Vladimir Poutine a décidé d’aller très loin pour maintenir l’Ukraine en état de fragilité. Autrement dit : une souveraineté limitée par l’occupation russe en Crimée et dans l’Est de l’Ukraine.

« Jusqu’où va-t-il aller ? On ne le sait pas et je crois que lui-même ne le sait pas. »

C’est une politique de fuite en avant pour Vladimir Poutine. Jusqu’où va-t-il aller ? On ne le sait pas et je crois que lui-même ne le sait pas. Il réagit aux événements au jour le jour. On voit bien que dès que le processus de négociations est relancé, comme le 21 janvier dernier avec la réunion des ministres des Affaires étrangères russe, ukrainien, allemand et français, les rebelles relancent les hostilités avec de nouvelles recrues russes. C’est un scénario qui s’est répété plusieurs fois depuis le printemps dernier.